Un sommet pour la paix en Ukraine sans aucune paix en vue


Isabelle Lasserre

Le Figaro

15/06/2024


Comme pour danser le tango, il faut être deux pour faire la paix. À quoi peut donc bien servir un sommet consacré à la fin de la guerre en Ukraine sans la participation de la Russie, qui n’a pas été invitée dans le luxueux « resort » de la montagne du Bürgenstock, au centre de la Suisse ? À tout, sauf, justement, à faire la paix.

La grande réunion de Lucerne, qui avait été demandée par Volodymyr Zelensky, a été torpillée vendredi avant même son ouverture. Vladimir Poutine a pris la parole devant les cadres de son ministère des Affaires étrangères pour dénoncer un « stratagème » destiné à « détourner l’attention de tout le monde » des véritables responsables du conflit, que son révisionnisme désigne comme étant les Occidentaux et les autorités de Kiev. Il a exigé la reddition de l’Ukraine et posé ses conditions pour une paix négociée : le retrait des troupes ukrainiennes des quatre régions annexées par la Russie (Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia), y compris les villes de Kherson (300.000 habitants) et de Zaporijjia (700.000 habitants). Autre précondition : l’Ukraine doit aussi abandonner son projet d’adhésion à l’Otan. Alors « nous donnerons immédiatement, à la minute même, l’ordre de cesser le feu et d’entamer des négociations » affirme Vladimir Poutine.

Pour ceux qui en doutaient encore, cette demande de capitulation de l’Ukraine est une nouvelle confirmation que le président russe ne veut pas la paix avec Kiev. Pas seulement car c’est la guerre qui le maintient au pouvoir. Mais aussi parce que sur le terrain, les forces russes sont en position de force et grignotent chaque semaine du terrain face aux Ukrainiens qui manquent à la fois d’armes et d’hommes. Et ensuite parce qu’au niveau diplomatique, Vladimir Poutine espère la réélection de Donald Trump en novembre prochain, dont il pense qu’elle lui sera favorable. À moyen terme donc, au moins jusqu’à l’échéance électorale américaine, ce sont les rapports de force et seulement eux qui vont continuer à s’imposer sur le dossier ukrainien.

À quoi cela sert-il, dans ces conditions, d’organiser un sommet dont on sait qu’il ne pourra tenir ses promesses, malgré la participation d’environ 90 chefs d’État ou de gouvernement ? « À plein de choses », répond un haut fonctionnaire ukrainien. À souder davantage encore les alliés de l’Ukraine autour de son président, qui tout en faisant la guerre chez lui se présentera comme le seul homme de paix des deux parties. La réunion ambitionne aussi d’établir une feuille de route qui servira, le jour venu, à ouvrir des négociations ainsi qu’une voie vers « une paix juste et durable ». À défaut de progresser sur le terrain, l’Ukraine veut gagner la guerre diplomatique contre la Russie.

La conférence s’appuiera sur le plan de paix en dix points de Volodymyr Zelensky, présenté fin 2022. Il stipulait notamment le retrait des troupes russes des territoires occupés, le rétablissement de l’intégrité territoriale de l’Ukraine, l’organisation d’une justice internationale pour juger les criminels russes et l’établissement avec les Occidentaux d’un nouveau système de sécurité en Europe. Pour assurer un minimum de consensus entre les participants, ce sont d’abord les sujets suscitant le moins de polémique, comme la navigation en mer Noire ou la sûreté nucléaire, qui seront abordés. Le retrait des troupes russes, les réparations financières et la justice internationale n’interviendront que dans un deuxième temps.

L’objectif affiché par Volodymyr Zelensky d’élargir le soutien à l’Ukraine aux pays du « Sud global », paraissait en revanche compromis avant l’ouverture du sommet, en dépit des gros efforts faits par le président ukrainien pour convaincre les dirigeants de faire le déplacement en Suisse. Car si l’Inde a annoncé sa probable participation, la Chine et le Brésil ont dit non. Comme de nombreux pays du Sud, qui n’ont pas pris de sanctions contre la Russie et se placent volontairement dans sa sphère d’influence. La Russie a tenté de saper la conférence de Lucerne, objet de tous les mépris et qualifiée par le Kremlin « d’opération de relations publiques de l’Occident » vis-à-vis de l’Ukraine.

Envers les pays neutres qui hésiteraient, l’ancien président Dmitri Medvedev a même brandi la menace : « Nous nous en souviendrons », a-t-il dit. Et depuis plusieurs jours, des cyberattaques ont été lancées contre la Suisse. Volodymyr Zelensky a aussi accusé la Chine d'« empêcher » des pays de participer au sommet. Alors qu’une moitié des participants seront Européens, et une grande partie des autres, comme le Canada ou le Japon, acquis aux thèses de l’Ouest, le risque est grand de voir se transformer le sommet pour la paix de Lucerne en une nouvelle réunion des pays occidentaux, avec le risque d’agrandir encore la division du monde en deux.

Les positions des Russes et des Ukrainiens étant pour l’instant inconciliables, les diplomaties occidentales ne s’attendent pas à une percée diplomatique en Suisse. Joe Biden ne s’y est pas trompé, qui se fera représenter par sa vice-présidente Kamala Harris. Il était là en revanche au G7, où se sont conclues des affaires politiques plus importantes, comme la signature d’un accord bilatéral de sécurité, qui engage l’assistance militaire américaine à l’Ukraine pendant dix ans…

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