De son propre aveu, Sarah Harmer n’avait pas prévu de prendre une pause de dix ans entre ses albums. Il faut dire que le temps passe vite quand on lutte contre des multinationales du secteur de l’énergie qui souhaitent s’approprier des espaces verts et mettre en danger des espèces menacées. Depuis le milieu des années 2000, l’auteure-compositrice-interprète indie folk canadienne s’est impliquée dans plusieurs mouvements de conservation des milieux naturels du sud de l’Ontario. Mais après la parution de Oh Little Fire, en 2010, ces projets auparavant secondaires l’ont occupée à plein temps. « Je crois que je me suis habituée à ne plus être musicienne pendant un certain temps », explique Sarah Harmer à Apple Music. « Lorsque vous commencez à vous impliquer sur le terrain, ça représente énormément de travail; il faut notamment écrire des lettres et participer à des réunions municipales. La musique n’était plus au centre de mes intérêts. » Pourtant, durant cette longue pause, Sarah Harmer gardait toujours sa guitare à portée de la main, au cas où l’inspiration se montrerait le bout du nez. C’est ainsi qu’au printemps 2017, elle avait accumulé suffisamment de nouvelles pièces pour entreprendre le travail de création de son sixième album qui aurait vu le jour plus tôt, n’eût été du fait qu’elle a passé l’année qui a suivi à rénover une vieille maison. Le destin a voulu que Are You Gone voie finalement le jour lors du 20e anniversaire de You Were Here, l’album qui a lancé sa carrière. Sarah Harmer considère que ces deux projets sont complémentaires, car ils partagent selon elle la même esthétique inspirée du « fais-le toi-même » et un sentiment de « retour à la civilisation ». Toutefois, contrairement à l’album précédent, Are You Gone laisse libre cours à l’énergie brute d’une artiste qui est restée trop longtemps recluse. L’indie pop empreinte d’un sentiment d’urgence d’une pièce comme « Take Me Out » et le rock alternatif sombre de « Wildlife », écrite par son ami Dave Hodge, rappellent ses débuts en tant que chanteuse de Weeping Tile, dans les années 1990. Pour sa part, l’hymne accrocheur « New Low » est propulsé par une rythmique cowpunk galopante et une section de cuivres musclés. Et même si cette pièce semble appuyer la présomption, parfaitement raisonnable, qu’une artiste comme Sarah Harmer se servirait de son premier album en dix ans comme porte-voix pour dénoncer les nombreuses injustices de notre monde, Are You Gone se veut davantage une série de messages à cœur ouvert que de proclamations politisées. En ouverture, « St. Peter’s Bay » est du Harmer tout ce qu’il y a de plus classique, un portrait intime d’une histoire d’amour qui s’étiole marqué par des arrangements doucement chaloupés, un magnifique paysage lyrique et un « hook » qui en fera fondre plus d’un. L’entraînant folk rock de « The Lookout », qui n’est pas sans rappeler Fleetwood Mac, est un intense et dévorant rendez-vous sur le bord d’une falaise où elle entonne : « The beauty of the place was blocked by the way I held you too close. » (librement : « La beauté du lieu était voilée par la force de mon étreinte. ») Il serait facile de se méprendre sur l’inspiration derrière le piano aussi vif que décontracté de « What I Was To You »; d’abord au sujet d’un ami mourant, la chanson est peu à peu devenue un hommage à Gord Downie, le regretté chanteur du groupe The Tragically Hip. Pour Sarah Harmer, le penchant de Are You Gone pour les messages plus personnels que polémiques est une façon de mieux faire passer son propos, et non un désaveu de l’activisme. « Je crois qu’une partie de ce qui a motivé la création de l’album, c’est de consacrer moins de temps à me concentrer sur les détails de la lutte contre l’ordre établi, seule dans mon coin, afin de créer un élan qui nous donne une voix plus forte. » Elle renchérit, en riant : « Je vais garder mes discours [politiques] pour mes interventions entre les chansons en spectacle. »
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