ZONES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES EN DROIT CONGOLAIS : Notion - Procédures de mise en œuvre - Avantages et défis
Par Maître MUKENDI MUKENDI NTANTAMIKA
Avocat au barreau de Kinshasa/Gombe
INTRODUCTION
La RDC a décidé d’expérimenter les Zones Économiques Spéciales en vue de promouvoir l’industrie locale. Dans la foulée de premières tentatives hésitantes, elle s’est dotée de la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo. L’exposé analytique de cette première expérience législative s’avère nécessaire pour sa lisibilité, sa clarté et son intelligibilité au profit de toute personne intéressée.
Conformément à la 17ième résolution des 28 mesures d’urgences du Gouvernement, le ministre de l’industrie avait lancé le « Programme d’Urgence de Soutien à l’industrie locale » dont résulte le Décret n°12/021 du 16 juillet 2013 portant création d’une Zone Economique Spéciale sur le site de Maluku, et dans le cadre duquel fut conçu le Projet agricole dit « Bukanga-Lonzo. La mise en œuvre de cette Zone Economique Spéciale s’inscrit dans le cadre du Projet de Développement des Pôles de Croissance-ouest (PDPC), lancé le 26 avril 2014 par la Banque Mondiale, ce projet ayant pour objectif le développement des chaînes de valeur des filières manioc, riz et huile de palme, dans les zones d’INKISI, MBANZA NGUNGU, KIMPESE, BOMA, TSHELA et LUKULA.
Avec la promulgation ultérieure de la loi sus-évoquée, le Gouvernement veut relever le niveau de garantie des investissements privés et leur offrir un cadre institutionnel fiable.
S’agissant d’une toute première expérience en République Démocratique du Congo, d’aucun éprouve certainement le besoin de mieux comprendre le concept des zones économiques spéciales à travers sa mise en œuvre légale. Répondant à ce besoin, le présent article propose une précision de la notion de Zone économique spéciale (I) et expose la procédure de mise en œuvre (II), en vue de permettre une appréciation de ses avantages et défis (III)
I NOTION DE ZONE ECONOMIQUE SPECIALE (ZES)
Pour mieux appréhender la notion de ZES, il faut la préciser au plan général (1) et en droit positif congolais (2)
1 AU PLAN GÉNÉRAL
Préciser la notion de ZES au plan général revient à en indiquer l’origine et le fondement (1.1), ainsi qu’à en donner la définition et les objectifs (1.2)
1.1 Origine et fondement
Bien qu’il en existe des expérimentations antérieures, il est généralement convenu que le concept de ZES s’étoffe à partir et au regard de ses expérimentations fructueuses par le Gouvernement chinois, à partir de 1980.
En cette année là, la Chine post maoïste éprouve les besoins de s’ouvrir aux capitaux extérieurs, pour relancer des secteurs de son économie ruinée par des années de révolution culturelle ou de communisme radical. Une telle ouverture requiert des mesures économiques libérales qui garantissent la sécurité et la rentabilité des investissements privés. Le Gouvernement entreprend alors, sous l’autorité de Deng Xiaoping, d’établir des ZES en vue d’une expérimentation progressive de telles mesures, avant d’envisager leur extension à l’échelle nationale.
Il s’agit ainsi pour le Gouvernement chinois de passer progressivement d’une économie communiste et quasi-autarcique à une économie de marché. De ce fait, les ZES ont permis à la Chine d’expérimenter des réformes axées sur l’économie de marché, et ont agi comme un catalyseur pour l’allocation efficiente des ressources nationales et internationales. Comme stratégie d’ouverture au marché mondial, elles lui ont permis d’attirer des capitaux, de la technologie ainsi qu’un savoir-faire technique et managérial venant de l’étranger, qui ont favorisé le développement industriel et l’intégration accrue de la Chine dans l’économie mondiale[1].
1.2 Définition et objectifs
Prise dans ce contexte originel, la ZES peut se définir généralement comme une zone géographique délimitée à l’intérieur des frontières d’un pays, où les règles économiques, fiscales et administratives sont différentes, généralement plus libérales, que celles qui s’appliquent au reste du territoire national[2].
Ainsi définie, la ZES vise généralement la création d’un régime « spécial » qui confère aux investisseurs quatre avantages principaux par rapport à ce dont ils bénéficieraient normalement dans l’environnement national :
- des infrastructures (notamment des terrains aménagés, des bâtiments d’usine et des services publics) auxquelles l’accès est plus facile et plus fiable que dans le reste du pays ;
- un régime réglementaire et administratif amélioré, comportant des procédures adaptées pour la création d’entreprises, leur autorisation d’exploitation et de fonctionnement ; et généralement,
- un régime douanier spécial assurant une administration douanière efficace et (généralement) un accès à des intrants importés exemptés de droits de douanes et de taxes ;
- un régime fiscal attractif, notamment la réduction ou la suppression des impôts sur les sociétés, de la TVA, d’autres impôts, des contributions sociales (retraites, sécurité sociale, etc.), et parfois de la formation ou d’autres subvention
2 EN DROIT POSITIF CONGOLAIS
L’introduction de la notion de ZES en droit positif congolais requiert sa précision en en donnant le fondement (2.1), la définition et la structure (2.2) ainsi que les objectifs (2.3)
2.1 Fondement
Introduite (formellement) en RDC par la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo, la notion de ZES s’inscrit dans un contexte caractéristique d’un « État en situation de fragilité[3] », qui lui donne toute sa justification.
Un État en situation de fragilité est un État post-conflit où les risques d’effondrement institutionnel et de fragmentation du corps social restent élevés, de manière à réduire son attractivité aux investissements directs étrangers, et ce, bien qu’il offre paradoxalement des opportunités en terme de ressources naturelles inexploitées, de besoin en infrastructures et de demande économique insatisfaite. En vue d’enrayer rapidement ces risques, il est urgent de faire valoir ces opportunités et d’accélérer le flux des investissements, en vue de permettre à la population de toucher ou d’entrevoir les dividendes socio-économique de la paix retrouvée, de manière à légitimer, à stabiliser les institutions rétablies et à assécher les poches de mécontentement social.
Dans ce contexte où les mesures prises pour relancer l’économie à l’échelle nationale peinent à produire les résultats, le concept de ZES permet de créer des endroits où, par une offre de règlementation incitative et plus avantageuse, l’État peut mobiliser le secteur privé en vue d’y accélérer la construction des infrastructures nécessaires au développement d’une activité économique.
2.2 Définition et structure
Telle qu’organisée par la loi en question, une ZES congolaise peut se définir comme un espace du territoire national désigné comme telle par l’autorité compétente, à la demande d’un aménageur avec lequel elle conclu un contrat d’aménagement visant la viabilisation de cet espace territorial et sa soumission à une règlementation dérogatoire à la loi nationale et incitative, en vue d’y faciliter le développement des chaînes de valeur des activités économiques, notamment l’exploitation des ressources naturelles.
Ainsi définie, la ZES congolaise se structure de la manière suivante, du sommet à la base :
- agence des ZES (AZES)[4] : elle est chargée de désigner une ZES, d’assurer la bonne exécution du contrat d’aménagement, et d’y effectuer les missions de protection de l’ordre public avec le concours des services publics compétents, ainsi que de résolution des litiges par la conciliation et médiation[5].
- aménageur : Société commerciale qui demande la désignation d’une ZES et conclut un contrat d’aménagement avec l’AZES. Il fournit toutes les infrastructures et services de base nécessaires et utiles aux activités des entreprises visées. Il organise et gère à son profit l’accès de ces dernières à la ZES aménagée, en y octroyant les autorisations de bâtir, d’accès foncier ou de domiciliation[6], et ce, moyennant une redevance payée à l’AZES
- gestionnaire : au moyen d’un contrat de gestion passé avec l’aménageur, il fournit à ce dernier des services dans le cadre de l’exécution du contrat d’aménagement, y compris l’organisation et la gestion de la ZES. Il fournit une infrastructure ou un service donné, ou il gère la GES pour le compte de l’aménageur et en fait la promotion[7].
- entreprise : par voie d’enregistrement auprès de l’aménageur et de diverses autorisations octroyées par ce dernier, elle s’installe dans la ZES viabilisée et soumise à une règlementation avantageuse, pour y réaliser un projet d’intégration économique ou la transformation des ressources naturelles[8].
- résident : toute personne physique qui, pour une raison professionnelle en rapport avec les activités des projets réalisés dans une ZES, y réside en permanence moyennant son enregistrement auprès de l’aménageur et l’autorisation de l’AZES.
2.3 Objectifs
D’un point de vue légal, la ZES congolaise vise deux objectifs : l’intégration économique et la transformation des ressources naturelles, dont nous pouvons déduire la création de l’emploi et l’industrialisation de l’économie nationale.
En effet suivant l’article 5 de la loi sus-évoquée sur les ZES, « seuls les projets initiés soit entièrement par les promoteurs privés nationaux ou étrangers, soit encore par des partenariats publics-privés, peuvent être agréés au sein de la zone économique spéciale .Ces projets visent l’intégration économique nationale et la transformation des ressources naturelles ».
Par cette disposition légale visant les entreprises admissibles dans une ZES, il faut comprendre que cette dernière doit être à la base un parc industriel visant la concentration, dans l’aire d’une activité de base donnée (agricole par exemple) ou de l’extraction d’une ressource naturelle, des infrastructures et services de base nécessaires au développement de la chaine de valeur relative à la filière d’activités visée. La chaine de valeur signifie ici la mise en relation de toutes les activités nécessaires à effectuer ou effectuées tout le long du processus productif : fourniture d’intrants, production, transport, entrepôt, transformations diverses, négoce et commercialisation.
Par l’intégration de ces différentes activités d’une même chaine de valeur, la ZES permet aux opérateurs d’en réduire, en plus des coûts fiscaux et administratifs, les coûts de transaction, de telle manière que leur compétitivité/prix s’en trouve améliorée sur le marché.
II PROCÉDURE DE MISE EN ŒUVRE
Suivant le décret qui l’organise, la procédure de mise en œuvre d’une ZES se déroule en 6 étapes : choix du site et demande de désignation d’une ZES (1), instruction de la demande et pré-qualification des candidats (2), Appel d’offres et sélection des offres (3), conclusion du contrat d’aménagement (4) et des contrats de gestion (5), conclusion de la convention d’occupation et agrément des entreprises (6)
1 CHOIX DU SITE ET DEMANDE DE DÉSIGNATION
Au départ, l’aspirant aménageur d’une ZES doit choisir le site (1.1), et introduire une demande de sa désignation comme ZES (1.2)
1.1 Choix du site
Suivant l’article 9 points 2 et 3 du décret de mise en œuvre d’une ZES[9], le choix du site consiste à collecter les information sur la disponibilité du site qui doit être de 250 ha au moins, situé à proximité des infrastructures de base (routes, électricité, point d’accès à l’eau ..) ou offrir les qualités géophysiques de construction de telles infrastructures.
Cette indication du site doit être assortie d’un plan d’aménagement ou d’une étude de faisabilité intégrale de la ZES projetée, incluant une étude d’impact environnemental et social.
1.2 Demande de désignation d’une ZES
Avant d’introduire la demande de désignation d’une ZES, l’aspirant aménageur doit remplir les conditions liées à sa qualification professionnelle et à sa capacité technique et financière, telles que déterminées à l’article à l’article 9 point 1, notamment : Il doit s’agir d’une société commerciale légalement constituée, fournir la décision d’investir de l’organe compétent et les preuves des prestations antérieures dans une ZES ou similaires, ainsi qu’un programme d’activité détaillé assorti d’une indication des bénéfices socio-économiques espérés au plan national et local
2 INSTRUCTION DE LA DEMANDE DÉSIGNATION D’UNE ZES ET PRÉQUALIFICATION DES CANDIDATS
L’instruction de la demande d’une ZES se fait conformément aux procédures et modalités fixée par l’AZES. Lorsqu’elle est jugée conforme ou valable par rapport aux conditions et critères fixés pour le site et la qualification du postulant, l’AZES rend une décision d’octroi de statut de ZES au site visé.
Suivant l’article 11 du décret en question, cette décision expire après 12 mois, à dater de la signature du contrat d’aménagement, si le future l’attributaire ne débute pas les travaux.
La décision de refus d’octroi du statut de ZES au site visé est susceptible d’un recours en annulation devant le juge administratif. Ce dernier n’étant pas compétent pour jugé de l’opportunité d’une ZES, son contrôle ne portera que la validité formelle de la décision.
Une fois la décision d’octroi de statut de ZES rendue, l’AZES publie un avis de pré-qualification des candidats aménageurs contenant toutes les informations relatives aux conditions à remplir et au site désigné. Elle arrête la liste des candidats retenus pour concourir à l’appel d’offres et ceux rejetés.
3 APPEL D’OFFRES ET SÉLECTION DES OFFRES[10]
Après la pré-qualification, l’AZES ouvre une procédure d’appel d’offres. Elle institue un Comité de sélection des offres et invite les candidats pré-qualifiés à concourir.
Suivant l’article 13 du décret de mise en œuvre de la ZES, « sous réserve des dispositions spécifiques prévues dans la Loi sur les zones économiques spéciales et ses mesures d’application, dans le cadre d’un partenariat public-privé l’Aménageur est sélectionné par l'AZES dans le respect des dispositions de la loi n°18/016 du 9 juillet 2018 relative au partenariat public-privé ainsi que de celle n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics et de ses mesures d’application, sur la base d’un Cahier des charges élaboré par l’AZES et approuvé par le Ministre ayant l’Industrie dans ses attributions » Ceci veut dire que la procédure d’appel d’offres est principalement celle prévue pour les PPP, lorsque la réalisation de la ZES doit être faite dans le cadre d’un contrat de PPP conclu avec l’AZES ; ou celle prévue pour les marchés publics lorsque la ZES doit être réalisée par un promoteur privé. Sauf application des dispositions particulières de la loi et du décret sur les ZES.
A titre exceptionnel, l’AZES peut également avoir recours à la procédure de gré à gré dans les cas suivants: 1) lorsque la procédure d’appel d’offres lancée ne suscite aucune offre ou a été déclarée infructueuse; 2) lorsque le projet ou l’infrastructure ne peut être réalisé ou exploité pour des considérations techniques ou des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité, que par un seul opérateur économique.
4 CONCLUSION DU CONTRAT D’AMENAGEMENT[11]
A l’issue du processus de sélection des offres, le candidat retenu se constitue en une société de droit congolais et l’AZES engage avec lui des négociations en vue d’arrêter les termes définitifs du contrat de partenariat public privé. Ces négociations sont obligatoires et ne peuvent avoir pour effet l’altération des critères de base d’attribution du contrat.
Au terme des négociations, l’AZES, agissant au nom et pour le compte de l’Etat, conclu un contrat d’aménagement avec soit les promoteurs privés nationaux ou étrangers bénéficiant d’une décision d’octroi de statut de ZES, soit les soumissionnaires déclarés attributaires des marchés d’aménagement des ZES créées dans le cadre des partenariats publics privés dont le dossier d’appel d’offres contient un projet dudit contrat de partenariat.
Le contrat d’aménagement est constitutif d’une sorte de société en participation entre l’Etat et l’Aménageur. Il détermine toutes les obligations et les droits nécessaires et utiles à la réalisation de la ZES, ainsi que tous les avantages fiscaux, parafiscaux, douaniers et de change octroyés.
5 CONCLUSION DU CONTRAT DE GESTION [12]
Après la conclusion du contrat d’aménagement, l’Aménageur établit une note listant et justifiant les activités d’aménagement et/ou de gestion qu’il doit sous-traiter, ainsi que le mode et les critères prévus de présélection et de sélection des sous-traitants. Et il soumet cette note à l’approbation de l’AZES.
Après approbation de la ZES, l’aménageur recrute les sous-traitants suivant le mode et critères approuvés et les proposent à l’agrément de l’AZES, de sorte qu’ils acquièrent chacun le statut de gestionnaire agréé avec qui l’aménageur signe un contrat de gestion. Ce contrat doit être préalablement approuvé par l’AZES, a peine de nullité absolue.
6 SÉLECTION DES ENTREPRISES, CONCLUSION DE LA CONVENTION D’OCCUPATION ET AGRÉMENT[13]
Après la viabilisation complète et conforme de la ZES, l’aménageur dresse un plan d’occupation des parcelles et sélectionne, de gré à gré, les entreprises candidates au statut d’Entreprise de ZES, suivant les critères techniques qui s’en déduisent et ceux de transparence et d’impartialité.
Les entreprises sélectionnées concluent chacune avec l’aménageur une convention d’occupation conforme à ses activités. Cette convention précise le montant, le mode de calcul et le mode de révision des montants dus par l’Entreprise de ZES à l’Aménageur ou au Gestionnaire selon le cas, au titre de l’occupation de la ou des Parcelle(s) visée à dans la Convention d’occupation ; et des services fournis en distinguant les services collectifs[14] et les services particuliers[15].
Après la signature de la convention d’occupation, l’aménageur présente l’entreprise candidate à l’agrément de l’AZES en fournissant : une copie de la Convention d’occupation signée; une copie du plan d’affaires et financier de l’Entreprise de ZES; le certificat d’immatriculation de l’Entreprise de ZES en République Démocratique du Congo; la preuve de la compatibilité du projet avec le site choisi.
A la réception de ces pièces, l’AZES dispose d’un délai de quinze (15) jours pour délivrer l’Agrément. Si les informations fournies sont incomplètes, l’AZES peut demander un complément d’information. Le délai de quinze (15) jours précité est alors suspendu et ne recommence à courir qu’une fois fournies les informations complémentaires demandées
La décision de refus de l’agrément d’une Entreprise de ZES est susceptible de voies de recours judiciaires en annulation d’une décision administrative.
III AVANTAGES ET DÉFIS
En filigrane de l’exposé des avantages d’une ZES (1), apparaissent des défis de sa mise en œuvre (2)
1 AVANTAGES
Au-delà des infrastructures, une ZES constitue pour les entreprises une offre de règlementation qui réalise les principaux critères de sécurité juridique et d’incitation aux investissements : un cadre institutionnel fiable (1.1), un cadre juridique simplifié (1.2), et l’indépendance du pouvoir juridictionnel (1.3), ainsi que les avantages fiscaux, parafiscaux, douaniers et de change (1.4)
1.1 Cadre institutionnel fiable
Un cadre institutionnel fiable est celui qui offre un accès facile et sûr aux services administratifs impliqués dans le contrôle ante-post et ex-post d’une activité économique. De ce point de vue, l’AZES intègre tous ces services en constituant un guichet unique[16], au sein duquel elle coordonne leurs interventions, et exerce les missions administratives qui lui sont déléguées.
Ainsi, toute entreprise désireuse de s’implanter dans une ZES s’adresse à une même autorité pour obtenir les autorisations nécessaires. Et les inspections et les contrôles administratifs effectués par les services de l’Etat ne peuvent avoir lieu dans les ZES qu’en coordination avec l’AZES et l’aménageur ou le gestionnaire. L’AZES coopère pleinement avec les services de l’ordre en ce qui concerne la sécurité intérieure et extérieure des ZES[17].
Par ailleurs, l’AZES exerce au sein d’une ZES, par délégation légale, toutes les prérogatives des administrations foncière, d’urbanisme et habitat et de l’environnement[18].
1.2 Un cadre juridique simplifié
La simplification du cadre juridique signifie la soumission d’une entreprise à un unique corpus de règles claires et cohérentes, à la lumière duquel elle peut comprendre toutes ses obligations et tous ses droits découlant de son activité, sans avoir besoin de consulter des textes disparates.
Dans cette perspective, le contrat d’aménagement et la convention d’occupation simplifient le cadre juridique d’une Entreprise de ZES, en ce qu’ils offrent un même corpus de règles applicables à une entreprise de ZES. Ils constituent pour cette dernière l’unique référant en ce qui concerne les règles d’occupation foncière, urbanistiques, environnementales, fiscales, douanières et parafiscales, ainsi que celles de change.
1.3 Indépendance du pouvoir juridictionnel
Dans un environnement institutionnel délétère, caractéristique d’un État en situation de fragilité, l’accès à un juge professionnellement compétent et efficace est un défi majeur pour la sécurité juridique des investissements et l’attractivité du pays. C’est pourquoi le recours à des modes alternatifs de justice est souvent recommandé pour rassurer les investisseurs.
Ainsi, en application de l’article 27 de la loi sur les ZES, le décret de mise en œuvre dispose à son article 51 : « Tout différend pouvant survenir à l’occasion de l’interprétation ou de l’application des Contrats d’aménagement, des Contrats de Gestion et des Conventions d’occupation doit faire l'objet d'un règlement à l’amiable, sinon par voie d'arbitrage, avant tout recours juridictionnel éventuel devant les cours et tribunaux de la République Démocratique du Congo »
Concernant le règlement à l’amiable, les parties doivent recourir à l’AZES à la quelle sont dévolues les pouvoirs de médiation et de conciliation.
1.4 Avantages fiscaux, parafiscaux, douaniers et de change[19]
Les avantages fiscaux, parafiscaux, douaniers et de change dont jouit une entreprise de ZES sont fixés par le contrat d’aménagement. Les Ministres ayant l’industrie et les finances dans leurs attributions présentent, au Parlement, à chaque session ordinaire, les contrats d’aménagement signés ainsi que les avantages accordés.
Au sein de la ZES est constituée une zone franche, de sorte que les administrations fiscale et douanière doivent y prévoir des procédures de contrôle simplifiées pour les marchandises émanant ou à destination des zones économiques spéciales ; les opérations d’évaluation, la perception des droits et taxes doivent avoir lieu soit à l’intérieur du périmètre des zones économiques spéciales, soit dans les zones dédiées d’importation sous régime zone économique spéciale ;
Il ne doit être exigé aucune caution douanière ni pour les marchandises entreposées au sein des zones économiques spéciales, ni pour celles émanant ou à destination des zones économiques spéciales transitant par le territoire fiscal et douanier national ;
Un régime particulier de paiement des taxes et des frais administratifs est établi dans les zones économiques spéciales par un Arrêté du Ministre ayant les finances dans ses attributions.
Toute fois suivant l’article 7 de la loi sur les ZES, les régimes fiscaux, parafiscaux et douaniers prévus par des lois particulières ne sont pas cumulables avec les avantages accordés au sein d’une ZES avant les textes qui la régissent. C'est-à-dire qu’une entreprise opérant dans une ZES ne peut solliciter un agrément au code des investissements, ou se prévaloir des avantages accordés par le code minier aux entreprises de transformation ou encore le code agricole.
Par ailleurs l’aménageur a le droit de Jouir des retours financiers découlant de ses investissements, et de les rapatrier dans le pays d’origine le cas échéant[20]
2 DÉFIS
Traditionnellement, il faut la paix et la stabilité politique pour attirer les investissements. Utiliser ces derniers, dans une situation de fragilité institutionnelle, pour résorber les risques sociopolitiques et consolider les institutions est un paradoxe qui confronte les ZES aux mêmes défis que ceux d’un investissement dans un pays instable : Corruption, risque politique, mauvaise notation des agences financières ….
Pour ce qui concerne la mise en œuvre de la ZES congolaise, son administration et sa régulation par un organisme étatique présente des nombreux de défis. Emanant d’un environnement institutionnel général délétère, l’AZES risque en effet d’en reproduire à l’échelle des ZES les maux : corruption, clientélisme, laxisme, sur fond d’une médiocrité des ressources financières, techniques et personnelles. Il est difficile qu’elle devienne un mécanisme d’intégrité à l’abri de tout risque de captation par des intérêts catégoriels ou des élites politiques.
En raison de ces risques, il a été relevé que les ZES administrées par les organismes étatiques ont pâtit des difficultés de ces derniers à mobiliser les ressources financières et techniques suffisantes pour le renforcement de leurs capacités institutionnelle et managériale[21]. Le mode de gestion étatique n’incite pas, par ailleurs, les investisseurs.
Ainsi, l’administration d’une ZES doit être assez participative et transparente pour rassurer les bailleurs des fonds et les entreprises. Elle doit intégrée les agents publics, la FEC, et les autres associations professionnelles des opérateurs intéressés
CONCLUSION
De l’historique et du fondement de la ZES, nous pouvons noter que sa mise en œuvre fructueuse doit s’inscrire dans une vision stratégique endogène et une volonté politique, et s’appuyer sur une réelle organisation stratégique des agents locaux (fonctionnaires, PME et opérateurs individuels).
Les défis relevés montrent qu’une mise en œuvre fructueuse d’une ZES ne saurait faire l’économie des critères de la bonne gouvernance : la transparence et la gestion participative. Il faut donc un décentrement de son dispositif d’administration et de régulation (AZES) en vue d’inclure dans ses instances de décision les représentants de toutes les parties intéressées.
Notes de bas de page
[1] Thierry PAIRAULT. Des nids pour le phénix : L’Afrique et les zones économiques spéciales “ chinoises ”.2nd Workshop en économie du développement : “ Politiques publiques de développement dans les paysd’Afrique subsaharienne ”, Université du Luxembourg, Association Tiers-Monde, Université AlasasaneOuattara, Mar 2019, Abidjan, Côte d’Ivoire. halshs-02047370
[2] Claude BAISSAC et Al, « zones économiques spéciales en situations de fragilité : un instrument politique utile ? », étude commandée par le Département d’appui à la transition de la BAD (2014), p. 20
[3] Claude BAISSAC et Al, op. cit, p. 15-18
[4] Créée par le décret n° 15/007 du 14 avril 2015 portant création, organisation et fonctionnement de l’agence des zones économiques spéciales
[5] Article 4 du décret ci-avant
[6] Articles 14 et s. de la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo
[7] Article 12 et s de la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo
[8] Article 7 et s loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo
[9] Décret n°18/060 du 29 déc. 2018 fixant les modalités et les procédures de participation des aménageurs et des entreprises dans les zones économiques spéciales en république démocratique du Congo
[10] Articles 17 à 24 du décret de mise en œuvre d’une ZES
[11] Articles 25-28 du décret de mise en œuvre de la ZES
[12] Articles 29-32 du décret de mise en œuvre de la ZES
[13] Articles 33-35 du décret sur la mise en œuvre de la ZES
[14] Services fournis à tous les occupants d’une ZES
[15] Services fournis à une seule entreprise de ZES
[16] Mieux définis et organisés par les articles 44 à 46 du décret de mise en œuvre de la ZES.
[17] Article 23 de la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo
[18] Article 25 de la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo
[19] Articles 32 à 35 de la loi n° 14/022 du 07 juillet 2014 fixant le régime des zones économiques spéciales en République Démocratique du Congo
[20] Article 15 alinéa 4 de la loi sur les ZES
[21] Claude BAISSAC et Al, op. cit, p.32