Tu ne tomberas pas amoureux de ta première idée

Tu ne tomberas pas amoureux de ta première idée

Ce brise-glace amusant pourrait faire exploser le potentiel créatif de votre groupe.

Vous ne devriez pas tomber amoureux de votre première idée et pourtant cela va vous arriver. Voici pourquoi. 

1. Une histoire d'amour sans lendemain

Ce commandement sonne comme les tables de la loi du brainstorming qui en compte au moins 7. Bien connues depuis plus de soixante ans la créativité s’exprime mieux en groupe et à condition d’observer certaines règles. 

  1. Différer le jugement
  2. Ne pas tomber amoureux de sa première idée
  3. Encourager les idées folles
  4. Privilégier la quantité
  5. Etre visuel
  6. Rester concentré sur le sujet
  7. Ne tenir qu'ne seule conversation à la fois

Parmi elles l’une des plus importantes est probablement cette règle nº2, peut-être parce que c’est la plus difficile à observer. Parmi les 7 pêchés capitaux du créatif la règle n°2 est peut-être celle qui limite le plus la créativité. On retrouve souvent cette règle n°2 exprimée autrement, par exemple: ne pas se précipiter sur la solution ou construire sur les idées des autres.

Les séances de remue-méninges pour la résolution de problèmes complexes ou à l’occasion d’un atelier de Design Thinking ou d'innovation sont conçues pour inciter les participants à générer des idées nouvelles. De préférence des idées innovantes, originales, « out-of-the-box ». L'étape suivante consiste à classer et à hiérarchiser toutes ces idées et il est probable que le groupe ne vote pas pour la formidable idée inattendue que vous avez fièrement collée sur le mur. Que vous essayiez de vous justifier alors que le temps de la session est écoulé ou que vous restiez silencieux et frustré dans votre coin, il n’en demeure pas moins que votre cerveau n'aime pas ça du tout et qu’il vous plonge dans un état émotionnel déplaisant. Pendant que le groupe continue d'avancer, vous guettez la moindre occasion de prouver qu’ils auraient dû sélectionner votre idée, qu’ils ont eu tort de ne pas avoir vu sa fulgurance du premier coup. Bref, vous perdez votre temps et restez en arrière.

2. Comment s'en sortir

Avant de faire de vous le meilleur « brainstormer », quelqu'un qui sait construire sur les idées des autres, laissez-moi vous montrer pourquoi le fait de tomber amoureux de votre première idée n’est probablement pas votre propre décision mais une stratégie de votre cerveau pour économiser de l’énergie.

Les définitions de mots croisés ci-dessous sont un moyen amusant de vous faire prendre conscience de notre comportement dans ce genre de situations, du comportement de notre cerveau, devrais-je dire. J'utilise parfois cet exercice brise-glace pour faire prendre conscience au groupe de nos limites en matière créativité et de travail collaboratif.

Les mots-croisés sont en effet un bon exemple pour illustrer comment nous tombons amoureux de notre première idée et combien il est difficile de s’en échapper. Certaines définitions sont spécialement conçues pour cela. Elles nous orientent vers une fausse piste dont il est difficile de sortir. Parce que la plus grosse difficulté n’est pas d’avoir une idée, ni d’en tomber amoureux, mais plutôt de s’en détacher. Notre cerveau est câblé de telle manière que la première solution nous satisfait. D'un point de vue économique, c’est-à-dire combien votre cerveau consommera de l’énergie, il est plus facile pour lui de vous convaincre de continuer sur votre première idée plutôt que d'en chercher une autre ou de construire sur l’idée d’un autre. Mentalement, vous trouverez plus difficile de chercher des alternatives que de rester sur votre première idée.

En prenant conscience de cet état vous saurez à quel moment fournir un effort pour vous en sortir. 

3. Comment s'entrainer

Voici des exemples de définitions de mots-croisés.

1. Jaune et rouge (3 lettres)

2. Jeu de cartes (5 lettres)

3. Le temps du présent (4 lettres)

Prenez l'une d'entre elles.

Vous pouvez être sûr que l'auteur les a conçues pour vous orienter dans la mauvaise direction. Dans ces exemples, ce type d’image vous est certainement apparu à l’intérieur de votre boîte crânienne:






















(vous pouvez taper ces définitions sur votre moteur de recherche internet préféré, il confirmera vos impressions car ses critères de recherche sont basés sur la majorité des réponses) 

Mais voilà, aucune de ces premières impressions ne vous mènera à la solution. C'est là que votre capacité à vous échapper de votre première idée est mise à l’épreuve. Les techniques simples utilisées lors des sessions de créativité pourraient vous y aider. Les spécialistes du Design Thinking tenteront de se concentrer davantage sur la question - la définition, comme dans leur première phase de «recherche». Les personnes créatives joueront à inverser le sens des mots, les réduire ou les amplifier pour trouver de nouvelles pistes.

Dans le cas présent, essayons de séparer les mots dans chaque définition et de voir ce que cela donne. Ce simple changement d’état d'esprit pourrait déjà vous mettre sur la voie.

Explorons le sens détourné de chaque couleur prise séparément, « jaune » ou « rouge ». Cela ne nous ouvre t-il pas déjà des perspectives ? Rire jaune ? Voir rouge ? Non, cela ne donne rien ? Essayons autre chose. Qu'en est-il du jeu de carte ? Quels sont les différents sens des mots «  jeu » d’un côté et du mot «  carte »  de l’autre ? Qu’est-ce que nous donne le mot « présent » ? 

Dans la vraie vie (disons que vous faites vos mots-croisés sur la plage pendant que vos enfants pataugent dans l'eau), vous essaierez plutôt les définitions adjacentes, afin de trouver des mots qui croisent celui là. Si vous pouvez trouver certaines lettres par recoupement, cela vous donnera des indices pour résoudre le problème avec beaucoup moins d'effort. Après avoir placé une ou deux lettres, vous pourrez décider de revenir à cette délicate définition et de vous concentrer dessus de nouveau. Mais c’est sans compter sur votre cerveau qui continue à résister. 

Alors que vous vous concentrez à nouveau sur votre énigme, avant que vous l’ayez remarqué vos pensées seront revenues à la recherche d'une solution facile comme un élastique. Dès que vous manifesterez une volonté de réfléchir, votre cerveau vous ramènera à la solution la moins couteuse. Dès que vous voudrez vous attaquer au problème de sortir de la première impression, vous ne tiendrez qu’un instant et votre volonté (ou celle de votre cerveau ?) vous ramènera vers des stratégies plus abordables. Comme de laisser les mots venir à vous tous seuls, passer du temps sur les définitions adjacentes plus simples et procéder par recoupement.

Zapper n'est pas une mauvaise technique en soi, elle laisse votre cerveau fonctionner en tâche de fond, mais quand bien même vous reviendriez à cette première définition qui continue à vous tracasser, votre cerveau ne pourra se détacher des premières images. En relisant la définition pour la dixième fois, les images ci-dessus restent affichées dans votre tête alors que vous auriez voulu vous en éloigner afin de trouver d'autres pistes. Puis vous retournerez encore vers les définitions faciles pour procéder par recoupements. Revenir sur la définition qui accroche pour faire l’effort de sortir de la première idée est décidément trop rude. 

Que ce soit de vouloir échapper à la première impression ou de trouver des alternatives faciles, dans les 2 cas c’est l’élastique qui nous y ramène. L’effort intellectuel d’aller explorer l’inconnu sans méthode structurée (comme par exemple recadrer la question en Design Thinking) nous coûte. 

4. Réflexion

C'est exactement ce à quoi nous sommes confrontés lorsque nous tombons amoureux de notre première idée. Au cours d'une séance de brainstorming, vous aurez tendance à rester sur la première solution car c'est la stratégie la moins chère. L'expérience montre cependant que cela finit rarement par être un coup de génie et nous trouvons partout des spécialistes de l'innovation pour nous avertir de ce piège de l'amour. Cet effet de boomerang est bien connu et souvent paraphrasé « loi d'attraction gravitationnelle » (gravitational pull). Plus vous voulez vous en éloigner et plus cela vous coûte en énergie.

Je vous invite à constater sur vous même les mouvements de votre pensée, ses allers-retours entre la motivation à revenir sur la définition épineuse et tenter de s’écarter de la première image, au prix d’un effort de concentration (comme si l'on tendait un élastique) et la recherche de moyens plus simples comme regarder les mots adjacents plus faciles (qui détendent l'élastique) pour finir ces mots-croisés. Vous vous verrez en train de lutter contre cette loi d'attraction inévitable. A vouloir tendre cet élastique qui vous ramène inévitablement vers des stratégies plus reposantes. Mesurez la force de l’élastique. C’est celle qui vous attache à votre première idée et vous empêche de la quitter. 

Si vous pouvez le ressentir, capturez cette résistance gravitationnelle pendant ce mouvement de va-et-vient, vous pourrez dans d’autres occasions mieux détecter, surveiller et gérer de telles situations. Admettre que vous devez combattre cette résistance et vous décider consciemment d’y mettre un coup, de vous mettre au travail. C’est aussi là que le groupe est un atout puissant. Le solliciter c’est additionner les énergies quand la notre nous fait un peu défaut. 

5. Conclusion

Suivre notre instinct ne contribue pas toujours aux meilleurs résultats. Aujourd'hui, les neurosciences (ou ne serait-ce qu'en prêtant simplement attention à nos réactions, comment nous nous agissons individuellement ou en tant que membre d'une équipe) nous aident à comprendre nos comportements. Nous pouvons nous surveiller et mieux réagir, cela améliorera nos performances et nous rendra plus collaboratifs et créatifs.

Notre cerveau se comporte comme un boomerang dès que nous tentons d’échapper à la facilité. Tomber amoureux de notre première idée pourrait être un signe significatif que nous suivons notre instinct plutôt que de contribuer au travail du groupe. C’est là que la phase de recadrage de la question (reframing) aide à chacun à faire cet effort en la plaçant formellement dans l’organisation de l'atelier. 


SOLUTIONS: 1. MAO, 2. ATLAS, 3. NOEL

Michel Bernard

Directeur des finances

6 ans

Article très convaincant et fouillé. Qui, en effet, n'a pas déjà ressenti ce piège du cerveau lors de séances de groupe ? Penser réellement à plusieurs et non pas jouer une stratégie d'influence n'a rien d'instinctif... et pourtant, au delà des icônes géniales de l'Histoire des "progrès" humains, quand on creuse un peu, c'est bien plus souvent l'innovation collective, ancrée socialement et souvent très éloignée de l'eureka d'origine, qui s"impose dans le réel.

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