TTBA SDT AUTO ou le cœur au bord des lèvres
Commencez par visualiser un paysage boisé composé de plateaux en pente douce, de vallons peu encaissés et de reliefs à peine marqués. Imaginez ensuite que vous devez survoler ce paysage ondulant en épousant les courbes du terrain. Au début, c’est facile, vous montez de quelques dizaines de mètres afin de franchir les crêtes puis vous plongez légèrement de la même hauteur. C’est même plaisant quand vous le faites à faible vitesse dans un avion de tourisme. Ajoutez quelques courbes pour respecter vos points de passage, mais tâchez de garder votre niveau par rapport au sol, toujours le même, à peine 200 mètres. A cette altitude, les arbres sont finalement assez proches, vous identifiez les voitures punaisées sur les routes de campagne, vous pouvez même voir les paysans dans leurs champs.
Maintenant, accélérez. Affichez 850 km/h, peut-être plus de 900 dans le run d’attaque et faites la même chose. Et descendez encore un peu. Disons à 90 mètres. Le monde défile comme dans un grand manège, trop flou par moment, difficile d’accrocher le regard à quelque chose. Les collines vous sautent à la figure, les encaissements deviennent des gouffres qui se précipitent à votre rencontre. Chaque prise ou perte d’altitude vous remue, fait voler vos sangles, décolle vos pieds du sol, enfonce vos épaules dans le siège. Vous êtes rapide et en Mirage 2000D, la vitesse, c’est la vie : elle vous éloigne très vite des points chauds et elle peut se transformer en altitude en cas d’urgence. Mais cela modifie sensiblement votre perception du monde extérieur. Il est moins accueillant, il n’invite plus à la contemplation, c’est une menace. La moindre manœuvre d’ajustement de la trajectoire ouvre sur d’autres aspérités du sol que vous devez anticiper, compenser. A ce rythme, vous parcourez presque 250 mètres par seconde, le regard portant loin devant pour prendre de l’avance sur votre avion, pour l’empêcher de dévorer votre réflexion. Votre souffle est court, vos gestes souples et précis, vos yeux sautent de l’écran du radar vers un point sur l’horizon, toujours en mouvement, sans cesse à relationner les données fournies avec ce que vous voyez devant vous.
Et aujourd’hui, la météo est un adversaire qui vous oblige à faire preuve d’encore plus de vigilance et de concentration. En termes techniques, vous êtes en suivi de terrain automatique dit AST4, du vol sans visibilité avec l’aide du radar. La première fois que vous l’avez fait, vous en aviez conclu que c’était un truc de malades, la chose la plus dangereuse qu’on puisse faire sanglé dans une combinaison anti-G. Vous volez dans les nuées, le sol n’apparaît que cerné d’un voile opaque, l’avion saute sur les cahots cachés du volume d’air et jamais, à aucun moment, vous ne regardez dehors ni ne touchez le manche. Toute la conduite de trajectoire est réalisée par le radar, vous vous contentez de surveiller la visualisation tête basse. Là s’affichent des courbes de niveau, des lignes, des flèches, des couleurs qui dessinent un paysage de crêtes et de creux fantomatiques. Jaune, c’est bien. Ambre, attention, votre pente présente un risque. Rouge, dégagez ! Vous savez que chacune de ces formes, six secondes devant votre avion, implique une décision, un choix. Vous êtes un joueur d’échecs à haute fréquence, sur le fil d’un rasoir mortel. Derrière vous, votre navigateur égrène les chiffres et les observations d’une voix calme, toujours la même, une transe. Cette voix est un guide, une donnée. Calme, rythmée, la situation est normale. Forte, impérative, il faut réagir. Le nav’ vérifie que les centrales fournissent les bonnes informations, il gère la cartographie et le tempo. Et jamais, jamais, il ne regarde dehors. C’est inutile, vous êtes IMC, dans les nuages, au ras du sol. Entre vous, l’échange est permanent, comme la musique récitée par le leader d’une patrouille acrobatique. Le respect des règles, d’une préparation minutieuse, d’une visualisation mentale, des procédures, est essentiel dans ce travail de funambules, tout comme la confiance en la machine et son formidable radar de suivi de terrain.
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C’est l’atout principal du Mirage 2000D, sa raison d’être. Le cocher garde uniquement le contrôle de la manette des gaz. Son autre main est sur la poignée de l’arceau de la verrière ou, plus souvent, posée sur sa cuisse droite, à un pouillème de seconde d’un manche qu’il tirera si ça va mal. Il devient passager, le radar est le pilote, et il le fait bien. Au moindre souci, en une fraction de seconde, beaucoup moins que le temps de réaction humain, il affichera une pente positive comprise entre 30 et 40°, l’équipage prendra 5,5G dans le buffet et sera satellisé. Le temps de mettre plein gaz, de retrouver ses sens et le danger sera loin derrière. C’est risqué et c’est pour ça qu’on ne force jamais son talent, la sécurité reste le maître-mot. A la moindre imperfection dans la lecture du relief par les ondes de retour, au moindre signe de panne, on n’insiste pas : manche au ventre et on retrouve de l’air pour se donner du temps de réflexion et vivre encore un peu.
Le pilotage à grande vitesse en TTBA n’est pas une lutte, mais vous faites un effort constant et régulier pour maintenir votre vigilance et garder l’influx. C’est une épreuve physique et mentale, une joute que vous appréciez et que vous recherchez, un défi pour vos sens, vos réflexes, votre intellect. Mais c’est exigeant, très exigeant. Le pilotage d’un Mirage 2000D à basse altitude est un domaine d’expertise où excellent les équipages de la 3e Escadre de Chasse de Nancy. C’est un aspect de leur métier : être capable de percer une défense adverse en suivant des routes qui masquent sa couverture radar, s’approcher discrètement au plus près du point d’attaque initial, voler vite près du sol, avec persuasion, détachement et témérité. C’est une tâche complexe qui demande d’importantes ressources morales et mentales, une sincère implication et un travail de chaque instant. S’y entraîner, c’est une obligation, malgré les risques, parce qu’être pilote de chasse, si ça se mérite, c’est aussi verser un tribut. Le métier des armes recèle de nombreux périls, chacun d’entre eux est calculé, mesuré, soupesé pour en évaluer l’intérêt. Dans le cas présent, la TTBA fait partie des compétences incontournables que doit posséder un équipage d’attaque au sol. Il doit se sentir à l’aise à de si faibles hauteurs, il faut s’habituer aux importantes vitesses de défilement et, en équipe, pilote et NOSA apprennent à gérer une mission, modifier la navigation, changer d’objectif, s’adapter aux contraintes électroniques, altérer la tactique, tout en restant collés au sol. C’est difficile, mais c’est justement ce qu'ils aiment.
Programme Manager ASM/ATS/ATFCM chez EUROCONTROL
1 ansA ne pas oublier quand on est face à la R45 en CAG VFR...
Air Optronics Sales Dept - Thales
1 ansMerci pour ce texte, très immersif. On pense à Chidé et Mich'...
Manager - Gestion de projet complexe - cohésion d'équipes - Formateur aéronautique
1 ansMerci! en ce lundi matin de novembre cela donne envie d’une petite LL01 !!
Expert en maîtrise des risques
1 ansMerci Serggio pour ce délectable rafrachisselent de mémoire ! Un verital marathon surhumain pour des couples ordinaires qui s'entraînent à faire face à une adversité sans limites dans un monde à peine concevable mais cruellement dangereux ! Si les étoiles les guident et les ailes les portent...oui, il ont vraiment une sacrée paire de ... ces hommes et ces femmes là ! Le SDT TTBA IMC en patrouille n'est vraiment pas un sport de masse !!!
Retired, former fighter and airline pilot.
1 ansEn tant qu’ancien pilote de 2000N à la 4eme EC, je trouve cet article excellent. Il définit le « job » de manière très réaliste.