« J’ai fait un album qui parle de la peur et de la honte, ç’a été un exercice extrêmement gênant. », confie Oliver Sim à Apple Music. En tant que troisième membre du groupe électronique indé britannique The xx (aux côtés de Romy Madley Croft et du producteur Jamie xx), Sim s’est spécialisé dans l’écriture de chansons d’amour dépouillées et obsédantes. Pour ses débuts en solo, cependant, il a tourné son regard vers l’intérieur pour affronter le sentiment de honte intériorisée qui a marqué toute son existence. « Je me suis d’abord demandé pourquoi je voulais partager les choses qui me font me sentir hideux d’une certaine manière », dit-il. « Mais les dissimuler n’a pas vraiment fonctionné pour moi par le passé. En fait, l’idée même de cacher des choses ne fait qu’alimenter la honte. » Ici, Sim entre directement dans le vif du sujet : le premier titre de l’album, « Hideous », où l’on entend la voix de Jimmy Somerville, un des grands noms de la musique pop gay, raconte pour la première fois comment Sim vit avec le VIH depuis l’âge de 17 ans. « Ma façon de gérer ma séropositivité relevait d’abord du contrôle », explique-t-il. « J’ai toujours su exactement qui était au courant et si cette personne l’avait dit à quelqu’un d’autre. Mais le fait de le coucher enfin sur le papier a été un vrai moment de “rien à foutre”. » Pour cet enregistrement, Sim a travaillé presque exclusivement avec son compagnon de groupe Jamie xx. « L’album aurait été très différent si je l’avais fait avec quelqu’un d’autre », affirme-t-il. « Jamie est mon ami depuis que j’ai 11 ans. Je ne pense pas que je me serais autant exposé avec quelqu’un d’autre. De plus, c’est un homme hétéro qui s’implique dans de vraies conversations queers. Il n’a eu tout simplement aucun ego et a donné vie à mon univers. » Une partie de cette tâche a consisté à satisfaire l’amour de Sim pour les films d’horreur (il a créé un court-métrage d’horreur complet pour accompagner l’album avec le réalisateur Yann Gonzalez) mais aussi à l’aider à raconter ses expériences de l’homophobie, de la solitude et de l’autosabotage. « J’avais peur que ce projet soit perçu comme perpétuant l’image d’homosexuels qui se détestent, ce qui aurait été vraiment déprimant », explique Sim. « Mais tout ce processus, et la façon dont je vois le disque, n’ont rien de déprimant. C’est le contraire de la honte. Il ne s’agit pas de se cacher. » Ci-dessous, laissez-vous guider par Oliver Sim, morceau par morceau, à travers Hideous Bastard — y compris pour les quatre titres acoustiques de cette édition spéciale Antidote. Hideous « J’ai entretenu une correspondance avec Jimmy Somerville quelques mois avant de lui demander d’apparaître sur la chanson. J’ai connu cette voix toute ma vie, mais c’est en tant qu’adulte que j’ai compris ce qu’il représentait et tout ce qu’il avait fait. Il a été très actif et s’est exprimé sur les problèmes des homosexuels pendant si longtemps, je pense que je voulais un peu de cette intrépidité. Lorsque je lui ai finalement demandé de participer à la chanson, je m’attendais à ce qu’il soit très militant et dévoué à la cause, mais il a été très doux avec moi. Il m’a dit : “J’espère que tu fais ça pour toi.” Il m’a aussi dit : “J’ai 60 ans, alors ne vous attendez pas à ce que j’atteigne des notes très aiguës”. Mais quand il est arrivé et qu’il a commencé à chanter, Jamie et moi avons pleuré. Sa voix est incroyable. Elle est si puissante, et quand on est juste à côté de lui, elle est très sonore. » Romance With a Memory « Pour cet album, j’ai beaucoup joué avec ma voix. Je n’avais jamais chanté qu’en duo avec Romy et je me demandais jusqu’où pouvait aller ma voix si je sortais de ce cadre. J’aime essayer de voir jusqu’où ma voix peut monter et descendre, et même la faire aller dans des registres très graves, où elle se met à ressembler à une parodie de voix masculine, ou devient totalement démoniaque. J’aime entendre des voix d’hommes chanter ensemble. Il y a là quelque chose de très masculin, mais aussi très tendre et romantique. L’idée même d’harmoniser des hommes ensemble est, je pense, assez queer. » Sensitive Child « “Enfant sensible” : on m’a souvent appelé comme ça. C’est un euphémisme pour désigner un certain type d’enfant, en particulier un petit garçon. Je pense que le fait de l’entendre en tant qu’adulte, et en tant qu’homosexuel, fait remonter beaucoup de sentiments d’enfance liés au fait de ne pas être compris, accepté. C’est probablement aussi l’une des rares chansons que j’ai écrites d’une traite. D’habitude, mes morceaux commencent par des mots sur un bout de papier, mais celle-ci m’a été inspirée par un morceau de Del Shannon intitulé “Break Up” autour duquel j’ai écrit tout le texte. Je suis le genre de personne qui passe des mois sur une chanson, mais celle-ci est arrivée très rapidement. Je la vois comme une chanson de colère. » Never Here « Je parle beaucoup de la mémoire dans cet album, et cette chanson pose la question de la fiabilité de ma mémoire et de la façon dont, peut-être, la technologie peut déformer mes souvenirs. C’est aussi, d’un point de vue sonore, l’une des chansons les plus rock de l’album, ce qui a été vraiment amusant à faire pour moi. La musique qui m’a vraiment passionné adolescent provenait soit de la collection de disques de ma sœur, qui était composée de R&B américain du milieu des années 90 comme Aaliyah, TLC, En Vogue et Ginuwine, soit de hard rock comme Placebo et Queens of the Stone Age. C’était plaisant de se replonger dans cette musique avec “Never Here”, et de crier aussi. Je crois que c’est l’une des rares fois où je me suis permis de crier, ce qui est une vraie libération. » Unreliable Narrator « J’ai commencé cet album avec des tonnes et des tonnes de questions, mais pas nécessairement de réponses. J’ai écrit cette chanson car, dans ma tête, cet album était un film, et je voulais qu’il y ait ce moment de l’intrigue à la moitié du disque. “Unreliable Narrator” a été inspiré par ce monologue que Bret Easton Ellis a écrit pour Patrick Bateman dans American Psycho. Dans le film, c’est le moment où Christian Bale fait sa routine matinale en 14 étapes et explique qu’il n’est pas “vraiment là”. Je ne suis pas un psychopathe, mais je pense que cette idée de façade et de masque, à quelque degré que ce soit, est très parlante. Je me suis aussi dit que ce serait assez amusant d’avouer, à mi-chemin du film, que tout ce que je peux dire n’est pas vraiment fiable. » Saccharine « J’ai construit toute ma carrière sur des chansons d’amour — c’est mon domaine, pour ainsi dire. Pour cet album, j’ai essayé de ne pas écrire trop de chansons d’amour parce que je pense que j’aurais pu cacher beaucoup de choses si je l’avais fait. Mais ce titre est encore assez révélateur de moi-même. Il a beaucoup plus à voir avec moi qu’avec quiconque ; il parle de ma peur de l’intimité. Je ne voulais pas que cet album soit doux. Il aurait pu avoir un certain sens de l’humour, mais il se devait d’être sauvage. Cette chanson évoque le saboteur qui sommeille en moi et mes réactions lorsque les choses deviennent trop douces. » Confident Man « “Confident Man” [“L’homme confiant”], c’est un titre assez drôle pour moi. À l’école, je me sentais exclu à cause de ma sexualité. Je ne savais pas que j’étais gay en primaire, mais on m’a toujours fait comprendre que j’étais un peu dandy. Je n’ai jamais été invité à jouer au football. Je ne voulais pas jouer au football — je déteste le football — mais ce n’est jamais agréable de ne pas faire partie du groupe, surtout quand on est attiré par les garçons pour des raisons qu’on n’a jamais vraiment comprises. Mais ensuite, il m’a fallu vivre encore cela en tant qu’adulte au sein de la communauté gay, une communauté d’outsiders... Il y a ce sentiment de masculinité performative d’une part, et de l’autre ce à quoi ressemble réellement la confiance. Je pense qu’il y a quelque chose de très déstabilisant dans le fait de se sentir obligé de jouer la masculinité. Qu’est-ce que les gens considèrent comme masculin ? Je pense que c’est une preuve de confiance en soi que de dire, “Je ne me sens pas très confiant.” » GMT « Jamie et moi sommes partis en Australie. C’était avant le COVID et on avait déjà lancé le projet. J’y suis allé pour échapper à l’hiver anglais car la dépression saisonnière est bien réelle. On a commencé notre séjour à Sydney et on a fait un road trip jusqu’à Byron Bay en écoutant beaucoup de musique. On écoutait les Beach Boys et j’ai commencé à chanter des trucs dans la voiture. Quand on est arrivés à Byron Bay, on a fini par sampler les Beach Boys pour la chanson. J’étais sous ce beau soleil, mais je me languissais déjà un peu de Londres. Je pense qu’il y a une mélancolie inhérente à Londres, qui a été le moteur de tant de créativité étonnante. C’était une chanson d’amour jet-laggée sur Londres. » Fruit « C’est drôle, c’est la chanson la plus difficile à expliquer, parce que je pense qu’elle dit déjà tout. C’est comme un épisode de Drag Race où l’on se demanderait ce que l’on peut dire à un Oliver de cinq ans... Donc ça parle à l’Oliver de cinq ans, mais ça me parle aussi à moi aujourd’hui, parce qu’il y a une partie de moi qui a encore cinq ans. Je suis toujours un enfant sensible, mais maintenant on me dit les choses que j’ai toujours voulu entendre. » Run the Credits « Quand je parlais d’“Unreliable Narrator” comme d’un moment de l’intrigue, cette chanson a été écrite exactement pour la fin de l’album. C’était la tonalité sur laquelle je voulais terminer et qui reflète ce qui me semble être la chose la plus effrayante au cinéma, à savoir la fin ouverte. Un arc à la Disney pour tout clore est toujours tentant, mais il n’y a rien de plus effrayant que de laisser la fin ouverte. Votre imagination va toujours créer sur-mesure l’issue la plus terrifiante. » Sensitive Child (Antidote Session) « C’est la chanson que je préfère jouer sur scène. C’était assez étrange de la chanter dans une pièce confinée, conçue pour un enregistrement. On l’a enregistrée avec un casque sur les oreilles, donc aucune musique n’était jouée dans la pièce. La seule chose que les gens pouvaient entendre dans la pièce, c’étaient les voix. Et je crie. Je crie vraiment. » Nancy Boy (Antidote Session) « En faisant cet album, je me suis reconnecté avec beaucoup de musique de mon enfance et de mon adolescence, comme Placebo. “Nancy Boy” est la première chanson qui m’a vraiment attiré vers eux. Quand je l’ai entendue à l’âge de 13 ans, je ne pense pas l’avoir entièrement comprise, mais je me doutais qu’elle en disait un peu plus que ce que je percevais, et que cette idée me parlait. Stefan et Brian du groupe ont été importants pour moi. Avant eux, la plupart de mes idoles étaient des femmes, dans des séries comme Buffy ou les Scream Queens. J’aimais toute cette féminité, la beauté et le côté sexy, mais aussi le fait que toutes ces femmes étaient en colère, puissantes, fortes. Brian et Stefan de Placebo ont été les premières personnes que j’ai identifiées comme des hommes ayant aussi ces qualités. Je pense que le refrain de leur chanson est génial. Il en dit beaucoup sur l’identité, mais de manière drôle et sauvage. Ce morceau a beaucoup inspiré ce que je suis et le genre de musique que j’ai fait. » Run the Credits (Antidote Session) « Je voulais terminer sur ce genre de note. En plus, tout le monde dans le groupe chante ici, et j’ai vraiment aimé ce moment. C’est une vraie chanson à chanter. » Fruit (Antidote Session) « Je pense que “Fruit” résume encore mieux l’album que “Hideous”, parce qu’elle est plus accessible et joyeuse. On y entend la célébration, mais aussi la peur et la honte dont parle tout l’album. »
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