VENDÉE GLOBE : VIRTUAL REGATTA : E-GAME OU MÉDIA ?
Le succès de Virtual Regatta est juste PHÉNOMÉNAL ! Embarquer sur le Vendée Globe près de 1 million de joueurs, pas plus que cela intéressés par la course au large dans la vraie vie, est une magnifique réussite et un cas d’école. Au delà de l'engagement ludique et (trop) chronophage - mon "Petit Baigneur" est en déshérence dans l'Océan Indien, sur une route qui devrait le faire rejoindre l'Alaska s'il évite l'Australie - ne pouvons nous pas imaginer un autre rôle à un Virtual Regatta 3.0 ?
Le succès du jeu prend ses racines dans le Vendée Globe 2008. Au sein de l’équipe d’organisation j’avais été chargé d’évaluer les différentes plateformes de jeux. Il y avait alors Virtual Regatta, à l’interface extrêmement simple et conviviale, à la portée d’un enfant de 8 ans, et qui mettait déjà en place une proposition marketing évoluée – ventes d’options, branding, contrat de partenariat intégrant un reversement au détenteur des droits d’un pourcentage sur les ventes d’options. En face d’autres solutions avaient des interfaces plus réalistes, mais beaucoup plus complexes, s’adressant à des experts de la voile, et des modèles financiers plus traditionnels, basé sur un loyer, payé par l’organisateur de l’événement, pour mettre le jeu à la disposition des internautes.
Notre choix s’est immédiatement porté sur Virtual Regatta, avec deux exigences à l'époque :
- Que le joueur puisse gagner sans nécessairement acquérir des options
- Que les polaires des bateaux ne soient pas trop optimistes, et intègrent la fatigue du « marin », les conditions de mer, les temps de réparation des avaries, afin que le premier skipper du réel arrive devant le premier du virtuel. Il nous paraissait alors important de tout faire pour continuer à mettre en valeur le statut de « héros absolus » des skippers engagés dans le Vendée Globe. Nous ne voulions pas non plus que les concurrents de la course réelle apparaissent sur la cartographie du jeu.
Ce choix nous avait valu les critiques acerbes des joueurs passionnés de voile, nous accusant à minima d’être « vendus au grand capital », si ce n’est au Diable, car il y avait des options payantes sur « un jeu moche » à l’interface « taillée à la serpe ». J’avais passé quelques nuits sur les forums à répondre à des messages quelques peu agressifs, expliquant patiemment notre choix. Le visuel illustrant l’article permet de constater l’évolution du design de la plateforme, qui propose désormais également des vues immersives dans la droite ligne des consoles de jeu évoluées.
Le jeu a dépassé toutes les espérances de la SAEM Vendée, organisatrice de la course, et toutes les prévisions de Philippe Guigné, son créateur, occasionnant quelques ruptures des serveurs sous la charge des internautes enragés, qui nous firent parvenir dans l'instant un nouveau vol de noms d'oiseaux, en escadrille serrée. Auparavant, le record de participation sur une course Virtual Regatta avait été d’environ 50 000 joueurs sur la Route du Rhum 2006. Many Players, la société éditrice, était à l’époque également présente sur d’autres sports, dont le tennis, ce qu’elle arrêtera quelques années après. Sur le Vendée Globe 2008, 332 569 « skippers » avaient pris le départ de la course, pour 138 642 à l’arrivée, soit 41%. La course virtuelle avait été à peine moins vacharde que la réelle, où seuls 11, soit 36% des concurrents, avaient franchi la ligne d’arrivée aux Sables d’Olonne. L’internationalisation était déjà en marche, j’avais relevé à l’époque des joueurs dans plus de 100 pays, dont le Vatican et la Papouasie-Nouvelle Guinée.
Virtual Regatta a la chance d’être porté par Philippe Guigné, qui au-delà de talents de marketing-communication innés, déploie une stratégie pertinente, un modèle d’affaires en béton construit patiemment autour d’une communauté de passionnés évangélistes, qui convertissent leurs réseaux personnels mais aussi professionnels. Capitalisant sur le succès du Vendée Globe 2008, il avait enchainé sur les Volvo Ocean Race, développant sa présence à l’international. Coureur amateur assidu lui-même, il s’est attaché à légitimer son jeu, en mettant en avant ses qualités pédagogiques et en se rapprochant de la fédération internationale de voile, WorldSailing, et de la Fédération Française de Voile qui lui apportèrent leurs cautions. La FFV propose actuellement aux scolaires d’inscrire leurs classes sur le Vendée Globe virtuel.
Mais l’innovation principale, présente depuis les origines mais plus fortement mise en valeur sur cette édition 2020, c’est la possibilité pour les entreprises de créer des flottilles dédiées à leurs salariés ou clients, de lancer des incentives autour du jeu et de renforcer ainsi les liens au sein de leurs propres écosystèmes. Cette stratégie, couplée à un marketing aux offres enrichies, tant intérieures au jeu - packs d’options, packs VIP, partenariats, syndication - , qu’extérieures - sponsoring de skippers professionnels « certifiés » inscrits dans le jeu, d’équipes de e-sport - font passer Virtual Regatta, dans une autre dimension : de celle de phénomène de société à périodicité quadriennale, elle devient clairement une pépite du marketing sportif, solidement installée dans sa niche de l’ e-sport, niche qui ressemble de plus en plus à un chenil de chiens racés, grâce à l’énergie et la qualité du travail des équipes de Philippe.
Un regret cependant : en moyenne les joueurs consacrent 40 mn par jour de « leur temps de cerveau disponible » à cette e-compétition, et donc à un Vendée Globe parallèle. Et même si, sur les réseaux sociaux et divers forums, des communautés se forment et échangent des informations croisées sur les courses réelles et virtuelles, les deux univers restent toujours assez fortement étanches. Cela se traduit fortement sur cette édition par des communications menées par des équipes en parallèle, sur des tempos différents pouvant d'ailleurs conduire à des confusions. Un excellent prestataire - le meilleur de son secteur - du Vendée Globe 2008, que j'entretenais de l'actualité quelque peu chargée de la course (un col du fémur, un chavirage + un sauvetage, des fagots de mâts sur les ponts,...) m'avait ainsi scotché en m'annonçant "tu sais Christophe, je n'ai pas vu ce que tu me dis, je suis plus sur Virtual Regatta que sur le site officiel..."
Il y a donc un gisement inexploité qui permettrait de renforcer la pénétration et l’impact du Vendée Globe, des équipes et de leurs partenaires tant en France qu'à l'international, en transformant le jeu en plateforme de diffusion des contenus éditoriaux, textes, photos, vidéos et sons, du Vendée Globe réel. Vous êtes en train de jouer et une icône vous alerte que Damien Seguin, qui navigue 3 milles devant vous, vient d’envoyer une vidéo. Vous cliquez et vous pouvez la visionner, tout en vous torturant les méninges pour votre propre navigation. Le jeu devient media. Vous n’êtes plus joueur sur Virtual Regatta ou internaute devant vendeeglobe.org, le site officiel. Vous êtes au cœur de l’événement, fan absolu, engagé total et captif, exposé à la course en permanence, pendant plus de 80 jours, sous la coupe bienveillante - certes intéressée - de la communication … un rêve pour tout organisateur !
Un petit développement, Philippe ? C'est ma tournée.
Christophe Baudry / SmartOcean
Ex-directeur de la communication du Vendée Globe 2008-09, des étapes françaises de la Volvo Ocean Race 2011-12 et 2014-15, et de Lorient Grand Large, centre d'entraînement et de formation à la voile de compétition.
SmartOcean accompagne les entreprises, les collectivités et les sportifs dans leurs projets sportifs et événementiels.
Fondateur et dirigeant / CEO and founder MEDIAGHAT
3 ansUne incroyable expérience de jeu, que l'on soit voileux ou pas