Une ingratitude fructueuse!
Donation/ succession - L’action en révocation d’une donation pour ingratitude : des conditions très strictes pour le donateur
En matière de donations entre vifs, le principe est celui de l’irrévocabilité.
Néanmoins, l’article 953 du Code civil prévoit trois causes de révocation d’une donation :
- l’inexécution des conditions pour lesquelles elle a été faite
- l’ingratitude
- la survenance d’enfants.
S’agissant plus précisément de l’ingratitude, l’article 955 du code civil énumère limitativement trois cas, indépendants et non cumulatifs, dont la caractérisation entraînera la révocation de la donation pour cause d’ingratitude :
1° Attentat à la vie du donateur ;
2° Sévices, délits ou injures graves à l’encontre du donateur ;
3° Refus d’aliments au donateur.
Un important arrêt a été rendu en la matière, par la première chambre civile de la cour de cassation le 30 janvier 2019 apportant deux précisions indispensables sur l’action en révocation d’une donation pour ingratitude (Cass 1ère civ. 30 janvier 2019 n°18-10091).
Dans les faits, un couple a consenti une donation-partage à ses deux enfants par acte authentique du 21 décembre 2007. Le fils a reçu par celle-ci la nue-propriété de 66 % des actions de la société financière SFR constituée par son père, l’usufruit étant conservé par les deux parents.
Une décision du 17 décembre 2013 a condamné le fils pour abus de biens sociaux, abus de confiance et complicité d'abus de confiance au préjudice de la société appartenant à son père et de l’une de ses filiales. Selon cette décision, le donataire avait manqué à une obligation de reconnaissance et le détournement des fichiers de l’une des sociétés créées par le donateur (le père) dénotait une intention de concurrencer par des moyens illicites l’activité des sociétés du donateur.
Le 30 juin 2014, ses parents l’ont assigné avec succès en révocation des donations consenties par acte du 21 décembre 2007 pour cause d'ingratitude.
Le gratifié forme un pourvoi en cassation au moyen d’une part que l’action en révocation était prescrite donc irrecevable (I) et d’autre part en raison des délits commis à l’encontre de la société personne morale et non pas du donateur lui-même (II).
I. La prescription de l’action
L’article 957 du Code civil prévoit un délai d’un an pour former une action en révocation d’une donation pour cause d’ingratitude. Le point de départ de l’action est celui du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour où le délit aura pu être connu par le donateur.
Il convient de préciser que le délai d’un an prévu par l’article 957 du Code civil est un délai préfix non susceptible d’interruption, de suspension ou de prolongation (Cass 1ère civile 18 décembre 2013 n°12-26571).
Cependant, si les faits reprochés constituent une infraction pénale, et à la condition que le donateur ait mis en mouvement l'action publique dans le délai d'un an, le point de départ du délai est reporté au jour où la réalité des faits est établie par la condamnation de l'auteur de l'infraction (Cass. 1e civ. 20-10-2010 n° 09-16.451 FS-PBI : BPAT 6/10 inf. 356). La réalité des faits n'est établie par la condamnation que du jour où celle-ci est devenue « définitive » (Cass. 1e civ. 19-3-2014 n° 13-15.662 FS-PB : BPAT 3/14 inf. 134).
Si le donateur n’allègue pas, devant les juges du fond, la mise en mouvement de l’action publique à la suite de la plainte déposée par ses soins, le point de départ de l’action en révocation ne pourra être retardé au jour où la condamnation pénale aura établi la réalité des faits reprochés au gratifié, car comme il est légalement établi en vertu de l’article 5 du Code de procédure civile, le juge doit se prononcer uniquement sur ce qui est demandé.
En l’espèce, la cour de cassation relève que les juges ont exactement déduit que la demande introduite par assignation le 30 juin 2014 n’était pas prescrite, étant donné d’une part, que la condamnation définitive du gratifié est intervenue le 17 décembre 2013 et d’autre part, que le point selon lequel le délai d’un an prévu à l’article 957 du code civil n’était pas expiré lors de la mise en mouvement de l’action publique n’était pas discuté.
L’action est donc recevable.
Elle ne pourra en revanche pas aboutir sur le fond.
II. Le donateur, seule cible des délits, sévices ou injures graves
1. Rappel du cadre légal
En premier lieu, les juges du fond apprécient souverainement si les faits ont un caractère de gravité suffisant pour emporter révocation de la donation (Cass. 1e civ. 4-10-2005 n° 03-19.297 F-D). Dans le cas contraire l’action sera rejetée.
Ensuite, l’article 957 2° du code civil précise que la donation ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que si le gratifié s’est rendu coupable envers le donateur de sévices, délits ou injures graves.
En outre, seuls des actes à caractère intentionnel peuvent justifier la révocation.
Or, les délits dont le donataire se rend coupable doivent remplir trois conditions cumulatives :
- Ils doivent être graves
- Ils doivent revêtir un caractère intentionnel
- Ils doivent avoir été commis envers la personne du donateur.
2. En l’espèce
En l’espèce, tous les actes frauduleux commis par le gratifié constituaient des infractions commises à l’encontre des sociétés personnes morales et non pas à l’encontre des donateurs eux-mêmes.
C’est en ce point que l’arrêt est partiellement cassé puisque la cour de cassation a considéré que l'ingratitude ne peut être invoquée lorsque les actes frauduleux ont été accomplis au détriment d'une société, qu'elle soit détenue par le donateur en pleine propriété (Civ. 1re, 19 oct. 2016, n° 15-25.879) ou qu'elle soit, comme en l'espèce, l'objet de la donation et détenue en usufruit par les donateurs.
Il en ressort que « ces délits n’étaient pas de nature à constituer l’une des causes de révocation légalement prévues ».
L’ingratitude a donc en quelque sorte profité au gratifié malveillant.
Par Sarah Torbey et Nicolas Graftieaux