Verte, métallique ou anthropomorphe… A quoi une Intelligence Artificielle doit-elle ressembler ? (magazine Stratégies -
 article complet - juil. 2017)
Antoine Gastal, directeur associé chez Adveris

Verte, métallique ou anthropomorphe… A quoi une Intelligence Artificielle doit-elle ressembler ? (magazine Stratégies - article complet - juil. 2017)


1. Intelligence artificielle et culture populaire

AI, deep learning, assistant personnel intelligent, chatBot, Siri, Google Now,… l’intelligence artificielle (IA) est au coeur de toutes les attentions chez les GAFA, dans les départements innovation des grands groupes, dans les startup, etc.

Immanquablement, une question émerge : à quoi ressemble (ou doit ressembler) une intelligence artificielle ? Plus les ingénieurs développent d'IA et plus les designers doivent imaginer des représentations de ces algorithmes.

Quelles sont les intelligences artificielles ancrées dans l’imaginaire collectif ? Comment les studios de design des GAFA et des startup concernées ont-ils traité le sujet jusqu'à maintenant ? Comment une intelligence artificielle sera-t-elle représentée à l’avenir ? Une IA doit-elle ressembler à un humain (anthropomorphisme) ou s’en éloigner sous l’influence du « flat design » notamment ?

Faisons un point sur l'imaginaire collectif en la matière. Si vous interrogez quelqu'un au sujet des intelligences artificielles (i.e. « machines simulant l’intelligence humaine » d’après le Larousse) qu’il connaît, il aura a priori du mal à vous répondre. Pourtant, certaines intelligences artificielles nous sont très familières.

Les droïdes R2-D2 & C-3PO (créés en 1977 par le britannique Tony Dyson sur le modèle des mini droïdes du film Silent Running de 1972) sont certainement à l'intelligence artificielle ce que l'Homo neanderthalensis est à l’Homo sapiens. Un ancêtre lointain mais qui a largement influencé sa descendance. En effet, l'humour de ces deux robots n’est certainement pas pour rien dans les comportements « joueurs » de Siri par exemple (vous n’avez qu’à lui demander où il habite par exemple). Dans la saga Star Wars toujours, le droïde BB-8, apparu en 2015 dans l’épisode VII « Le Réveil de la force », s’inscrit dans la lignée de ses 2 compères.

La voiture K.I.T.T dans la série K2000 (« Knight rider » du réalisateur Glen A. Larson apparu sur les écrans en 1982) et le célèbre Terminator (réalisé par James Cameron en 1984) peuvent également été considérés comme les premières formes grand public d'intelligence artificielle.

Plus récemment, Jarvis, l'assistant virtuel de Tony Starck dans Iron Man, est une voix masculine dénuée d'apparence physique mais aux réactions très humaines. Wall-e de Disney (2008) est un personnage dont les sentiments pour la robot(e) « Eve » sont très proches des émotions ressenties par les humains. Le film Transformers de Mickael Bay (sorti en 2007) présente également des robots, Decepticons et Autobots, voulant retrouver le « AllSpark » qui donne vie à n'importe quel objet et dominer l'univers. Et nous pourrions également citer les jouets de Toys Story (1995), les voitures du film Cars (2006), etc. Avec la série Westworld de Jonathan Nolan en 2017, l'intelligence artificielle prend une forme aboutie parfaitement humaine. Appelées les "hôtes", les intelligences artificielles prennent les traits de Dolores

Abernathy, Maeve Millay ou Teddy Flood et incarnent une menace naissante pour leur créateurs humains.

Le cinéma fournit donc des exemples nombreux et très variés d'IA. LED dans un capot de véhicule, robot métallique, voiture, jouet ou jeune femme séduisante… le cinéma ne prend pas position et explore toutes les configurations possibles.


2. Les différents visages de l'intelligence artificielle aujourd'hui

Influencés par les différentes représentations de la culture populaire, par les tendances du design digital (flat et material design, minimalisme, etc.) et par leur positionnement historique, les leaders de l’industrie high tech ont réalisé des synthèses diverses : parfois très figuratives, parfois totalement désincarnées.

Cortana de Microsoft est certainement l'intelligence artificielle la plus humaine. Initialement, Cortana était un hologramme à forme humaine. Une jeune femme de couleur bleu et peu vêtue, apparaissant dans les célèbres jeux Halo sur Xbox (2001). L'assistant personnel a conservé le nom mais a finalement opté pour un design moins figuratif. Cortana est désormais représenté par des cercles concentriques bleus en mouvement. Cela a ainsi permis à Microsoft de faire oublier son assistant historique Clippy, le petit trombone qui tentait de vous aider, avant sa disparition en 2001.

La technologie cognitive d'IBM se prénomme Watson. Parmi les intelligences artificielles les plus en vue du marché (utilisée notamment dans l'opération Young Pope de Canal+), Watson possède une identité visuelle hybride. En utilisant le prénom "Watson" nous attendions nécessairement une certaine forme de personnalisation. IBM a alors confié à Carl De Torres la création d'un avatar. L'agence a alors créé un pictogramme en forme de sphère entourée de cercles concentriques en réseau et surmontée de cinq traits rappelant évidemment… des cheveux.

Chez Apple, l'intelligence artificielle prend principalement la forme de l’assistant personnel Siri. Initialement limité à la reconnaissance vocale, Siri a élargi ses compétences et propose désormais des interactions avec les applications tierces, des suggestions d'applications, etc. Graphiquement, Siri apparaît principalement sous la forme d'une onde multicolore qui n'est finalement pas sans rappeler… K.I.T.T. dans la série K2000.

Chez Google, les assistants Google Now (apparu en 2012) et désormais Google Assistant ont des formes minimalistes. Ils ressemblent à des loaders en forme de barres ou ronds colorés en mouvement. Le robot représentant le système d’exploitation Androïd semble passé de mode. Désormais intégré à Google Home et au smartphone Google Pixel, l'IA de Google est certainement l'IA présentant la forme la plus minimaliste. Cela n'étonnera a priori personne, tant Google s'est illustré jusqu'à maintenant par son design minimaliste. Par ailleurs, la startup Deepmind dédiée au deep learning et rachetée en 2014 par Google, est représentée par un logotype en forme de cercle en mouvement, entre Google Chrome et le Tao.

Chez Amazon, l’intelligence artificielle se nomme Alexa et est principalement disponible à travers l’enceinte connectée Amazon Echo. Le grand succès rencontré au CES de Las Vegas 2017 n’est certainement pas dû au design de la dame. Alexa ne possède pas de réelle identité visuelle. A peine peut-on citer la forme de Amazon Echo, principal appareil embarquant Alexa. L’enceinte connectée est en forme de cylindre avec deux boutons sur sa face supérieure, rappelant légèrement un visage rond et deux yeux. Amazon n’est pas connu pour le soin accordé à la qualité esthétique de ses interfaces. Simplicité et efficacité priment avant tout.

Les intelligences artificielles actuelles ont donc été particulièrement influencées par la tendance du flat design qui établit une dichotomie quasi complète entre le représentant et l’entité représentée. L’interface est ainsi très épurée pour se focaliser sur la fonctionnalité mais la convivialité est parfois sacrifiée. Passer quelques minutes à discuter avec R2D2 paraît plus enthousiasmant que soutenir une conversation avec l’enceinte Amazon Echo…


3. Vers une disparition des IA telles que nous les connaissons ?

A quoi ressemble une intelligence artificielle aujourd’hui ? La culture populaire, principalement liée au cinéma et aux séries, et la revue des IA chez les GAFA(M) nous donne un éventail de possibles extrêmement large. Entre Cortana dans sa version initiale (un hologramme de femme) et Amazon Alexa (un prénom sans représentation graphique), les studios de design réalisent le grand écart.

Incontestablement la disparition du « skeumorphisme » au profit du flat design il y a quelques années a fortement influencé le design des IA actuelles. Si l'intelligence artificielle s'était développée il y a quelques années, l’anthropomorphisme prévaudrait certainement et les différents outils posséderaient des yeux, une bouche et des cheveux. Mais désormais la boussole de l'iPhone n'est plus en bois, le répertoire n'est plus en faux cuir et les IA n'ont plus de forme humaine (excepté Cortana à l’origine et éventuellement Watson).

Les ingénieurs cherchent à mette en place des outils simulant le comportement humain. Humour, empathie, curiosité, colère sont des notions étudiées avec attention, mais cela exclut actuellement l'apparence. Le flat design a pour but de simplifier à l’extrême les interfaces pour se concentrer sur l'essentiel : les fonctionnalités. La quasi-totalité des studios de design (hormis Carl De Torres pour Watson) ont considéré que la qualité des interactions ne nécessitait pas une apparence humaine.



L'industrie n'est-elle pas allée trop vite en besogne ? Rappelons-nous que le « skeumorphisme » n'avait pas émergé sans but. Il s'agissait à l'époque de familiariser le grand public avec la technologie en lui donnant une apparence familière. Si l'adoption par le grand public des assistants artificiels se fait rapidement, le design d'IA ne connaîtra certainement pas de forte évolution et restera minimaliste. En revanche, si malgré les efforts démesurés des GAFA dans l'IA, l'adoption par le grand public n'est pas au rendez-vous, il ne serait pas étonnant qu'un retour en arrière ait lieu vers des représentations à forme humaine. Malgré le buzz médiatique autour de l’IA, la partie ne semble pas gagnée d’avance. Demandez-vous combien de fois vous avez parlé à un chatbot sur Facebook ces derniers jours ? Ou combien de discussions sérieuses vous avez eu avec Siri ou Google Assistant cette semaine ?

Le design n'est-il pas au final qu'un éternel recommencement ? Google n’aurait alors plus qu’à ressortir son bon vieux robot vert « Androïd »…

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