Vers un objet social élargi des entreprises, la réécriture de l'article 1833 du Code civil... et ses conséquences.
L’article 1833 du Code civil dispose dans sa version actuelle que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».
L’intérêt social de l’entreprise, analysé à l’aulne de ce texte un peu sommaire, a laissé place à de nombreuses interprétations, très différentes, et mérite en effet quelques précisions à une époque ou l'opinion public constate le rôle prépondérant des entreprises dans des enjeux sociétaux dépassant le seul cadre de « l’intérêt commun des associés ».
Cette réforme est donc dans l’air du temps et il n’y a rien de surprenant à ce que l’objet social d’une entreprise définisse également son rôle dans la société au regard de son impact sur son environnement au sens large.
Elle s’inscrit par ailleurs dans un mouvement général des législations européennes vers une définition plus globale de l’objet social : Le Royaume-Uni, l’Italie, la Belgique et l’Espagne disposent déjà d’un statut qui se rapproche de cette entreprise à objet social élargi, et dont les origines sont à chercher … aux États-Unis avec la création du label BCorp (Benefits Corporation).
Enfin, en France même, et depuis quelques années, ce mouvement connait sur le terrain des applications concrètes d’entreprises qui affirment haut et fort leur volonté d’agir sur leur environnement au sens large. Il ne fait donc qu’ouvrir une porte entre les entreprises commerciales et le secteur encore trop fermé de l’Economie Sociale et Solidaire.
La loi PACTE ajouterait ainsi à l’article 1833 les mots « Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental ».
Que peut on attendre de ce changement ? Quel impact dans la gouvernance d’entreprise ? Doit on craindre un raz de marée judiciaire, basé sur l’élargissement du champ de la responsabilité des entreprises ?
L’avenir le dira bien sur, mais on peut dors et déjà tirer quelques enseignements des expériences de nos voisins.
Tout d’abord, cela pourrait être un rempart contre la toute puissance des investisseurs et leur désir de profit à court terme. Avoir un objet social élargi permettra demain aux directions générales de disposer d’outils supplémentaires pour imposer sa réalisation, et inversement, un argument permettant aux assemblées d'actionnaires de contraindre leurs dirigeants, il n’est pas impossible non plus que la rémunération des dirigeants soit indexée sur la réalisation de cet objet.
D’autre part, il faut croire aux cercles vertueux, surtout lorsque la vertu permet de gagner des parts de marché. Sur un marché concurrentiel le consommateur préfèrera favoriser une entreprise ayant une valeur ajoutée sociale à une autre qui ne propose rien, et qui sera alors perçue comme « irresponsable ».
Enfin, il n’y a rien d’inconcevable idéologiquement dans l’affirmation d’une responsabilité accrue des principaux acteurs de l’économie dans les questions sociales et environnementales, il n’est que de penser aux agissements inconsidérés des géants mondiaux de l’énergie, de la chimie et de l’agroalimentaire pour s’en convaincre !
En résumé cette réforme n’est en rien une innovation, ni une source inutile de complication pour les entreprises, elle s’inscrit juste dans le sens de l’histoire.
Pour autant elle n’est pas qu’une mesure symbolique rappelant aux entreprises leur responsabilité. En effet l’article 1833 du Code civil est le pilier des structures sociales, il donne le sens de la responsabilité « sociétale » des entreprises. Si la loi PACTE entend sacraliser la responsabilité « sociétale » des entreprises par l’inscription de ce principe dans le Code civil, cette norme deviendra une référence à partir de laquelle leur comportement pourra être apprécié, un référent permettant d’apprécier l’existence ou non d’une faute.