Une brève histoire sociale des mouvements féministes
Source : https://lecourrier.ch/2020/06/08/pas-de-retour-a-la-norme-male/

Une brève histoire sociale des mouvements féministes

À l'occasion de la journée du 8 mars qui célèbre internationalement les droits des femmes, j’avais eu envie de rendre hommage à ces mouvements féministes à qui on doit tant en racontant sommairement leur histoire occidentale et récente.

Pré-féminisme (15ème-19ème siècle)

L’origine du terme « féminisme » semble remonter en France au 18ème siècle mais les questions sur la place des femmes dans la société se posent déjà dans des ouvrages datant de la Renaissance (15ème siècle). La pensée humaniste qui se développe à ce moment souligne le fait que nous sommes tous égaux en tant qu’être humain. Des voix s’élèvent pour défendre les femmes dans ce contexte. Mais celles-ci restent considérées comme naturellement inférieures et sont traitées politiquement comme des mineures. L’affirmation « tous les êtres humains sont égaux » n’améliore le sort que des hommes, en définitive.

Olympe de Gouges (1748-1793)

Au 18ème, Siècle des Lumières, la société se transforme considérablement sous le coup des révolutions industrielles successives. C’est l’époque de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’Homme. Cette période révolutionnaire voit l’émergence de nouveaux textes pré-féministes (on peut citer Olympe de Gouges). En France, avec l’instauration de la 1ère République, le sort juridique des femmes s’améliore au début du 19ème siècle : le mariage devient un contrat civil et les droits d’héritage et de divorce leur sont donnés. Rapidement après, Napoléon Bonaparte prend le pouvoir et son code Napoléon de 1804, précurseur du code civil actuel, retire ces droits aux femmes. Un peu plus tard, en 1816 sous la Restauration, le droit de divorce est retiré aux femmes. En Europe, de nombreux pays s’inspirent du code Napoléon (qui est lui-même une réelle évolution dans le domaine du droit) et adoptent de nouveaux textes législatifs limitant les droits des femmes. Ces interdictions qui étaient avant de l’ordre de la coutume sont maintenant inscrites noir sur blanc dans des codes juridiques.

Muselées plus durement, les idées féministes vont refleurir à la fin de ce siècle lorsque la 4ème Révolution industrielle impose les usines et le salariat et que naissent partout des revendications démocratiques et populaires.

Les mouvements qui apparaissent au 18ème siècle pour défendre les droits sociaux des femmes ne prennent pas tous les mêmes lignes idéologiques. Le courant égalitaire né de l’humanisme insiste sur le fait que hommes et femmes sont également des humains et qu’ils doivent donc être égaux en droit, fondamentalement. Le courant dualiste ou essentialiste défend au contraire le fait que hommes et femmes sont par nature différents mais que les différences proprement féminines doivent être valorisées.

En termes de classes sociales, les nouvelles femmes bourgeoises réclament le droit à l’éducation alors que les nouvelles femmes ouvrières ou femmes d’ouvriers revendiquent plus de liberté et de partage dans le domaine domestique. Tous ces mouvements pourtant féministes ne convergent pas forcément.

1ère vague féministe (1850-1945) : le droit de vote

Cette 1ère « vague » de mouvements féministes est appelée ainsi a posteriori par les féministes américaines de la 2ème vague dans les années 1960 lorsqu’elles font l’histoire de leur mouvement et le sépare en différentes phases historiques. En Europe et aux États-Unis, son début est fixé quand les premières associations féministes apparaissent (environ 1850) et se termine quand les femmes gagnent le droit de vote, un pays après l’autre (environ 1920-1945).

Le Royaume-Uni est perçu comme le berceau de la 1ère vague. On se souvient des suffragettes anglaises, groupe féministe qui milite alors pour l’accès des femmes au droit de vote de manière parfois violente, souvent illégale. La répression brutale qu’elles subissent les érige en un symbole social fort de ces luttes féministes.

Les suffragettes londoniennes

Jusqu’à la première Guerre mondiale, les associations, congrès, fédérations, conseils et unions féministes fleurissent dans le sillon des mouvements révolutionnaires. Mais la guerre arrive, les hommes doivent partir au front et les femmes doivent participer à l’effort de guerre en se mettant au travail. Cette implication leur donne une forme de reconnaissance et beaucoup de pays adoptent le droit de vote pour les femmes dans la période qui suit la guerre. D’un autre côté, celle-ci a décimé les populations et les mouvements féministes acceptent sans trop ciller les politiques natalistes qui suivent. Les mentalités n’ont pas fondamentalement évolué sur la place des femmes : elles doivent être au foyer, soumises à leur mari, donnant à la nation de nombreux enfants.

Les mouvements féministes s’essoufflent après l’acquisition de ce droit civique, la récession, puis la 2ème Guerre mondiale. Il faut attendre les années 1960 pour que ces questions de la position et des droits des femmes trouvent un nouvel essor.

Durant cette 1ère période, le féminisme prend de multiples couleurs : le féminisme des bourgeoises protestantes, puritaines, qui demande l’accès à une meilleure éducation pour les femmes, condition de leur émancipation. De là aussi les revendications concernant l’accès pour les femmes aux sphères de pouvoir. Le féminisme marxiste et socialiste de l’autre côté qui se développe en parallèle de ces nouvelles idéologies politiques. Critiquant fermement le capitalisme, source de leur aliénation, ces femmes réclament la liberté dans la vie conjugale, le droit à l’égalité salariale et professionnelle, le droit d’avoir une existence juridique propre et bien sûr le droit de vote. D’autre part, des associations de féministes noires émergent aux États-Unis en réaction aux mouvements féministes conservateurs des femmes aisées blanches. Ces luttes féministes s’additionnent donc à d’autres combats sociaux liés à d’autres caractéristiques comme la « race » à cette époque ou les classes sociales.

2ème vague féministe (1960-1970) : le droit à l’avortement

Durant 40 ans, les mouvements féministes ne disparaissent pas mais faiblissent. Après la 2ème Guerre mondiale, les pays se reconstruisent et l’économie mondiale flambe. La natalité aussi (la génération des fameux baby-boomer). Les mouvements pour la libération des mœurs (Peace & love, mai 68) permettent aux féministes de revenir sur le devant de la scène avec de nouvelles problématiques. Si les féministes de la 1ère vague étaient plutôt focalisées sur les droits civiques et fondamentaux, celles de la 2ème vague vont lutter pour la libération sexuelle, le droit à disposer de son corps (contraception et avortement), les violences sexistes (harcèlement sexuel et viol conjugal) ainsi que la reconnaissance du travail domestique.

Le texte désigné fondateur de cette période est l’essai de Simone de Beauvoir « Le Deuxième Sexe » paru en 1949. À partir des années 60 et sur l’inspiration de ces théories, les féministes américaines s’organisent en groupe et font de nombreuses actions militantes. En France, Simone de Beauvoir rédige en 1971 le Manifeste des 343, pétition signée par 343 femmes ayant subi un avortement. À l’époque, ces femmes risquaient des poursuites pénales pour ce délit. 4 ans plus tard, Simone Veil arrive à faire passer sa loi donnant le droit à l’avortement pour toutes les femmes (loi Veil du 17 janvier 1975). Peu de temps avant, les luttes féministes avaient également permis de gagner le droit à la contraception. Des progrès ont été réalisés dans d’autres domaines, comme l’égalité salariale ou le droit du divorce.

Marche féministe pour le droit à l'avortement

Cette 2ème vague féministe est elle aussi traversée par des divisions et se veut idéologiquement révolutionnaire : le patriarcat doit être aboli, la phallocratie aussi, tout le système social structuré par la domination masculine doit être repensé sans concession. Certaines féministes (plutôt blanches) se disent radicales, postulant que les femmes sont biologiquement différentes des hommes et doivent être reconnues dans cette spécificité quand d’autres (plutôt de couleur) se disent du Mouvement de libération des femmes et décrivent la féminité comme n’étant qu’une construction sociale, un genre à déconstruire. De même, c’est à ce moment que le black feminism gagne en visibilité, ces femmes expliquant qu’en plus des discriminations sexistes, elles subissent aussi des discriminations raciales, parfois au sein même des mouvements féministes. S’inspirant du marxisme, certaines pointeront du doigt le fait que ces deux types de violence s’ajoutent aussi parfois à des violences capitalistes. Ces discours sur l’intersectionnalité des luttes annoncent la 3ème vague féministe.

3ème vague féministe (1980 – 2012) : intersectionnalité et théorie queer

La radicalité de la 2ème vague ainsi que les revendications spécifiques toujours plus nombreuses de femmes ayant d’autres identités à porter (sexuelle, ethnique, handicapée, etc.) donne lieu à de nouveaux terrains de progression pour les féministes. Cette 3ème vague semble en effet être un approfondissement de la 2ème et il paraît plus difficile d’en trouver une cohérence idéologique.

Les années 80 marquent le début de la fin des Trente Glorieuses, cette période de croissance économique fastueuse d’après-guerre. C’est le début d’Internet, et donc d’une nouvelle identité mondiale pour chacun. C’est aussi le SIDA, la récession, le début du néolibéralisme et de la dislocation des droits du travail qui y sont associés. Les conditions de vie et de travail se sont modifiées, les formes de familles évoluent, l’information circule plus vite, les technologies se développent à une vitesse folle. Les générations qui naissent à cette époque (génération X, génération Y) sont imprégnées de ces débats féministes, ils sont plus qu’avant éduqués sur cette problématique.

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Sous l’impulsion de féministes de couleur comme l’afro-américaine Bell Hooks, les analyses intersectionnelles des oppressions (sexe/race/classe) se développent. L’identité sexuelle et la question gay/lesbien/trans devient un prisme de lecture important des luttes féministes : il faut déconstruire l’hétéronormativité qui fonctionne en fait comme un système politique discriminant. C’est la Théorie queer de Judith Butler. Les questions de sexualités en général sont remises en avant : plaisir féminin, prostitution, transidentités, pornographie. Plus globalement, tous les espaces réels et symboliques desquels peuvent être exclues les femmes sont réinvestis : le monde artistique et le show business, les médias, la publicité, la rue et l’espace urbain, les sphères de pouvoir, les règles de grammaire, le sport, etc.

Cette 3ème vague est encore plus que les autres marquées par des divergences d’opinions au sein des mouvements féministes qui veulent chacun représenter les identités hybrides et complexes des femmes et la diversité des expériences et réalités sociales auxquelles elles sont confrontées.

4ème vague féministe (2012 – aujourd’hui) : #metoo

Cette vague se caractérise par une évolution socio-technologique majeure : l’utilisation massive des réseaux sociaux dans les luttes militantes, en particulier de Twitter. Les militants et militantes sont adolescents et jeunes adultes, fruits de cette génération appelée snowflake, extrêmement sensibles à ces questions de discrimination sexiste et raciste de même qu’à la justice sociale en général.

Les réseaux sociaux permettent la création de # spécifiques (#metoo en est le plus connu), les informations circulent plus vite que jamais et la question féministe se démocratise fortement chez le public habitué à utiliser ces outils technologiques. Ce 4ème mouvement féministe se préoccupe beaucoup de harcèlement sexuel, au travail, dans la rue, dans les foyers. L’affaire Weinstein qui découle du mouvement #metoo en est l’exemple fort. Il met en avant le droit des femmes à disposer de leur corps et à être respectées grosses, handicapées, poilues, dénudées ou habillées. Par le biais des médias virtuels, ces féministes dénoncent la justice patriarcale et se saisissent de cas judiciaires emblématiques (par exemple Jacqueline Sauvage). Les violences conjugales et la lutte contre les féminicides, vielles revendications féministes, sont dénoncées dans des terminologies actualisées.

Cette 4ème vague féministe dépend beaucoup des réseaux sociaux et ne s’organise que très peu en réseaux militants concordants. Ces outils de communication favorisent les messages courts et polarisants qui font du buzz. De manière différente mais au même titre que les vagues précédentes, les mouvements féministes ne convergent pas forcément. La lutte intestine affronte aujourd’hui des féministes toujours radicales et d’autres intersectionnelles, dont des féministes musulmanes dans un contexte de méfiance envers l’islamisme. Les combats LGBT+ ont pris une grande ampleur. En contrepartie, des mouvements de défiance envers les féministes ont émergé, les masculinismes, voulant rassurer les hommes sur leur rôle social et sur leur identité virile. Ces luttes idéologiques virtuelles sont parfois d’une grande violence (les mouvements Woke en sont un bon exemple).

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Nous devons tous beaucoup à toutes ces femmes et aussi à ces hommes qui se sont engagés et s’engagent encore dans ce combat pour l’égalité. Je terminerais par cette citation imputée à Simone de Beauvoir dont je n’ai pas pu retrouver la référence mais qui va bien ici : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. ».

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