Antoine Corriveau a décidé de sortir de sa zone de confort et de défricher de nouvelles voies créatives pour faire germer PISSENLIT, un quatrième album où les sphères personnelle et universelle se superposent jusqu’à se fondre l’une dans l’autre. Pour la première fois, il a travaillé dans son propre studio, donc sans pression ni contrainte de temps. Il s’est aussi laissé guider par des impulsions plus rock et plus brutes, en acceptant de prendre des détours inattendus. « Par le passé, j’ai souvent misé sur les cordes et les cuivres, et je me suis rendu compte que je m’appuyais peut-être trop sur ce genre d’instruments », explique l’auteur-compositeur-interprète à Apple Music. L’artiste montréalais a par ailleurs demandé à cinq amis batteurs de jouer tous ensemble en studio. « J’ai ainsi obtenu plus de trois heures de rythmes qui ont ensuite servi de points de départ à plusieurs pièces. J’ai un peu procédé à la manière d’un collage, en expérimentant. En fait, je crois que c’est la première fois que je m’accorde autant de liberté », lance celui qui passe ici en revue chaque pièce de son œuvre. Quelqu’un « C’est la première chanson que j’ai écrite pour l’album, et c’est aussi celle qui a donné le ton aux différents thèmes. J’avais envie de parler un peu plus de moi, sans tomber dans quelque chose d’égocentrique, tout en posant mon regard sur différents enjeux sociaux. Musicalement, elle est née de manière minimaliste, alors que j’improvisais à la guitare classique. J’ai ensuite associé ça aux séances d’enregistrement à cinq batteries, qui créent ici une sorte de pulsation, comme une intro de chanson qui ne décolle jamais vraiment. » Maladresse « Cette ballade très “droit au but”, qui porte sur l’idée de fuite, a un peu une ambiance à la “Unplugged” de Nirvana. Quand je l’ai composée, j’ai tout de suite su que je voulais en faire quelque chose de plus pop que ce que j’avais toujours fait. Elle tient beaucoup sur le mélange de la batterie et de la basse. Ç’a pris du temps avant que je réussisse à intégrer d’autres éléments, car je trouvais la section rythmique tellement efficace; j’avais peur de briser la magie. » Maison après maison « J’ai commencé à écrire celle-ci alors que j’étais à Sainte-Luce dans le Bas-Saint-Laurent, après avoir fait le tour de la Gaspésie. Je regardais le village, son alignement de maisons. Puis j’ai pensé à tous les lieux dans lesquels j’avais habité pour ensuite les quitter. Ça m’a inspiré un parallèle avec nos idéaux en tant que société, et avec les choses qui nous sécurisent. Je suis allé dans une direction très rock, avec des riffs de guitares et les cinq “drums”. » Albany « Cette chanson où je raconte la découverte d’une maison abandonnée à Albany, dans l’État de New York, est probablement le meilleur exemple de la façon dont j’ai produit l’album. Je l’ai entièrement construite à partir de la séance de “drums”. Je me suis amusé à improviser autour des rythmes les plus lourds que j’avais en main. J’ai commencé à enregistrer une piste de voix, même si le texte n’était pas encore fini. J’ai tout créé au fur et à mesure, en mode exploration. » Un arbre « Cette pièce reprend un peu l’idée de “Maison après maison”, mais d’un autre point de vue. J’étais assis sur ma galerie et j’ai constaté que tous les arbres étaient en feuilles, sauf celui devant chez moi. J’ai imaginé tout ce que cet arbre en train de mourir avait vu passer au cours de son existence, tout ce qu’il pourrait raconter. Pour appuyer l’impression de temps qui passe, les accords et les couplets ne se répètent jamais. On traverse la pièce sans revenir sur nos pas et sans retour possible. » Cheapcheapcheap « Pour qu’on puisse jouer plusieurs personnes en même temps, il y a quelques chansons que j’ai enregistrées dans un autre studio et celle-ci en est une. Entre deux pièces, je m’amusais sur une guitare et un riff m’est venu, les autres musiciens ont embarqué et, 10 minutes plus tard, on avait la base de cette chanson qui est en quelque sorte un accident. Pour les paroles, je me suis inspiré d’un passage du roman Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan où le personnage a l’impression d’être spectateur de sa propre histoire. » Peut-être « J’ai passé un bon bout de temps à me promener dans le Bas-du-Fleuve avec ma blonde à la recherche d’une maison. Il y en a une que j’aimais particulièrement et qu’on a tenté d’acheter, mais ça n’a pas fonctionné. Dans cette chanson que j’ai écrite à la suite de cette déception, je me questionne sur les raisons pour lesquelles je souhaitais habiter dans un lieu que j’aurais peut-être dû quitter quelques années plus tard à cause des risques d’inondation. Et comme pour faire la paix avec cette histoire, j’ai imaginé un scénario apocalyptique où les eaux recouvraient toute la surface de la Terre. » Kenny U-Pull « C’est une autre “chanson accident” qui est apparue durant une improvisation. Y a un bout de “drum” que j’aimais beaucoup et que j’ai fait jouer en boucle. Là-dessus, je raconte une visite dans une cour à “scrap” libre-service, le Kenny U-Pull, pour changer une pièce de ma voiture. Au début, je me disais que je ne sortirais jamais cette chanson-là! J’ai décidé de la garder, parce que ça collait avec ma volonté d’avoir un album un peu “free-for-all”, avec des morceaux très courts, comme des interludes un peu étranges. » Ils parlent « Quand j’ai composé celle-ci, j’improvisais dans un registre un peu punk, juste pour m’amuser. Mais j’ai fini par me faire prendre à mon propre jeu. Le texte est un genre de pot-pourri de mes frustrations et de discussions que j’ai eues avec plein de monde. Il y a par exemple des souvenirs de mon père qui me raconte sa jeunesse à Rouyn-Noranda et des réflexions sur le fait qu’au Québec, on ne nous enseigne pas l’histoire des Premières Nations. » Les bruits des os « Comme “Maladresse”, celle-là est bâtie autour du rythme créé par la batterie et la basse. Quand j’ai eu ma voiture, il n’y a pas très longtemps, j’ai goûté à une nouvelle liberté. Je suis notamment allé à Natashquan. J’ai réalisé à ce moment-là qu’à part les routes qui longent le fleuve, on connaît très peu le territoire québécois. Et je me suis mis à être obsédé par l’idée d’aller vers le nord en empruntant la Transtaïga, une route de gravelle. Dans la chanson, j’imagine ne jamais avoir pu m’y rendre, et demander à mes proches de m’y amener une fois mort. Pour moi, m’intéresser à ce territoire, c’est aussi m’intéresser à ceux qui l’habitent et à leur sort. » Les sangs mélangés « Après avoir lu le roman Taqawan, qui part d’un conflit qui s’est produit en 1981 entre la SQ et les Micmacs à Restigouche, j’ai contacté l’auteur, Éric Plamondon, pour lui demander si je pouvais adapter une de ses phrases. Celle-ci disait qu’au Québec, on a tous du sang indien : quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. Je parle donc du génocide des Premières Nations, mais aussi de racisme, de la peur des immigrants et des réfugiés. J’ai demandé à Erika Angell, une artiste suédoise, de participer à la chanson, car j’avais envie d’un son de cloche d’immigrante, mais aussi de femme. » Disparition « Des choses que j’ai vécues au fil de différentes histoires d’amour se mélangent dans cette chanson où je fais aussi des liens avec les disparitions de femmes autochtones. Les paroles ont émergé de manière très instinctive. On a capturé un moment piano-voix et, au lieu de le jouer et le rejouer pour essayer d’arriver à quelque chose de parfait, on a gardé le premier enregistrement, en assumant les imperfections et les bruits ambiants. » En Corolla au Canada « Le titre de cette pièce et quelques bouts des paroles peuvent sonner comme une farce, mais j’y aborde certains aspects des relations qui, pour moi, n’ont rien d’une blague. J’aimais l’idée de parler d’un couple, mais de passer par toutes sortes de chemins pour souligner la complexité des émotions. Je suis content d’avoir réussi à le faire avec une pointe d’humour. »
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