Vous avez dit Charles Bedaux ?
Le nom de Charles Bedaux ne vous dit pas grand-chose, voire rien du tout. C’est a priori peu surprenant pour un personnage qui, à de rares exceptions près, a quasiment disparu des radars historiographiques.
George Orwell l’évoque pourtant dans Le ventre de la baleine, nouvelle où il met en cause Staline, Hitler, la guerre et… « la ceinture Bedaux » qui maintient les ouvriers dans la servitude. Notre homme a probablement inspiré le personnage de M. Billows, l’implacable patron chronométreur des Temps modernes, chef d’œuvre de Charlie Chaplin. Là, on s’approche de ce qui le fit connaître : l’organisation scientifique du travail.
Dans le domaine politico-mondain, le monde entier eut les yeux fixés son château de Candé. Le 3 juin 1937, il y chaperonna le mariage du duc de Windsor, l’ex-Edward VIII, et de sa maîtresse américaine Wallis Simpson.
Ceux qui goûtent l’aventure l’ont aussi aperçu sur les pistes de grandes expéditions, de l’Afrique subsaharienne au Grand Nord, notamment avec la « Croisière blanche », dirigée et financée par lui. Une montagne et un passage de rivière de la province canadienne de Colombie britannique ont été baptisés de son patronyme, tandis qu’un lac s’est vu attribuer le prénom de sa femme, Fern.
Ces apparitions dans la littérature et l’actualité furent rendues possibles par l’immense fortune que Bedaux se constitua dans les affaires. Aujourd’hui encore, les livres de management prennent parfois le temps d’évoquer ses innovations. Car après Taylor et Emerson, il fut un des grands prêtres de l’Organisation Scientifique du Travail. Le système de management qu’il mit au point fut adopté par plus de mille cent sociétés, dont Ford, General Electric, Kodak, Unilever, Continental, Renault, les mines d’Anzin, Rover et bien d’autres encore.
En France, on appelait Bedaux « le Taylor français », aux Etats-Unis « Charles-The Man » et partout quelque chose comme « l’homme qui a mis en équations l’énergie humaine ».
Le deuxième volet du scénario fut encore plus fascinant, en forme de montagnes russes. Bedaux vit d’abord son empire s’effondrer en quelques années. Sa relation avec le duc de Windsor fut l’élément déclencheur et le prétexte à la dégringolade, sous les coups pour une fois conjoints des syndicats et du patronat. Après avoir accueilli son mariage, il organisa pour lui une malencontreuse tournée allemande qui s’acheva autour d’une tasse de thé dans le salon du Berghof avec Adolf Hitler. Le scandale fut aussi mondial que l’avaient été les épousailles, à peine six mois plus tôt. Le patronat américain recracha sans hésiter l’enfant de Charenton-le-Pont, qu’il avait pourtant si bien accueilli dans le Nouveau Monde, en 1906. A Moscou, la Pravda le cita nommément comme un ennemi de la classe ouvrière, lui opposant les exploits du mineur Stakhanov qui battait tous les records, disait-on, par son seul amour de la patrie et du travail bien fait. En France, le Front Populaire lui fit à son tour un sort, sous couverts des accords de Matignon à la négociation desquels il avait pourtant été mêlé. Bête noire de la CGT et du Parti communiste, il dut battre en retraite.
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En 39-40, pourtant, c’est à lui que les gouvernements Daladier et Reynaud firent appel pour réorganiser l’industrie de l’armement. Il y parvint en un temps record, succès rendu inutile par la défaite.
Vint alors pour Charles Bedaux le choix de voies imprudentes. Il crut pouvoir être tout à la fois l’intermédiaire entre les agents américains et ceux du Reich, le conseiller et arrangeur des relations économiques entre Vichy et l’occupant, le promoteur de projets pharaoniques en Afrique du Nord –une voie ferrée, un pipe-line d’huile et l’exploitation des mines du sud-oranais- pour le compte de l’Etat Français. Il s’imagina avoir obtenu pour cela, et sans arrière-pensées, les soutiens de l’ambassadeur du Reich Otto Abetz, des fonds des banques françaises comme allemandes, la reconnaissance des autorités de Vichy et, pour couronner le tout, les encouragements de l’Oncle Sam. Autant de partenaires supposés qui se servirent de lui tant qu’il leur fut utile… et le lâchèrent quand ils n’en eurent plus besoin. Aveugle sur les risques pris dans un monde où s’étaient déchaînées des forces dont, tout à ses lubies, il n’avait pas tenu compte, son itinéraire s’acheva tragiquement entre Alger et la Floride.
Ce sont l’itinéraire, les succès et la tragédie de Charles Bedaux que j’ai voulu raconter dans l'ouvrage Charles Bedaux le magnifique, qui sort le 2 mai 2024.
Senior Procurement Consultant / Editor
4 moisBonjour, bravo pour votre bouquin. J'avais entendu parler (très) fugacement de ce personnage dans un épisode de rendez vous avec X il y a très longtemps. J'avais ensuite fait des recherches sur internet. Il y a quelques mois j'ai lu à une amie normalienne le wikipedia anglophone sur Charles Bedaux en lui confiant qu'il mériterait vraiment une biographie... Peut-être trois semaines plus tard j'ai vu la sortie du livre chez Perrin je l'ai acquis et dévoré. Merci pour lui. Nicolas
Managing Director at Deloitte Tax & Consulting
7 moisJe viens de lire d’une traite. Très agréable à lire et intéressant!
Le château de Candé est à Monts (37260), au Sud de Tours.
Recruteur de talents pour entreprises en croissance - Fondateur et dirigeant Rinnovo
8 moisc'est lui le fameux "agent triple" dont vous parliez il y a quelques semaines ? Je vais acheter ce livre dès jeudi afin d'en savoir plus !
Sans oublier que son système a été pointé, pour ne pas dire dénoncé ou stigmatisé, par St Exupery dans la fameuse lettre au général X.