Dr. Dre

Lorsque Dr. Dre reçoit son premier Grammy en 1994 (Meilleure performance rap solo pour « Let Me Ride »), l’idée que le grand public prenne le rap au sérieux était encore assez nouvelle. Non pas que le rap ne soit pas populaire : quelques années plus tôt, N.W.A. — dont Dre était un membre clé — avait été le premier groupe de rap hardcore à voir son album classé numéro 1 au Billboard. Mais quand bien même un Grammy lui conférait une sorte de respect institutionnel, le rap était encore considéré comme un engouement insurrectionnel : excitant, controversé, le genre de chose que l’Amérique traditionnelle semblait vouloir voir disparaître. Dre (né Andre Young à Compton en 1965) a non seulement contribué à légitimer le hip-hop dans l’imaginaire culturel, mais il a également modifié le vocabulaire de la musique elle-même. Alors que le rap des débuts était construit sur des breaks — des extraits d’albums mis en boucle par un DJ en temps réel — la production de Dre sur l’album de N.W.A. Straight Outta Compton (en même temps que d’autres productions réalisées au milieu et à la fin des années 80 par Eric B., Rick Rubin, ou The Bomb Squad) a changé la donne, ouvrant l’ère du sampler, initiant une musique plus dense, plus complexe, riche en références. Dès 1992 avec The Chronic (et l’album de Snoop Dogg Doggystyle), il est passé à la reproduction du funk bien-aimé avec des instrus live, créant un pont inédit entre la musique noire américaine des années 1970 et le présent dans un pays marqué par les émeutes raciales et l’indifférence soutenue envers ses populations noires urbaines, où ses messages de résilience et d’hédonisme ont particulièrement résonné. Écouter The Chronic pouvait vous mettre en colère, mais vous rendre plus fort aussi. À 30 ans, Dre était déjà un homme d’âge mûr. Il a laissé venir sa musique à son rythme (2001 paraît en 1999, Compton en 2015) et a aidé à bâtir la carrière de certains des rappeurs les plus importants de leur génération, notamment 50 Cent, Eminem et Kendrick Lamar. Et avec le lancement de sa marque de casques audio Beats — et la vente subséquente de la marque à Apple plus tard — Dre s’est imposé sur le domaine réservé de JAY-Z et Kanye West : pas seulement un artiste hip-hop, mais aussi un businessman, qui se bouge, travaille et encaisse sa part.