Yémen, il était une fois une guerre oubliée et « légale »
Invité par des étudiants de l’Université de Genève, le politologue, directeur de recherche au CNRS, François Burgat a expertisé, lundi soir, une guerre sans fin.
Acte 1 : Vu d’ici, au sas de nos esprits schématiques, de nos émotions aveuglées, le conflit yéménite se résumait à deux camps, celui de la coalition emmenée par l’Arabie saoudite et l’Iran infiltrant la rébellion. Le premier, du côté de la légalité, drainant les sympathies internationales et onusiennes, le second forcément du côté du mal. Pourtant, cette guerre si lointaine et donc impuissante à capter nos intérêts, est à la fois plus simple et plus complexe. Comme l’a expliqué François Burgat, il faut pour en saisir les aspérités, planter le décor d’avant. Celui où, le Yémen était encore divisé en deux. Le Yémen du Sud, ancienne colonie britannique, avec une population de 3 millions d’habitants, une activité économique développée autour du port d’Aden et le Yémen du Nord, 12 millions d’habitants, exempt de toutes traces de colonisation et dirigé par Ali Abdalah Saleh. Relevons encore, s’agissant de l’ex Yemen du Sud, libéré de l’occupation britannique, par les deux groupes nationalistes, le front de libération de l’occupation yéménite (FLOYS) et le Front de libération nationale (FLN) soutenu par l’Egypte et le Yemen du Nord, laisse le FLN se profiler à sa tête. Et fait inédit dans le monde arabe, c’est la branche marxiste du FLN qui prend le pouvoir avant de fusionner avec tous les autres partis pour former le Parti socialiste yéménite.
En 1990, les deux Yémen sont réunifiés et Sanaa devient la capitale unique. En 2011, le Yémen emboite le pas du printemps arabe. La jeunesse révolutionnaire a investi à Sanaa la place du « Changement » à défaut de manifester sur une place de la Libération (Tahrir) que les autorités échaudées par les événements égyptiens ont préemptée. Le président est écarté en douceur. Et le Yémen, débarrassé d’un pouvoir autocratique, adopte une constitution fédéraliste all inclusive de la diversité. Pendant trois ans, la transition pluraliste fonctionne sans heurt.
Acte 2 : Mais les Houthis, une communauté chiite qui vit dans la région de Hodeidah, se sentent à la fois écartés du pouvoir central et privés de tout accès à la Mer rouge (on en comprend aisément l’enjeu). Alors ? Ces Yéménites du nord tentent de prendre le pouvoir en 2013. Abdalah Salah (l’ex-président), qui n’a pas abandonné l’espoir de reconquérir son siège, décide de s’allier avec ces putschistes. Il a gardé quelques appuis dans l’armée yéménite régulière et sa fortune personnelle est estimée à 32 milliards de dollars. Pour François Burgat, la guerre qui sévit depuis 2015, puise ses origines dans cette vélléité houthiste. Et après, ce qui n’était alors qu’un conflit indigène, voit arriver le jeu des nations alentours. A commencer par l’Arabie saoudite qui agrège d’autres pays arabes comme, les Emirats arabes Unis, la Tunisie et le Soudan. Face à la coalition, les Houthis soutenus idéologiquement par l’Iran, ennemi juré de Ryad. A noter que lors de premiers bruits de bottes des Houthis, l’Arabie saoudite, s’était montrée solidaire à leur égard. Pourquoi parce que l’insurrection houthiste pouvait affaiblir le parti Al-Islah, proche de la mouvance des Frères musulmans.
Acte 3. Comme le relève le politologue français, les forces en présence sont inégales. C’est même un euphémisme que de le dire. En effet, côté coalition, l’armée des Emirats constitue un poids lourd. Au Sud, elle dispose d’une troupe imposante de mercenaires recrutés en Amérique latine. Tandis que la partie montagneuse du pays est laminée par les bombes des Saoudiens. La France et les Etats-Unis, gros pourvoyeurs d’armes, appellent de leurs vœux pour que le conflit s’éternise. En chiffres, depuis le début des hostilités, la coalition a effectué 20 000 raids avec des appareils aptes à multiplier chaque charge. Et les Houthis ? « Une source militaire leur attribue 200 tirs », affirme François Burgat.
Acte 4 : Et les groupes radicaux (djahidistes), qui se sont implantés au Yémen dans les années 1980 ? Les radicalistes n’ont d’existence que si les Etats dysfonctionnent et s’ils voient poindre une ingérence étrangère. En d’autres termes, leur mobilisation n’a pas grand-chose à voir avec l’Islam. Pire, comme le souligne François Burgat : « La réponse islamologique à la radicalisation est infantile ». Et de citer Aimé Cézaire : « Si vous ne me donnez pas ma part, je serai un homme à part ». Autrement dit, mettre les uns ou les autres à la marge, c’est garantir l’émergence de frustrations qui pourront se manifester par des actes violents. C’est plus sûrement là que se nichent les sources de la radicalisation que dans des pseudo guerres saintes.
Alors pourquoi les négociations échouent ? La coalition, soutenue par l’ONU, tient le couteau par le manche car elle est du côté du droit. Les Houthis ne veulent pas entrer dans le bal de négociations qui fragiliseraient, selon eux, leur posture.
Propos recueillis par Adélita Genoud
Rédactrice en chef à GHI
5 ansMerci aux étudiantes et étudiants de l'Université de Genève pour cette magistrale conférence et pour leur engagement. Un exemple pour nous, leurs aînés, qui restons souvent les bras croisés.