Un trésor templier en Périgord ?
L'église Saint Jean -Baptiste à Saint-Nexans.

Un trésor templier en Périgord ?

- Je te récupère à midi et demi ! lui avait-elle lancé, avant de se fondre dans la foule du samedi matin. Il l'attendrait donc à la bibliothèque municipale, place Bellegarde, à deux pas du marché. L'endroit était spacieux, les fauteuils confortables, la littérature abondante. Il prit distraitement un livre. C'était un ouvrage abondamment illustré, avec des cartes et des photos d'églises médiévales. Les sites Templiers de France y étaient répertoriés. Il chercha les emplacements de commanderies, maisons, fermes ou granges templières de son département. Autour de Bergerac, à part Puylautier estampillé « commanderie principale », Pomport et Saint Avit-de-Moron « autres sites templiers importants », c'était assez décevant. Rien autour de Bergerac ? Au moins, sa ville n'était-elle pas marquée à l'encre rouge du sceau infamant d' » Origine templière douteuse » comme B...S, C...T ou S...T la C...A. Mais Domme avait sa « Prison templière » Combeys son « Hôpital templier », Abjat son « Château templier » et même, Bonnefare son « Trésor templier » ! Il allait refermer le bouquin, un peu vexé, quand une des photos l'intrigua. Une « Chapelle de Saint-Jacques «  à Saint-Alban, dans les Côtes d'Armor lui rappelait bizarrement une petite église romane des environs. Mais où et laquelle ?

Il revint vers les rayonnages poser l'ouvrage. « Lou boun cantou », un recueil de recettes locales, avait pour jaquette la partie méridionale d' un plan ancien du Périgord. Cela attira son attention. Il chercha du regard, parmi les vignes, bois, prés, tours, villages et la myriade de lieux-dits, les églises du Bergeracois. Son survol visuel fut bientôt arrêté par une chapelle figurée différemment. Au lieu d'une simple croix sommant un clocher comme les autres, celle-là en portait une comme décrite dans le livre des Templiers. Le nom « St Naissent » localisait l'endroit, au sud est de Bergerac. Mais oui, l'église de Saint-Nexans, c'est à elle que ressemblait la chapelle bretonne ! Le déjeuner fut vite expédié. L'après-midi, il se rendit illico au pied de la petite église. Il en examina la muraille. Sur l'un des côtés, à environ deux mètres cinquante de hauteur, une croix était sculptée dans la pierre avec une inscription que le temps avait rendu illisible. La croix avait été endommagée et, la pierre usée ayant éclaté par endroits, le texte était incompréhensible. Il en saurait plus ; le soir venu, il y retourna. Le lieu étant désert, s'aidant d'une échelle dénichée dans un appentis proche, il reproduisit sur une grande feuille de papier, en frottant la mine d'un crayon, l'empreinte de la pierre gravée.

Tous ses samedis, pendant près d'un an et les deux heures de marché, il les passa, studieux, à la bibliothèque. Et il avançait dans ses recherches. En quelques mois, il devint un érudit des traditions templières. Chaque nuit il se mit au latin, sed nulla ei defatigatio molestiae erat. L'héraldique, la sigillographie et l'architecture militaire médiévale n'eurent non plus pour lui aucun secret. Les bulles papales de Clément V, il les parcourait désormais comme des articles du « Démocrate » et il aurait pu traverser la forteresse de Tortose à reculons, les yeux bandés. Cette croix bien abîmée était-elle « potencée » comme le symbole des Templiers ou « pattée « comme celle de l'Ordre de Malte ? Car un marteau révolutionnaire avait rageusement défiguré la sculpture. C'est que le détail des branches de cette croix avait son importance. Les Chevaliers de Malte, à la fin tragique des Templiers semblaient en être les successeurs temporels et spirituels : ayant hérité de leurs bâtiments, conservé leurs documents, adoptés leurs rites, n 'en avaient-ils pas aussi recueilli les secrets ? Ne furent-ils pas, alors, les dépositaires d'un possible... trésor ? La croix gravée était de Malte. Il en eut soudain la conviction. Saint-Nexant devenait un site d'une importance capitale !

Devant sa pierre de papier, il ne dormait plus, agençant des mots de mille façons. Là où l'ignorant n'aurait vu que de grossières entailles, il décelait des pleins et des déliés et retrouvait dans de sommaires sillons des caractères d'écriture romaine. Ses longues nuits d'interprétations calligraphiques et typographiques lui firent retrouver des lettres, puis ébaucher des mots : SATI(...) EST REVERTERE (..) FORTUNA(...) INVENI(...) Il put enfin composer une phrase : SATIS EST REVERTERE UT FORTUNAS INVENIAS « IL TE SUFFIT DE TE RETOURNER POUR DECOUVRIR LA RICHESSE. » - Alleluia ! ( interj. : acclamation de joie, cri de louange et d'allégresse ) lança-t-il. Gloria in Excelsis Deo ! ajouta-t-il même, dans un souffle, plein de gratitude. » Il revint à Saint-Nexans. Soudain inspiré, il se plaça dos à l'inscription. Devant lui s'étendait un vaste paysage valonné de prés, de vignes et de forêts que le mitage des résidences pavillonnaires n'a pas encore atteint. Il n'eut plus de doute. Cest là qu'il fallait chercher. Il s'était équipé d'une boussole, d'une carte d'état-major et d'une lampe électrique, bien décidé à quadriller le terrain avec rigueur. Il prit la direction de l'axe que lui indiquait la pierre. C'était la route du Bignac. Après deux ou troix kilomètres de marche, son oeil exercé décela, presque invisible de la route, un bâtiment ancien assez imposant. Aucun doute, c'était une maladrerie du XIIème ou du XIIIème siècle. Il s'approcha de ce que d'autres auraient pris pour une grosse ferme. C'était bien la configuration d'un hôpital templier, solidement campé loin du bourg, sur un promontoire rocheux, à la croisée de chemins, où le lépreux avait dû être recueilli et le pèlerin accueilli.

Il attendit la nuit. Faisant le tour de la muraille, passés d'énormes contreforts de pierre, il se trouva bientôt dans une partie en ruine, une espèce de grange. Paille et foin moisis attestaient de l'abandon du lieu. Trois marches conduisaient à un passage étroit et bas. Il s'y glissa. Ce qui semblait remise, puis long couloir se révéla vite tunnel. Il se mit donc en route. Sous la voûte, il marcha longtemps. Parfois, le boyau débouchait dans un pré. Mais un peu plus loin, une nouvelle galerie apparaissait, dissimulée sous ronces et genêts. Son cheminement souterrain dura bien une heure. Enfin, il poussa une porte poussiéreuse de planches disjointes. Il gravit un vieil escalier de pierre. Il entra dans une grande salle. Sa lampe éclaira un scintillement d'objets. De véritables trésors y étaient, en effet, amassés. Sur des étagères branlantes, apparurent d'abord les boîtes métalliques de l'infirmière du Cacao Drooste et du tirailleur souriant de Banania. Puis Olida, Lustucru, Amora, et Nestlé brillèrent à la clarté de sa lampe sur des emballages et des paquets. Des centaines de bouillons Kub, de potages Maggi et de lames Gillette. Des pastilles Valda et des cachous Lajaunie. Et toute une ménagerie de vaches rouges rigolardes exhibant des boucles d'oreilles en carton, d'éléphants du Nil, de cigognes Alsa, de chiens Suchard, d'ours Tobler et de poulains gambadant sur leur emballage orange. A la rencontre de ces noms, il se rappela ses parents, sa famille, sa petite enfance... et comme il était bien avec sa maman. Dans des bocaux, les Carambars, les Malabars, les réglisses Zan et les sucettes Pierrot Gourmand que son père lui achetait chez Madame Audry. Une petite fille avec des couettes, le dos tourné, écrivait « MENIER » sur un mur luisant jaune et bleu, observée par un petit collégien en pèlerine croquant un biscuit LU. Dans la pièce obscure, un parfum de chicorée s'exhalait des paquets Leroux et se mêlait à la lavande de bouteilles d'eau de cologne et au parfum de la brillantine Forvil. Des papous Mi-Cho-Ko en plastique noir de la Pie-qui-chante et les oeufs-surprises de Cadbury semblaient avoir attendu ce visiteur toutes ces années, près des albums « Les belles chansons de France » et « Les merveilles du monde » où il collait les images des plaques de chocolat. Il se retrouvait à l'école primaire et égrénait leurs noms à l'apparition des visages de ses copains. Ah, la douce nostalgie d'une belle enfance ! Il soupira, l'oeil humide. Il s'extraya enfin de la boutique, fermée depuis plus de quarante ans. Il en fit le tour. Sur la façade, il parvint à déchiffer (n'était-il pas chartiste ?) les inscriptions « épicerie-tabac-restaurant ». Il leva les yeux dans la nuit. Dans le haut du bourg, se découpait la silhouette de la chapelle de St-Nexans qui semblait le regarder.

Il retrouva sa voiture et rentra chez lui. Il devait bien être minuit. Rendu perplexe par son aventure, il reprit son texte et se remit à sa version latine. SATI(...) EST REVERTERE (...) FORTUNA(...) IUVENT(...) Scrutant à nouveau les caractères usés, il prolongea de son crayon des bâtonnets, combla des espaces, risqua d'autres jambages. Une autre phrase apparut : SATIUS EST REVERTERE AD FORTUNAM IUVENTUTIS. « IL EST SOUHAITABLE DE REVENIR POUR APPROCHER LE BONHEUR DE SA JEUNESSE. » La pierre avait tenu sa promesse. Cette nuit-là, il dormit comme un enfant.

Aucun texte alternatif pour cette image












Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Jean-Pierre Got

  • Bergerac sur le pont.

    Bergerac sur le pont.

    L'an prochain, le Vieux Pont de Bergerac aura deux cents ans. Construit en 1825 sur le modèle du Pont de Pierre de…

  • Saute-Ruisseau (s. m. // Garçon de courses).

    Saute-Ruisseau (s. m. // Garçon de courses).

    Le Sport Nautique de Bergerac (SNB), ancienne Société des Régates fondée en 1860 est l'un des premiers clubs d'aviron…

  • Full posters for Half Marathons

    Full posters for Half Marathons

    In 2004, Californian Matt Dockstader founded the first Napa to Sonoma Wine Country Half Marathon. It has now grown into…

    1 commentaire
  • Une table de rive à rive

    Une table de rive à rive

    C'est une solide tradition bergeracoise qu'organise l'Association Madeleine du quartier rive gauche à Bergerac. Dès 19…

  • On the "American Riviera Orchard" Logo: an abstract interpretation.

    On the "American Riviera Orchard" Logo: an abstract interpretation.

    We do know that the graphic mark of a company promotes its public identification while depicting the identity and…

  • Retour à la maison.

    Retour à la maison.

    Après Bordeaux, la Californie et la Chine, je reviens dans mon Bergerac natal..

    1 commentaire
  • Par ici, la bonne soupe !

    Par ici, la bonne soupe !

    C'est une pièce de théâtre si souvent jouée que les affiches en sont innombrables. Vaudeville et critique féroce des…

  • Affiche ratée et affiche réussie !

    Affiche ratée et affiche réussie !

    C'est placées côte à côte et vantant des produits comparables ou traitant du même thème que les affiches publicitaires…

  • Back to Wine Posters!

    Back to Wine Posters!

    What a long strange trip it’s been. Not since 2018 has the Hallowine Run been held as a live race.

  • Cherche lieu d'exposition

    Cherche lieu d'exposition

    Je suis à la recherche d'un lieu d'exposition permanente pour l'ensemble de ma production picturale "Des affiches du…

Autres pages consultées

Explorer les sujets