Une envie de Suisse - Le musée Barbier-Müller
Deux mille ans d’histoire ont façonné les ruelles de la vieille ville de Genève, située sur une colline qui accueille la cathédrale St-Pierre. Avec ses cafés, ses antiquaires, ses boutiques centenaires et ses galeries d’art, la Place du Bourg-de-Four compose un petit centre historique et culturel animé, où chaque façade semble recueillir une trace du passé de la ville. La vieille ville apparaît comme la gardienne d’un riche passé, mais elle conserve également, de manière plus dissimulée, les trésors des dieux et des déesses hérités de nos ancêtres communs.
À Genève, un certain attrait pour l’ouverture au monde a toujours prévalu. Dès la fin du XIXe siècle, le cosmopolitisme donne un nouveau visage à la cité. Siège de la Société des Nations depuis 1919, la ville réaffirme sa mission internationale après la Seconde Guerre mondiale et devient le siège de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ces différentes phases d’ouverture progressive et de construction de l’identité diplomatique de la ville sur le plan international vont stimuler Josef Müller dans la constitution de sa collection d’art primitif.
Niché quelque part au creux d’un méandre de ruelles traversant la vieille ville de Genève, un petit musée à l’entrée confidentielle fait figure de référence mondiale. Le Musée Barbier-Müller accueille la plus vaste collection privée d’œuvres d’art primitif, constituée par le collectionneur suisse, Josef Müller. Créé en 1977, le musée poursuit une tradition familiale initiée dès le début du XXe siècle spécialisée dans la collection d’objets d’art primitif appartenant aux sociétés tribales de l’Antiquité, ainsi qu’aux civilisations d’Afrique, d’Asie et d’Océanie. Au rythme des expositions thématiques, le musée dévoile certains de ses plus beaux trésors : des sculptures, des parures, des masques, des ornements, des tissus et un choix d’objets usuels. C’est ainsi que le monde entier paraît se révéler soudain, dans son expression la plus primitive, à l’intérieur des murs de cette institution.
Les œuvres de la collection Barbier-Müller font vibrer en nous une corde particulièrement sensible, parce qu’elles révèlent l’existence d’un lien universel entre les membres de l’humanité par-delà le temps et l’espace. Ces œuvres primitives rappellent la place essentielle qu’occupe l’expression artistique dans le développement de toute civilisation. Comme un langage oublié auquel il nous serait subitement possible d’accéder, ces productions d’un autre âge semblent nous parler et nous envoûter, sitôt que l’on pose les yeux sur elles.
Parce qu’elles reproduisent principalement des faciès humains, les œuvres primitives deviennent un miroir émouvant, suggérant l’existence d’une filiation universelle entre les hommes. Les statuettes visibles dans le musée suscitent un amusement enfantin par la reproduction des physionomies les plus étonnantes. Elles dressent le catalogue des nombreuses déformations qui peuvent affecter le visage humain. Beauté, grâce, finesse, élégance et équilibre ; ou laideur, difformité et protubérances : l’expressivité est portée à son paroxysme, tandis qu’un large éventail de sentiments défile devant nous.
Créées généralement en tant que cadeau pour une personne ou destinées à un usage spécifique, les œuvres d’art primitif relèvent avant tout d’une tradition de groupe, plutôt que de la créativité de leur auteur. Contrairement aux œuvres qui attirent les collectionneurs de la fin du XIXe siècle, celles qui composent la collection Barbier-Müller ne portent aucune trace de l’exubérance souvent associée au génie des artistes.
Les arts primitifs non occidentaux, qui rebutaient tant les contemporains de Josef Müller, occupent dorénavant une place essentielle dans l’étude et la compréhension de notre patrimoine culturel commun. Aussi, on murmure parfois que certains dieux et déesses de nos ancêtres d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, dorment les yeux grand ouverts, quelque part au cœur de la vieille ville de Genève.
Delphine Bovey, Une envie de Suisse, 228p., Socialinfo, 2017, Fr. 29.-