Voilà ce que jamais je ne te dirai, mis en scène par Vincent Macaigne au théâtre de la colline
Arrivés dans ce lieu ultra moderne qu’est le théâtre de la colline, nos billets retirés, nous sommes d’abord affublés d’un bracelet rouge puis les pointeurs nous remettent une combinaison blanche. Nous voilà déguisés, nous sommes environ 80 en combinaison blanche avec capuche et lampe frontale. Presque plus rien de nos corps n’est visible, la masse blanche indifférenciée que nous formons patiente dans la voie d’accès « marchandises ». Que sommes-nous ? quels rôles joue-t-on ? les uns et les autres se regardent avec une lueur d’amusement, d’autres plus inquiets refusent carrément le rôle qui leur est assigné. Dans le flou le plus total quant au sort qui nous est réservé, néanmoins animés d’une certaine excitation à l’idée de monter sur scène, la seule chose que nous savons c’est que l’on va se servir de nous. Il est 21h30 l’entracte de : « Je suis un pays » mis en scène par Vincent Macaigne débute. Nous avions pris nos places pour « Voilà ce que jamais je ne te dirai » du même metteur en scène. Nous comprenons que « Voilà ce que jamais je ne te dirai » est la suite de « je suis un pays », ainsi les deux forment le même spectacle.
21h50, alors que les spectateurs de « Je suis un pays » entrent dans la grand salle du théâtre, le conglomérat blanc que nous formons s’avance en tapinois dans la coulisse. Telle une horde primitive où le tous pareils se fait maître, fratrie primordiale nécessaire à l’accomplissement d’un rituel, un rituel propre à ce spectacle qui a lieu tous les soirs à la même heure, tous les soirs s’opère sur cette « autre scène » un sacrifice auquel les quidams « quid-âmes » et intello-bobo en tous genres, spectateurs de la colline participent en tant que petits « autres », des semblables. D’abord installés dans une petite salle où est projetée une vidéo-conférence à propos des relations entre art et pouvoir, Il est question d’Ulrich von Sidow l’un des grands spécialistes de l’art qui en organisant le rapt de l’art dans tous les espaces dédiés, en remplaçant les œuvres par de vulgaires fac-similés, montre que l’art peut être substitué, l’art est reproductible, remplaçable et parfaitement insensé en tant qu’il n’a que le sens qu’on lui donne. L’art peut sauver le monde de sa déroute par une sorte d’effet rétroactif dans lequel il viendrait pointer la béance de nos existences. Au fond, en se laissant tromper par l’art au point de prendre le faux, le grossier pour le vrai, le sujet reste dans un rapport de semblant et n’est pas sujet de lui-même. La combinaison blanche métaphorise le rapport spéculaire à l’autre fait de semblant. La conférence tragicomique aboutit à un raisonnement abscons et tautologique sur l’art et le pouvoir, il est question de l’identité de cet Autre qui ne signe pas ses œuvres, remplace, série, se moque, contrefait, fait passer pour et nous fait tourner en bourrique. Le creux qu’il représente fait religion.
Complètement abasourdis par le charivari de la vidéo, alors que des grondements sourds et des cris de terreur raisonnent jusqu’à nous depuis la scène, nous sommes plongés dans une ambiance de fin du monde, l’attente de ce qu’on va nous demander est insoutenable. Un CRS accompagne un homme presque nu, terreux et ensanglanté, de son sang il inscrit sur le mur blanc : « je suis mort ici », nous annonce que dans un instant il se pendra sur scène, nous sommes là pour assister à son sacrifice. A cet instant nous comprenons que cette salle est le lieu de passage d’entre les deux pièces : « Je suis un pays » et « Voilà ce que jamais je ne te dirai ».
« Je suis un pays » dont le scénario articulé sur fond de maternité et rapt d’enfant est une mise en abîme du pouvoir de l’Un, pouvoir exercé par et à travers la néantisation d’un monde, néantisation que ce monde a lui-même produit. Ce néo dieu invisible sorte de grand Autre absolu, par le vide qu’il crée, exerce sur ses hôtes une fascination mêlée de férocité. « Je suis un pays » vient pointer le retour d’un monde passé, refoulé sous les espèces de la destruction et de ruine fumante, sur lesquelles une reconstruction n’est possible qu’au prix d’un sacrifice. Sacrifice qui aura lieu dans « Voilà ce que jamais je ne te dirai ».
La tension est palpable, l’homme nu lit une lettre adressée à son père, cris, larmes et sang accompagnent le ton de sa voix qui s’accélère au fil des mots pour s’achever en un hurlement. Une lettre support de ce qui jamais ne se dira à ce père, un père évidement déjà mort. C’est bien, au nom du père que ce sacrifice aura lieu.
Le CRS nous conduit derechef dans la grande salle, les corps blanc tels des pantins qui répondent aux ordres descendent dans le noir, lumière au front, des gradins vers la scène pour s’asseoir dans les tribunes postées en fond de scène. Une série de cadavres gît sur la dernière tribune. S’offre à nous une scène de déluge, un monde anéanti, de l’autre côté le public croisé lors de l’entracte semble avachi, épuisé par ce qu’il vient de subir. Ainsi tels des êtres sans corps, figurants, n’étant pas autre chose que les rebuts de ce monde dévasté en arrière-plan de cette « autre scène ». Tel un symptôme notre présence met en lumière lampe au front une éternelle répétition, celle par laquelle le monde est monde. Un bruit sourd nous fait tressaillir, un mur de lumière se tourne, un cri strident retentit le fils s’est pendu, scène macabre. Le sacrifice a eu lieu la tribu primitive peut enfin être libérée et prendre forme humaine. Magistral….. !
Article écrit part Margot Ferrafiat-Sebban