Tribune hommage à Dominique Véran
FestivalS de Cannes
L'ÊTRE ET LE PARAÎTRE
Reportage entre deux festivals parallèles comme deux mondes, tous deux pourtant organisés dans la même ville, Cannes, et consacrés au même art, le cinéma.
Promenade sur la Croisette un soir de festival de Cannes. Trottoir de droite, les grands hôtels, les boutiques chic et, devant, des expositions de voitures de sport. Trottoir de gauche, côté mer, des tentes, des chapiteaux, des tonnelles qui crachent la même musique techno et les mêmes lumières colorées de spots dans une ambiance de boîte improvisée. Pas un mètre carré de plage n’est disponible.
Partout, des deux côtés de la rue, un défilé de policiers, d’agents de sécurité, de videurs, de photographes habillés en pingouins qui shootent n’importe quelle grande femme en robe de soirée, cougar ou lolita, lui offrant sa minute de popularité warholienne et l’impression d’être une star au pays des stars (« Voici ma carte de visite pour acheter votre photo sur mon site Internet… », un photographe). D’autres, portant les mêmes smokings, brandissent des pancartes sur lesquelles est écrit : « Propose des invitations » ou « Recherche des invitations ».
Chacune et chacun se toisent, se scrutent et se demandent si l’autre est une personnalité du cinéma ? Du show-biz ? Des médias ? (« Eh, y me semble que je l’ai déjà vu à la télé, l’autre, là-bas ? » un badaud)… À l’approche du palais des Festivals, c’est la cohue. Circulation des piétons réglementée par la maréchaussée en tenue de soirée (« Pas le droit de traverser en dehors des clous », un gendarme). Espaces délimités par des barrières : frontières entre ceux qui ont une accréditation, ceux qui n’en ont pas mais sont des habitués et qui, juchés sur des escabeaux, patientent des journées entières devant le tapis rouge pour tenter d’apercevoir une star (« C’est la magie du cinéma… On n'assiste pas aux projections, on ne voit pas les films, mais ce n'est pas grave, ça nous fait rêver », une Cannes spotter). Et puis il y a les autres, les non-festivaliers. Ceux-là, on les repère vite et de loin : des seniors en sortie champêtre groupée, des jeunes en mode cité, des personnes en fauteuil roulant, d'autres appuyées sur une canne ou guidées par un chien…, toutes et tous généralement moins apprêtés et sans doute moins assurés que la moyenne des festivaliers.
Hommage au “tonton flingueur”
Mais qu’il fait bon les croiser, ces gens-là, sur la Croisette un soir de festival, qui trimballent leur fragilité et toute leur humanité… « Je suis attiré par l’être et le paraître », déclarait Benjamin Lehrer, auteur, réalisateur et acteur de profession, hémiplégique de situation, après avoir reçu en 2011 le prix du public pour son film Cendrillon du pied gauche au festival Entr’2 marches du court métrage sur le thème du handicap. La cinquième édition de cet événement, qui a lieu du 19 au 23 mai 2014, rend hommage au réalisateur Georges Lautner*, parrain depuis l’origine et décédé le 22 novembre 2013.
Le titre du festival, Entr’2 marches, fait ironiquement référence aux marches du palais des Festivals et à leur inaccessibilité. Qui ne se souvient du cinéaste italien Bernardo Bertolucci venu en 2011, en fauteuil roulant, pour se voir remettre la première palme d'or d'honneur de l'histoire du Festival, et contraint d'accéder à la tribune par un monte-charge situé à l'arrière du bâtiment ?
Fondé par Dominique Véran et organisé depuis cinq ans par l'Association des paralysés de France (APF), Entr'2 marches se déroule durant la même semaine que le festival de Cannes et – ça ne s’invente pas – dans la « salle municipale des mutilés et réformés », à un kilomètre de la Croisette et de son palais des Festivals. D’un côté, on a choisi le paraître, de l’autre, l’être.
Chronique réalisée par Michaël Couybes pour la rédaction du magazine Etre Handicap Information – mai 2014
* Les Tontons flingueurs, Le Professionnel, Le Guignolo, Mort d’un pourri, Le Bon Vivant…
Pour tout savoir du festival Entr'2 marches de Cannes : http://entr2marches.blogs.apf.asso.fr/