Une flèche dans le ciel pur
En cherchant à consacrer davantage de temps et d’attention à l’ordre intellectuel de l’existence, j’ai fait une découverte imprévue, dont je reste étonné.
Je songeais surtout à écarter de mon cours ordinaire toutes ces contraintes, ces réunions, ces rituels professionnels et amicaux, ces petites fêtes obligées, mais aussi ces rapports de famille, ces parties de plaisirs, ces rendez-vous secrets qui divisent les journées et font de vous l’éternel proie des obligations sociales. Ce qui comptait à mes yeux, c’était d’échapper à la frivolité.
Je souhaitais remettre ainsi au centre du jeu la combinaison rapide d’images et d’idées que j’appelle parfois poésie, et parfois plaisir. Je voulais me situer entièrement sur ce plan. Mais ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé.
J’ai découvert que placer sa vie sous le signe des choses de l’esprit avait pour effet singulier de créer une perspective morale. Peu à peu j’ai évacué le goût des conflits, les rapports de force et d’autorité, le désir de supériorité, de possession, et la tendance si humaine et si déplorable à prendre autrui en otage de ses certitudes et de ses besoins. Malgré moi, parfois contre moi, je senti qu’un tropisme irrésistible me poussait vers un idéal d’amélioration, de perfectionnement, d’embellissement des rapports avec les autres – comme un accommodement de l’œil qui s’opérait peu à peu.
Bien entendu, cette évolution n’avait rien à voir avec un appel de la sainteté, pour laquelle je n’ai jamais eu d’attirance. Je ne croyais ni à Dieu ni au Ciel. Toutes mes fins ont toujours été terrestres et immédiates. Mais depuis un an ou deux quelque chose est entré dans ma vie : un désir de simplicité, ou peut-être de pureté.
Si la pureté existe, elle déjoue tous les plans. Elle trace une ligne de conduite nouvelle. Elle crée une urgence de la beauté et du bonheur. Être plus juste, plus sage, plus rapide et plus vrai devient la ligne claire de la vie. Il ne s’agit pas d’épurer son âme : mais son esprit, son œil, ses nerfs. C’est un moyen et non une fin. Mais c’est un moyen extraordinaire. Il produit une logique de bonheur (ou de beauté), là où il n’y a qu’un monde en guerre et un principe d’éternel recommencement. L’espace utopique et pour ainsi dire fictionnel qui s’en dégage permet, mieux qu’aucune autre circonstance, de s’organiser pour créer, durer, rêver.
En définitive, l’esprit ne travaille qu’en faveur de l’esprit.