Vers l'éducation complexe

La méthode[1] que propose Edgar Morin pour penser la complexité de notre monde nous invite à penser les évolutions des pratiques éducatives et pédagogiques à l'école, et à les inscrire dans cette notion de paradigme entendu par lui comme étant celui de l’émergence d’un mode de pensée complexe, non encore advenu. Ce paradigme, qui serait donc « en marche », et qui se construirait en marchant pour reprendre les mots d’Antonio Machado, se base pour Edgar Morin sur la nécessité d'admettre le caractère transdisciplinaire de la connaissance, et de relier l'objet au sujet et à son environnement. A travers la Méthode, il tente de concevoir comme lié ce qui était considéré jusqu'ici comme disjoint, dans une approche dialogique qui permette de connaître à la fois les globalités et le particulier. Étendue à l'éducation, la complexité suppose « de réformer la pensée pour réformer l'enseignement et de réformer l'enseignement pour réformer la pensée », ainsi qu’il le préconise dans La tête bien faite[2]Or, cette réforme de l’école qu’il prône dans Enseigner à vivre[3], ne peut se faire sans y intégrer le plaisir d’apprendre, l’intérêt, la bienveillance.

Ces notions font écho à celles mises en place dès le début du vingtième siècle par des pédagogues qui souhaitaient construire une école où les enfants puissent s'épanouir, une école ouverte et ancrée dans la vie. Il ne s'agissait pas pour eux de transmettre seulement l'idée d'une nouvelle éducation pour former un homme nouveau pour un monde meilleur, mais de travailler à faire évoluer les pratiques directement sur le terrain de l'école. Que ce soit en réglementant, comme l'inspecteur Edmond Blanguernon dans la Haute Marne, qui tente dès 1908 d’instaurer une école vivante dans son académie, en multipliant les créations de jardins d'enfants comme le fait Émilie Brandt à partir de 1909, ou en révolutionnant la formation des enseignants pour y intégrer une pédagogie bienveillante promue par Adèle Fanta dans les années 1920. Au-delà de ces expérimentations morcelées, une réforme nationale de grande ampleur est pensée dans l'immédiate après-guerre par la Commission Langevin-Wallon, sans toutefois aboutir à changer le système éducatif national en son entier. Les expérimentations mises en place prennent fin bien avant d'avoir eu le temps d'essaimer, qu'il s'agisse de l'école expérimentale de Boulogne qui s’arrête en 1956, ou de la création du premier corps de psychologues scolaires, pensé pour accompagner les enseignants dans leur classe à prendre en compte le bien-être de chacun des enfants.

Le chemin vers une école conçue pour éduquer de futurs citoyens qui ne seraient pas seulement des esprits éclairés mais des êtres humains capables de s’adapter à la société de demain et d’y vivre ensemble se poursuit néanmoins. Au-delà des écoles nouvelles privées qui restent à la marge du système, les textes des réformes qui jalonnent le chemin de notre Education nationale jusqu’à ce début du XXIe siècle reprennent les termes des pédagogues du siècle dernier, depuis l’élève placé au centre du système jusqu’aux dernières injonctions de bienveillance et d’attention au bien-être des élèves inscrites dans les compétences demandées aux enseignants aujourd’hui. Dans les classes, des enseignants se réclament de pratiques et d’outils pédagogiques mis en place il y a 100 ans par Montessori et Freinet, entre autres, et tentent de les relier à la société actuelle. Or le lien, c’est justement ce qui fait sens pour Edgar Morin. Le lien entre les connaissances, entre les individus, et avec la société. C’est par l'éducation, quand elle s'attache à tisser ensemble les différents éléments qui constituent un tout, que l’on peut entrer dans la dimension globale de la connaissance qui fait sens. Par elle également que l’on peut apprendre à reconnaître l'erreur et l'illusion, à intégrer l'incertitude. Autant de notions complexes nécessaires à appréhender, dès le plus jeune âge, pour avancer ensemble sur le chemin de l’éducation.

[1]Morin E. (2008). La Méthode. Paris : éd. du Seuil.

[2] Morin E. (1999). La tête bien faite. Repenser la réforme, réformer la pensée. Paris : éd. du Seuil.

[3] Morin E. (2014). Enseigner à vivre. Manifeste pour changer l’éducation. Actes Sud, Play-Bac

Publié le 10 mai 2017 par Fabienne Serina-Karsky sur ecolesnouvelles

Pascale Elbaz

Enseignante-chercheuse à l’ISIT Paris Panthéon Assas Université. Présidente du groupe de recherche de la Fédération Internationale des Traducteurs (FIT). Chercheuse associée à l’IFRAE.

6 ans

Merci pour cette réflexion. Une toute petite coquille: Or, cette réforme de l’école qu’il prône dans Enseigner à vivre[3], ne peut se faire y intégrer le plaisir d’apprendre, l’intérêt, la bienveillance. Manque « sans »

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