Une multinationale au service de son territoire
Article initialement paru dans Le Monde Eco et Entreprise du 11 mai 2017 : http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/05/11/une-multinationale-au-service-de-son-territoire_5125977_3232.html?h=22&h=9
La mondialisation, et ses effets sur la société, s’est finalement imposée comme le grand thème de la campagne électorale présidentielle. Dans un monde où la concentration du capital financier est telle que la capitalisation des quatre géants américains du numérique (Google, Amazon, Facebook, Apple) pèse 2 700 milliards d’euros, soit davantage que le produit intérieur brut français, les décisions concernant la vie quotidienne des citoyens paraissent se prendre en dehors des lieux dans lesquels ils vivent.
Les grandes entreprises globalisées cherchent à optimiser leur production sans prendre en charge le devenir des territoires sur lesquels elles déplacent leurs pions. Les politiques publiques sont condamnées à défendre ceux-ci avec des moyens financiers de plus en plus limités. Si ce constat n’est pas dépourvu de réalisme, des exemples montrent aussi que le développement de grandes sociétés mondialisées peut servir les territoires, et qu’il a même parfois pour projet d’en assurer la défense. C’est le cas emblématique de Limagrain.
La coopérative Limagrain a été fondée au début des années 1960 par des agriculteurs de la plaine de la Limagne, au centre de l’Auvergne. Leur projet était de mettre en commun des moyens pour faciliter l’écoulement des produits céréaliers de ce petit territoire de 45 000 hectares. Dans cet esprit, la coopérative lance en 1965 un laboratoire de recherche pour produire un maïs adapté au climat européen. La création de la variété LG11 lui assure le leadership des semences de maïs en Europe.
« Un homme, une voix »
En 1975, elle rachète la société familiale Vilmorin, alors en difficulté, pour étendre son activité à d’autres types de semences. La filiale s’internationalise, elle est introduite en Bourse en 1990, Limagrain conservant 75 % de son capital. Elle se développe dans 55 pays et devient le 4e producteur de semences au monde. Elle consacre 15 % de son chiffre d’affaires à la recherche et elle gère, au cœur de la Limagne, le plus grand laboratoire européen de recherche dans ce secteur. Parallèlement, Limagrain a remonté la filière agroalimentaire pour assurer des débouchés à ses coopérateurs – allant jusqu’à racheter le boulanger Jacquet en 1995, puis le pâtissier Brossard en 2010.
L’empire pèse désormais plus de 2,5 milliards d’euros et emploie 10 000 collaborateurs dans le monde. Comme toute coopérative agricole, la maison mère Limagrain réalise 80 % de son activité avec ses 2 000 coopérateurs qui détiennent le capital et participent aux décisions selon le principe « un homme, une voix », c’est-à-dire indépendamment de la taille de leur exploitation. Leurs parts sociales gardent la même valeur de l’achat à la session.
Une gouvernance adaptée
Le groupe est gouverné par les membres de la coopérative auvergnate, qui élisent un conseil d’administration de 18 membres pour un mandat annuel. Sept d’entre eux forment le bureau, instance de surveillance permanente de l’exécutif. Les administrateurs de Limagrain participent à toutes les instances de gouvernance de Vilmorin et de ses filiales françaises ou étrangères, formant un binôme avec chaque dirigeant, de manière que la coopérative soit partout représentée.
La réussite économique de Limagrain illustre le fait que la croissance internationale d’une entreprise n’est pas incompatible avec le projet de développement d’un territoire, sous réserve que son système de gouvernance maintienne la fidélité à l’enracinement local. L’ancrage de la coopérative assure même à cette gouvernance une vertu qui pourrait expliquer son succès : chaque administrateur demeure un paysan, qui travaille pour produire dans sa propre exploitation.
La connaissance intime du travail réel de l’agriculteur (qui est aussi celui des clients du groupe) lui donne une lucidité et une compétence précieuses quand il a à évaluer les opportunités et à décider les options stratégiques dans les conseils d’administration. Le modèle pourrait donc inspirer l’action politique, mais aussi la gouvernance des grandes entreprises déracinées, qui se dessèchent dans l’abstraction financière.
Délégué syndical central CFDT chez Orange
7 ansJe ne connais pas le détail de la gestion du Groupe @Limagrain, mais pour avoir étudié par la passé les groupes d'entreprises gérer par des structures de tête organisées en coopératives, il peut y avoir quelques points durs à surveiller : - Les entreprises gérées par la coopérative de tête sont souvent sous pression pour produire du dividende pour le Groupe, et la gouvernance est rarement exemplaire dans ces structures filiales de la coopérative (parfois des SAS) ; - le dialogue social est souvent pauvres et peu développé au sein de ces groupes car les structures coopératives ne sont pas toujours des chantres de ce mode de dialogue avec les salariés ; - il y a autant de problématiques de qualité de vie au travail et aussi peu de RSE "effective" dans les entreprises filiales de coopératives que dans les autres structures. In fine, si la gouvernance des coopératives est très intéressante et apporte des réponses à la question de l'ancrage territorial, l'organisation des filiales de ces coopératives posent autant de questions que dans le cas de filiales de SA ou de SAS. Plus généralement, la question qui me semble-t-il reste à creuser, est : dans quelle limite l'effet de taille d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises restent bénéfique pour les salariés, pour la création de valeur, pour l'innovation et pour la pérennité de l'activité ? Il faut garder en tête la question du sens du travail pour les salariés comme pour les coopérateurs, et à ce titre, le territoire et son développement sont de véritables enjeux... Reste que se poser la question du sens est plus facile pour un collectif de quelques centaines de personnes que pour plusieurs milliers...
Directeur Animation et Développement des Ventes
7 ansBelle conclusion "Le modèle Limagrain pourrait donc inspirer l’action politique, mais aussi la gouvernance des grandes entreprises déracinées, qui se dessèchent dans l’abstraction financière".
Professeur | Stratégie et gouvernance des entreprises | Développement durable | Anthropocène | Agriculture | Alimentation | born 337 ppm |
7 ansNos amis lyonnais découvrent les vertus des entrepreneurs auvergnats ! Pour compléter l'analyse de Pierre-Yves GOMEZ une monographie rédigée avec Xavier Hollandts sur @limagrain https://www.ccmp.fr/collection-ccmp/cas-limagrain-ou-les-defis-dune-gouvernance-strategique-et-politique