Les aventuriers de l'âme perdue
Et si tout le travail des médecins de l'âme de demain et d'aujourd'hui était de reprendre la quête commune des aventuriers de l'inconscient. Pour ma part Jung est inaudible sans Freud et inversement. Telle est notre hypothèse, notre fil d'Ariane et j'aimerai la partager et discuter avec ceux d'entre vous qui travaillent sur cette rencontre qui aurait pu et qui aurait dû décider d'un tout autre occident. Dans un monde où pullulent les théories et thérapies psychiques, je suis certain que nous n'avons pas tiré toutes les leçons de ce laboratoire de l'âme humaine. Les premiers jours de la psychanalyse ont été un tournant de civilisation qui ne dit pas son nom. En même temps qu'ils développaient leurs outils et leurs préconisations thérapeutiques ils allaient plus loin vers les fondements et la structure de notre psychisme, dévoilant la nature de l'énergie psychique (libido aux milles visages et pas seulement sexuelle), spatialisant l'appareil psychique avec des instances ( sur-moi, anima, ça , soi etc...)
Mais trop souvent et par manque de retour aux textes on prend le paysage de l'histoire des idées pour argent comptant. Ce décor où se joue une scène qui nous empêche de penser la vérité d'une époque. On nous vend un héritage déchiré et déchirant avec deux paradigmes concurrentiels soit vous êtes freudien soit vous êtes jungien. Mais si on voyait plutôt deux modèles qui se complètent voir qui s'intègrent. Comme l'ont essayé certains avant nous il nous faudra réconcilier ces deux théories, comprendre pourquoi les topiques freudiennes sont à compléter avec celles cachées jungiennes.
Jung le confessa en fin de vie et voyait la complémentarité des approches différentes du développement du système psychique, seulement voilà le "dauphin" désavoué avait laissé trop d'amertume et laissé la place à trop de brillants disciples pour refaire marche arrière. Quand deux génies se croisent l'ancien ne cèdera que si le dauphin reprend l'héritage tel quel. Freud était un grand maître mais Jung n'avait pas la stature d'un simple disciple.
Leurs approches parviennent malgré une base phénoménologique commune (les souffrances psychiques) à des résultats bien différents. Mais grâce aux outils de profilage cognitifs (non-jungien) on peut comprendre comment la sphère psychique ne donne pas le même visage à élucider. En bref notre profil cognitif induit une adhésion inconsciente à une démarche axiomatique, méthodologique et axiologique qui va à rebours reconfigurer l'ensemble des propriétés accessibles de l'objet. Ainsi Carl et Sigmund du fait de leurs profils cognitifs devaient nécessairement accoucher de deux théories différentes. Sigmund d'obédience naturaliste et d'intelligence plutôt analytique va chercher à comprendre l'absence de destin des machines désirantes, il va les décomposer, les décortiquer et comprendre les éléments de "base" et l'inconscient accessible avec cette méthode à savoir l'inconscient personnel. Quand à Carl Gustav il devance les approches systémiques pour nous proposer un chemin autre que l'individualisation : l'individuation. Il regarde vers des "ressources humaines" qui gisent dans les profondeurs archétypales de l'inconscient collectif.
Il est évident que les deux modèles sont complémentaires dès qu'on les considère du point de vue du développement psychique. Ils parlent de phases différentes du développement et de l'orientation du système psychique. Ils deviennent concurrentiels lorsqu'ils prétendent faire de l' "ontologie psychique", c'est à dire lorsqu'ils prétendent décrire la réalité de la structure psychique. C'est d'ailleurs ce qui nous pousse à provoquer le retour de la notion d'âme qui si elle est vidée de sa religiosité devient un concept formel et méthodologique consistant à décrire l'ensemble ouvert des phénomènes conscients et inconscients nécessaire à l'autopoïèse d'un système psychique.
L'analyste et le systémicien sont les deux faces d'une rationalité qui ouvre et complète les perspectives du sens.
Je le répète et tout neuro-ergonomiste vous le dira nous sommes capables d'utiliser nos facultés cognitives de différentes manières et celles-ci peuvent reconfigurer leurs rapports internes. Mais c'est la même sphère psychique , la même "vie intérieure" qui en est le dénominateur commun. C'est une des grandes leçons qu'instancie le débat à distance Freud/Jung. La sphère psychique selon qu'elle est abordée d'un point de vue analytique ou systémique produit des résultats recevables, complémentaires et intégratifs. Nous sommes une complexité, un système complexe, et c'est cette connaissance des différentes approches rationnelles qui va nous permettre de rendre compte de la richesse des stratégies de l'intelligence humaine et du même coup redécouvrir la beauté de sa complexité et de sa connectivité ignorées ou passées sous le radar de notre rationalité actuelle trop analytique.
Nous qui sommes si prompt à croire au remplacement de l'IH par l'IA allons donc voir du côté des biais cognitifs induits par la sous-exploitation des facettes de notre intellect.
Le développement personnel comme l'architecture en construction de la future conscience artificielle ont besoin d'une cartographie claire des potentiels emplois de nos facultés cognitives ; la dualité analyse/système est une de ces voies et la dialectique Freud/Jung nous en donne quelques éléments. Ce sont les voies d'exploration et d'élucidation du mystère humain qui s'annoncent et la réconciliation avec le projet des aventuriers de l'âme perdue.