Un autre langage de communication?
Cet écrit est personnel, il peut évoluer dans le temps.
Je me souviens de cette vaccination. Le nourrisson devait avoir 4 ou 5 mois. Sa mère était originaire d’Amérique du Sud. Elle avait suivi son compagnon en France, laissant derrière elle toute sa vie passée dans son pays, confiant sa fille aînée à un membre de sa famille, sans trop connaître le moment de son retour.
Elle se retrouvait étrangère dans un pays qu’elle ne connaissait pas, où elle était isolée, dont elle ne comprenait pas la langue, avec de maigres ressources et elle avait suivi le père de son enfant alors que la situation affective du couple commençait à prendre l’eau de toute part.
Cette mère se retrouvait ainsi en insécurité complète, loin des siens.
Voilà qu’un médecin inconnu d’elle, communiquant avec elle dans une langue inconnue, s’approchait de la cuisse de son bébé avec une seringue munie d’une aiguille pour le vacciner.
Je ressentais de la panique chez elle, et elle ne se gênait pas pour l’exprimer avec tout son corps.
Je proposais alors qu’elle donne le sein au nourrisson pendant que je le vaccinais, le compagnon traduisait en espagnol.
Une étude que nous avions menée pour une thèse de médecine générale, avait conclu que les cris de l’enfant mesurés par un sonomètre lors de la vaccination étaient moindres lorsque la mère donnait le sein.
Voilà ainsi le nourrisson, la tête enfuie dans la poitrine de sa mère qui ne me voyait pas lors de mon approche ainsi « armé » de ma seringue.
La panique de la maman n’est pas pour autant amoindrie.
Au moment où je vais piquer la cuisse de l’enfant, je vois celle-ci se rétracter comme pour se protéger.
L’enfant à 4 ou 5 mois, n’a pas encore acquis le langage, il n’a aucun contact visuel avec moi.
La mère voit quant à elle, chacun de mes gestes.
Comment est-il possible que la mère transmette à son enfant qui est trop jeune pour comprendre son langage, que c’est cet endroit-là, je dirais même cette cuisse-là et non l’autre qui va être piquée par la seringue ?
J’exerce également dans un institut spécialisé dans les maladies neuro-dégénératives chez le sujet de moins de 60 ans.
Je me souviendrai toujours de ce monsieur de 52 ans, appelons le monsieur A., ancien marathonien, gaillard d’1m80, taillé dans la pierre qui avait perdu toute forme de langage. Il déambulait en marmonnant une langue qu’il était le seul à comprendre. Les mots que les soignants proféraient semblaient glisser sur lui et il semblait complètement perdu et hermétique à nos propos. Il ne comprenait plus le maniement des couverts à table, et ne savait plus non plus porter les aliments à la bouche, si bien qu’il était nourri à la cuillère, un peu comme les nourrissons par le personnel soignant. Il portait une grenouillère afin d’éviter qu’il ne joue avec ses selles ou les portent à la bouche ou encore qu’il urine au sol après avoir ôté sa protection.
L’atteinte cognitive était majeure, alors que sa capacité physique était encore à cette époque intacte.
Lorsqu’il déambulait dans le couloir marmonnant tout seul, chacun d’entre nous, les soignants, craignions de le croiser. En effet, malgré ses airs sympathiques, il pouvait tout à fait se jeter sur nous pour tenter de nous étrangler.
Par bonheur, il nous ignorait le plus souvent, mais chacun de nous en avait peur.
Il y avait eu plusieurs déclarations d’accident du travail dans cette institution du fait des troubles du comportement de monsieur A.
Et voilà qu’un jour, je le rencontre dans les couloirs.
J’aurais pu faire demi-tour, mais je ne sais pourquoi, ce jour-là, je décide de faire autrement.
Je me conditionne pour l’accueillir avec bienveillance et amour, et dès cette minute, je me souviens de ne plus craindre de le rencontrer.
Á ma grande surprise, lorsque nous nous croisons, il se jette sur moi, non pas pour m’étrangler comme à son habitude, mais bien au contraire pour se blottir dans mes bras en pleurant.
Je le câline, le regarde, et là, je remarque tout de suite que son regard a changé.
Á chaque fois que j’ai rencontré monsieur A. dans les couloirs, je me suis conditionné de la même manière, il ne m’a plus jamais agressé.
Il a fini par se dégrader et décéder comme toujours lors de l’évolution de ces maladies, c’est inéluctable.
Certains pourront me dire que c’est au niveau du langage non-verbal que la communication s’est établie entre nous deux.
Parlons également de madame B.
La situation de cette femme est comparable. Elle est beaucoup plus avancée dans la maladie que monsieur A.
Elle est couchée, maintenant en fin de vie. Sa conscience est altérée, elle est en coma vigile. Cela signifie qu’il est possible de capter son attention en la stimulant, c’est-à-dire en la touchant, en lui parlant, mais elle somnole la plupart du temps.
Nous avons décidé avec l’équipe soignante de lâcher prise et de l’accompagner vers une fin de vie apaisée.
Nous accompagnons bien sûr la famille qui est présente au complet à son chevet pour ses derniers instants, seule une fille habitant loin est encore absente. Elle rejoint celle-ci en avion, et elle habite vraiment à l’autre bout de la planète. Je susurre avec douceur dans l’oreille de la mourante que sa fille ne pourra pas être présente avant 17 h le lendemain, du fait de son arrivée en avion. Je lui demande de l’attendre.
J’ai bien sûr la certitude qu’elle ne comprend plus les mots que j’emploie, car cela fait déjà longtemps qu’elle ne comprend plus ce que nous luis disons, mais ne dit-on pas aux parents qu’il faut parler aux nourrissons, car, même s’ils ne comprennent pas les mots, ils comprennent le sens ?
Comme prévu, la fille arrive auprès de sa mère autour de 17 h, et cette dernière décède peu après, vers 18 h.
Comment expliquer ce qui s’est passé dans les trois exemples cités ?
En effet, dans ces tris cas, il n’y a pas de langage pour communiquer, et nous sommes tout de même dans cette capacité de communiquer l’un envers l’autre. Ce qui me questionne c’est que nous sommes dans cette capacité de nous comprendre malgré l’absence de mots et de phrases.
En ce qui concerne monsieur A., bien sûr il est possible d’évoquer le langage non verbal, les attitudes conditionnées par les intentions et les émotions.
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Qu’en est-il pour ce nourrisson, la tête enfuie dans le sein de sa mère, qu’en est-il pour madame B. en situation de coma vigile ?
Sur tout un autre registre, Rupert SHELDRAKE, docteur en science de l’université de Cambridge, chercheur à l’institut des sciences noétiques de Californie, nous partage des expériences similaires dans un livre paru en 1999, traduit en français en 2001 aux éditions du Rocher : Les pouvoirs inexpliqués des animaux - Pressentiment et télépathie chez les animaux sauvages et domestiques s-
Le Dr SCHELDRAKE nous explique à travers de multiples témoignages recueillis pour une étude, la capacité des animaux pour ressentir le comportement de leurs maîtres.
Ils sont ainsi capables d’attendre leur maître lorsqu’il rentre du travail, alors que l’horaire est différent de leurs habitudes. Ils l’attendent comme tout le temps à un endroit précis de la maison, dès le moment ou le maître prend un moyen de transport pour rentrer.
Ce n’est pas l’horaire d’arrivée qui compte, mais le fait que celui-ci prenne un transport pour revenir. Le chien, le chat les attendent à l’endroit habituel, de la manière habituelle alors que rien n’indiquait que le moment était venu de les attendre. Ce n’était pas l’horaire habituel, personne n’avait prévenu.
L’auteur cite de nombreux exemples dans son ouvrage sur les capacités pour les animaux de ressentir un changement d’habitude, de comportement de leur maître, et cela, à distance, c’est-à-dire sans aucun contact physique ou visuel, sans même entendre d’une manière quelconque le son de leur voix.
Cette communication particulière à distance, Rupert SHELDRAKE la dénomme « les champs morphiques ».
Évidemment, les milieux scientifiques basés sur l’expérimentation reproductible ne peuvent accepter cette théorie de communication.
Et pourtant...
En médiation humaniste d’accompagnement, nous travaillons de la même manière que nous pratiquons lors des stages de formation. C’est-à-dire que la personne qui se trouve en impasse thérapeutique après avoir tenté diverses psychothérapies nous consulte, en tant que médecin pour avancer suite à une histoire complexe qui les bloque. Il s’agit fréquemment de traumatismes pouvant remonter à l’enfance comme une éducation sévère voire violente, ce qu’Alice MILLER dénonce dans ses écrits par le terme de pédagogie noire. Il peut aussi s’agir de violence sexuelle comme des incestes ou encore de viols. Il peut encore s’agir de violence intra-familiale ou bien encore de manière moins délétère, de difficultés de couples ou intrafamiliales qui sont pourtant vécues comme étant des impasses.
Il est proposé à la personne qui vient avec ses difficultés qu’un des médiateurs présents endosse le rôle de la personne qu’elle estime à l’origine du conflit. Cela peut être une personne décédée, absente où avec laquelle le médiant demandeur trouve au-delà du possible une confrontation directe avec l’autre personne qu’il estime à l’origine de ses souffrances. Le genre n’a aucune importance, un homme peut endosser le rôle d’une femme et vice-versa.
L’espace de bienveillance proposé par la médiation permet avant tout aux médiants en souffrance de déposer leur histoire lourde et pleine de conséquences. Il s’agit souvent de la première fois où ils racontent leur histoire, alors qu’ils l’ont gardé pour eux, en silence, portant seuls les fardeaux de la culpabilité et de la souffrance engendrée.
Cette possibilité, qui leur est offerte, vient pour eux comme une délivrance. Ils peuvent enfin pousser ce cri contenu, empêché, sans jugement, sans le regard pesant des autres.
Car, il y a toujours de la culpabilité, surtout en matière sexuelle. N’entend-on pas, ne lisons-nous pas régulièrement que la personne victime a sa part de responsabilité, que parfois elle a été provocatrice, ne percevant pas bien les limites du possible ?
La médiation humaniste va plus loin que le fait de pouvoir déposer toute cette souffrance accumulée et tue. Elle permet aux médiants de se confronter à leurs zones d’ombre grâce à l’accompagnement des médiateurs dans le processus de médiation humaniste que j’ai décrit par ailleurs.
Il s’agit en quelque sorte, d’affronter cette part inconnue de moi, le chaos qui me fait prendre des décisions que je n’aurais pas prises en connaissance de cause.
La psychanalyse s’est intéressée à cette zone d’ombre selon des traverses différentes chez Carl Gustav Jung et Sigmund Freud.
Ce qui est intéressant pour cet article concernant un autre langage de communication entre les hommes, c’est la relation, le lien qui se noue entre le médiant et le co-médiant.
En effet, le médiant, celui qui apporte son histoire et sa souffrance, choisi le co-médiant parmi les médiateurs présents.
Ils ne se connaissent pas ou du moins leur rencontre se limite aux présentations d’usage.
Le médiant raconte en quelques mots de quoi il s’agit, puis il lui est demandé de choisir parmi les médiateurs la personne qui serait, selon lui, la plus à même d’endosser le rôle de l’autre, celui qui est accusé être à l’origine de la situation conflictuelle.
Il est étonnant de constater que quasiment à chaque fois, le choix du co-médiant ne se fait pas par hasard, de constater que la personne ainsi choisie comporte dans sa propre histoire une similitude avec celle de la personne ayant défini son choix. Il ne s’agira pas bien sûr de la même histoire, de la même situation, mais tout de même, il va y avoir quasiment à chaque fois quelque chose de cette histoire qui va toucher le co-médiant du fait de cette similitude.
Un autre aspect surprenant que l’on rencontre dans ce processus, c’est que le médiant, lors du débriefing, va souvent révéler qu’il avait la sensation d’être face à son père, sa mère disparus lors de cette médiation, etc.
Il est souvent dit que le co-médian a exprimé des éléments qui n’avaient pas été partagés lors des échanges préparatifs à la médiation entre le médiant et le co-médiant.
Cette situation est aussi perturbante que celle du nourrisson qui rétracte la cuisse avant la piqûre alors que le seul lien qu’il entretient à ce moment-là est le contact avec la mère, sans aucun contact visuel avec l’opérateur.
Que s’est-il passé pour que le médiant choisisse comme co-médiant une personne qu’il ne connait pas et qui se trouve quelque part en lien avec son histoire ?
Que s’est-il passé entre eux pour que le médiateur qui endosse le rôle d’un autre puisse se trouver dans un espace de transaction qui n’est pas le sien et donner le change à une personne qu’il ne connaissait pas avant cette rencontre ?
Je crois que nous avons tous cette possibilité de communiquer entre nous d’une autre manière que celles du langage verbal où de l’expression corporelle, comme l’a observé Rupert SHELDRAKE avec ses champs morphiques.
Nous avons tous cette possibilité, et nous en avons perdu le chemin, du fait d’avoir tout misé sur le langage verbal. Notre société, notre manière de vivre aujourd’hui nous en éloigne d’autant plus par le développement de tous ces moyens de communication à distance : internet, les mails, les SMS, etc.
Rappelez-vous des patients Alzheimer dans leur capacité retrouvée de communiquer autrement.
Sans avoir trouvé le mot pour le nommer, je l’appelle pour le moment un autre langage, le terme métalangage étant déjà employé. Il s’agit d’un langage qui est au-dessus des conventions que nous avons l’habitude d’employer comme le langage verbal et le langage non verbal. Peut-être le terme de supralangage ?
Je laisse aux spécialistes en linguistique de nous aider à définir les termes appropriés.
Quoiqu’il en soit, je n’ai pas de toute évidence, de réponse précise à donner à ce questionnement.
Alain DELUZE. Novembre 2023
Bachelor of Laws (LL.B.) at University of Adelaide
1 ansMerci Alain Deluze pour cette discussion. Cela m’intéresse beaucoup
Médiateur du courant humaniste- gérant de société (Retail Park en région de Nancy)
1 ansCe teste est un peu long pour Linkedin. lisez le tout de même que vous soyez médiateur, thérapeute, etc. C'est un vrai questionnement sur la manière dont nous communiquons. Il existe indéniablement un autre canal que le langage verbal et le langage non verbal. n'hésitez pas à réagir et à partager....