Trois raisons d'arrêter de chercher à "compenser"​ vos émissions carbone

Trois raisons d'arrêter de chercher à "compenser" vos émissions carbone

Depuis les Accords de Paris, beaucoup d'entreprises ont pris conscience de l'importance de maîtriser leur empreinte écologique. Nombre d'entre elles se tournent vers l'achat de crédit carbone. Le principe est louable : financer des projets vertueux pour le climat afin de compenser ses émissions de gaz à effet de serre. Cependant la manière dont cette mécanique est considérée et mise en œuvre aujourd'hui par beaucoup d’entreprises est problématique.


  1. Le bilan carbone des entreprises ne tient généralement compte que d’une partie minime de leurs émissions

Tout d’abord rappelons qu’il est extrêmement complexe de réaliser le bilan carbone réel de n’importe quelle activité ou production. Même les entreprises les plus motivées se retrouvent confrontées à des difficultés pour réussir à comptabiliser l’ensemble de leurs émissions, directes comme indirectes, palpables comme abstraites. De plus, beaucoup de paramètres ne sont pas pris en compte par les modèles actuels (exemple : l’utilité finale du produit vendu).

L’évaluation 2021 des entreprises françaises réalisée par l’ADEME a montré qu’en moyenne celles-ci ne renseignent que 4,6 des 15 postes d’émissions du scope 3 - leurs émissions indirectes -, en se concentrant sur les plus simples à remplir, plutôt que sur les plus importants. Le scope 3 est donc souvent oublié alors qu’il est, de loin, le plus gros poste d’émissions dans la plupart des secteurs d’activité, à l’exception des gros sites industriels ou de l’extraction d’énergie fossile. Il représente par exemple 60% des émissions de Google!

Conséquence : bien qu’annonçant des bilans carbones “neutres”, la plupart des entreprises ne compense en réalité qu’une partie réduite de leurs émissions, et ça les consommateurs ne le savent pas.


2. La compensation carbone peut paraître comme une solution miracle qui permet de s'octroyer un droit à polluer, alors qu'on ne pourra jamais compenser la totalité des émissions

La compensation carbone est une mécanique séduisante puisqu'elle permet aux entreprises de communiquer fièrement sur leurs engagements sans avoir à remettre en question leur modèle économique. C’est là tout le problème : acheter des crédits carbone, c’est au final beaucoup plus facile et moins cher que d’effectuer de réels changements structurels au sein d’une entreprise. Autre avantage pour ces dernières : il est aisé de promouvoir ce type d’actions pour séduire un public en quête de consommation responsable, et ainsi récolter les lauriers pour peu d’efforts réalisés.

Autre problème : la plupart des projets de compensation associent l’achat de crédits carbone à la plantation d’arbres. Or il ne suffit pas de planter des arbres, il faut planter les bons arbres au bon endroit et les entretenir tout au long de leur vie pour que l’action soit efficace. Malheureusement en creusant on se rend compte que beaucoup d'initiatives ont dans les faits un impact négatif sur la biodiversité et ne survivent pas forcément sur le long terme (alors qu’il faut attendre de nombreuses années avant qu’un arbre ne commence à capturer du CO2). Pour couronner le tout, dans son rapport de 2021, le GIEC énonce clairement que les environnements naturels ne sont en réalité capables, au maximum, d’absorber que deux tiers des émissions carbones émises par l’humanité. Pire encore : le réchauffement climatique va affecter la photosynthèse des plantes dont les capacités d'absorptions vont diminuer. Il est donc grand temps que les entreprises et collectivités arrêtent d’investir dans des campagnes de reforestation à tout va et au détriment du bon sens, et s’attèlent plutôt à réellement diminuer leurs émissions tout en investissant en parallèle dans des projets écologiques qui ont du sens. 

Enfin, il faut absolument clarifier le fait que la compensation carbone n'a lieu d'exister qu'après des efforts de réduction des émissions. Il ne devrait s'agir que du dernier rouage à activer après qu'une entreprise ait effectué toutes les actions possibles afin de réduire ses émissions de CO2. Or la réalité est toute autre, les GAFA en sont un bon exemple : Malgré leurs divers engagements en terme d'écologie (investissement dans les énergies renouvelables, restaurations de forêts...), la consommation d'électricité de Google, Apple, Meta et Microsoft n'a fait qu'augmenter ces dernières années (source : Ecoinfo, mars 2022). Et plus globalement, les émissions mondiales de CO2 continuent malheureusement de croître (+0.9% en 2022 vs 2021)…


3. Le concept de “neutralité carbone” d’une entreprise permis par des financements de projets écologiques est un non sens

Pour finir, je pense qu’il est primordial de comprendre que le terme de “neutralité carbone” n'a de sens qu’à l’échelle mondiale : il s’agit de l’équilibre entre les émissions de CO2 liées aux activités humaines et les absorptions de CO2 par les puits de carbone gérés par les activités humaines. Pour une entreprise cette notion est floue et ne peut pas s’appliquer de façon rigoureuse : en effet aucune consommation d’énergie, ni aucun bien ou service, n’est réellement « sans carbone » tout au long de son cycle de vie. Et le principe même de neutralité carbone n’est qu’un calcul fictif et fondé sur des approximations pouvant détourner des réels enjeux. De plus, le fait de comptabiliser les émissions à l’échelle de l’entreprise crée de fortes inégalités entre les territoires. En effet, un pays présentant un mix énergétique peu carboné comme la France, ne nécessitera pas une compensation des émissions aussi importante qu’un autre, ce qui pousse les entreprises à faire le minimum d’effort une fois la neutralité carbone atteinte sur leur périmètre. 

Le réchauffement climatique nous concerne tous et dépasse la simple échelle locale. C’est pourquoi ill doit absolument être envisagé et affronté de manière globale. Le concept plus récent de “contribution à la neutralité planétaire” me paraît donc plus  juste. Il permet de donner une dimension collective à l’effort mondial de lutte contre les changements climatiques, et ainsi empêcher des organisations d’acheter des crédits carbone pour annoncer un bilan en apparence neutre. Il est urgent et nécessaire que les entreprises séparent très clairement dans leur comptabilité et leur communication, leur bilan carbone réel et leur participation - vitale -, à l’atteinte de la neutralité carbone mondiale.


Sophie Gherabli

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