ART & NATIVITE
L’Adoration des bergers, Le Caravage

ART & NATIVITE

En ce temps de Noël, comment ne pas aborder le thème de la nativité dans l'histoire de l'Art! La naissance de Jésus demeure l'un des sujets les plus traités en peinture. En voici une analyse.

La nativité se révèle un sujet de prédilaction au Moyen-Âge d'abord, puis à la Renaissance et à l'époque baroque. Cela s'explique car les commanditaires étaient de hauts dignitaires mais également parce que les artistes, en plus de célébrer la naissance du Christ, pouvaient représenter la Vierge, c'est à dire la femme. Par ailleurs, les possibilités étaient multiples car la nativité comporte trois temps successifs : le voyage à Bethléem, la naissance de Jésus et l'adoration des mages.

 Les différentes œuvres témoignent d'une approche théologique et spirituelle, qui aide à entrer dans le mystère de l'incarnation. Elles montrent aussi que "les peintres ont eu une grande liberté de regard", d'une époque à l'autre et d'une ère culturelle à l'autre. Pour Paule Amblard, cette grande liberté d'interprétation est le fait du style très "lapidaire" des Évangiles.

La représentation la plus ancienne est celle que l'on a trouvé dans la catacombe de Priscille, à Rome. Elle représente une femme allaitant son enfant. Rien ne dit qu'il s'agit d'une Nativité si ce n'est une étoile au-dessus de la femme et et son enfant. Et un homme qui la désigne, "probablement une figure de prophète", explique Paule Amblard, pour qui il s'agit d'une peinture extrêmement vivante". Très simple mais riche en symbole - notons qu'au IIè siècle ap. J.-C., les chrétiens devaient encore se cacher.

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Nativité dans la catacombe de Priscille, à Rome. IIeme siècle.

Peu à peu cette façon de représenter l'enfant va évoluer au fil des siècles. Ainsi les Nativités des icônes de Novgorod du XVè siècle, par exemple, représentent un enfant offert au monde. Une symbolique héritée des représentations inscrites sur des fioles d'huile sainte que, dès le IVè siècle, les pèlerins revenus de Terre sainte emportaient avec eux.

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icône de Novgorod du XVè siècle

"Ce qui marque le regard c'est le centre de l'icône, pour Paule Amblard, car c'est Marie qui est étendue sur un drap rouge et au lieu d'être tournée vers son enfant, elle est tournée vers trois hommes." C'est le symbole que Marie offre son enfant au monde. "C'est elle qui nous fait entrer dans le mystère."

Au Moyen Âge, et jusqu'à la Renaissance, l'art sacré n'est pas tant l'expression de l'avis personnel de l'artiste qu'un enseignement. "L'art au Moyen Âge, c'est un médicament, un support qui soigne celui qui contemple, et va soigner son âme, évidemment." Quel que soit le positionnement des peintres à titre personnel vis-à-vis du mystère chrétien, il y a quand même une dimension qui les dépasse. On ne fait pas une peinture personnelle. Ainsi s'agit-il de donner à voir cette naissance et, plus symboliquement, de voir comment la lumière de l'enfant divin peut naître aussi en nous".

Le voyage à Bethléem inspire Pieter Brughel l’ancien qui nous livre ci-dessous une superbe peinture ou l'on découvre (en cherchant bien) Marie enceinte et Joseph qui arrivent discrètement dans la ville de Bethléem sous la neige.

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Le dénombrement de Bétheem, 1556

"L'art au Moyen Âge, c'est un médicament, un support qui soigne celui qui contemple, et va soigner son âme, évidemment."

La nativité à proprement dit donne l’occasion à de grands artistes de réaliser de superbes portraits de femmes plus que des allégories de la maternité.

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Pietro della Franscesca, Madonna del PArto, 1455 ( détail)

 En y regardant de plus près, il semble que l’énergie de l’artiste parfois soit plus centrée sur la mère que sur l’enfant. 

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Martin shongaueur , la vierge et l’enfant 1485

Chez Van der Weyden comme chez tant d’autres, les vêtements sont de l’époque du peintre. La composition est un équilibre entre rigueur et liberté.

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Rogier van der Weu-yden, L’adoration de la vierge, 1455.

 Lors de la Renaissance, le thème est prétexte à immortaliser les puissants de l’époque . Sur la peinture ci-dessous, sont représentés une pléiade de Médicis et même le peintre lui même (personnage à droite) qui se tourne vers le spectateur avec un air dubitatif.

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Botticcelli, l’adoration des mages, 1475

Sur cette autre peinture de Pierro della Franscesca, 1472 ( La conversation sacrée), les saints sont représentés et reconnaissables à leurs attributs. Le seul puissant terrestre est le personnage à genoux. Il s'agit du commanditaire du tableau qui venait de perdre un enfant à la naissance.

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Pierro della Franscesca, 1472, La conversation sacrée

Dürer se représente lui-même au centre de sa nativité. Il est reconnaissable à sa chevelure bouclée. Il se met en scène et attire davantage le regard que le nouveau né.

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Albrecht Dürer, Adoration des Mages, 1504

Nous assistons ensuite à un retour à Deus Puctor, aux fondamenteaux de la foi chrétienne avec la Sainte famille, l’âne et le bœuf.

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Lorenzo Costa, 1490

L’art baroque tente de mettre fin aux déviances paganistes . C’est ce que tente de faire Le Caravage qui met en scène non plus des puissants de son temps mais des modèles trouvés sur les trottoirs de Rome. 

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L’Adoration des bergers, Le Caravage

Charles Brun nous propose en 1689 une nativité ( l’Adoration des bergers) fort joyeuse aux couleurs vives qui a tout d’une fête de village. Une joie très communicative s’en dégage .

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Charles Brun, Adoration des bergers, 1689

Lors de la Renaissance, l'étable est souvent ruinée. Elle symbolise cette église que le Christ vient reconstruire et qui justifie en quelque sorte sa naissance. On peut également y voir la prémonition de la révolution baroque à venir.

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Pietro della franscesca, La nativité 1470

Avec son humble demeure en ruine, l’absence de dignitaires et la présence renforcée de l’âne et du bœuf et la lumière divine qui semble émaner de l’enfant Jésus lui-meme, la nativité ci-après semble parfaitement faire le lien entre les 2 époques.

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Hans Baldung, La nativité 1520

"Avec la fin de l’art baroque, soit dès le troisième quart du XVIIIe siècle, on se trouve rendu à la fin de la trajectoire iconique des figures chrétiennes de Dieu dans l’art occidental. Ce qui suit n’est plus qu’un épilogue », constate le critique Schöne en 1957. « Ce qui suit », c’est à dire le XIXe siècle, marquerait donc à quelques exceptions près « un effondrement global et durable de l’art religieux comme tel »

On peut cerner à plusieurs indices la dévaluation du thème en raison de sa popularité même. Le peintre Claudius Lavergne (1814-1887), artiste militant de l’École lyonnaise, réalise vers 1857 des cartons de vitraux pour la basilique Notre-Dame de Genève dont l’un montre la nativité ; « La scène qu’il représente illustre un texte qui, contrairement à la plupart des autres, n’est pas d’origine biblique » mais qui est l’Alléluia de la messe du jour de Noël. La tentation d’expliquer l’absence du thème de la nativité au sens strict par l’opposition classique de l’iconographie savante et de l’iconographie populaire, même si l’on pense que ce partage reste globalement opératoire pour ce sujet précis, s’en trouve singulièrement amoindrie. Il est vrai cependant que bon nombre de toiles proposées aux Salons sont destinées à devenir des peintures murales décorant les églises, véritables lieux d’élection de ce type de sujet. C’est le cas par exemple de Granger (1779-1840) qui expose en 1831 au Salon un grand carton de L’adoration des mages, modèle de la peinture murale commandé pour Notre-Dame-de-Lorette 

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Jean-Pierre Granger, L'adoration des mages, 1831

c’est le cas aussi de Caminade (1783-1862) qui montre son tableau L’adoration des mages (également en 1831) avant de le transposer comme décor de la chapelle de la Vierge à Saint-Étienne-du-Mont.

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alexandre Caminade, L'Adoration des Mages 1831

Parmi ces vastes synthèses christologiques portées par tous ces intégralismes catholiques du XIXe siècle qui proclament haut et fort « omnia in Christo instaurare », « restaurer toute chose en Jésus-Christ », le peintre Hippolyte Flandrin (1809-1864), ce fils chéri d’Ingres, offre aux regards des fidèles sur les murs de la nef de Saint-Germain-des-Prés à Paris, vingt scènes consacrées à travers l’Ancien et le Nouveau Testament à une figuration du Salut du monde dont une Nativité suivie de L’adoration des mages (1856-1863) ; celle-la devient ainsi un épisode parmi d’autres de la vie du Christ.

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lHippolyte Flandrin (1809-1864), L’adoration des mages (1856-1863)

Avec l’intérêt croissant que le siècle porte à la mère de Jésus, avec cette « vague mariologique » (pensons aux apparitions mariales, à la Salette, à Lourdes…) qui constitue, selon Dominique Julia, un véritable transfert de médiation s’opérant du Christ à Marie, la nativité devient une scène appartenant en propre à la vie de Marie. Sans doute faut-il voir ici le signe d’une évolution sociale et culturelle qui marque une féminisation du catholicisme. Ce triomphe de Marie qui traduit une certaine mais relative émancipation pour les femmes – celle-ci se déroulant à l’intérieur d’un système rigoureux – se lit sur les murs des églises dans ces vastes programmes décoratifs qui lui sont consacrés

On comprend mieux dès pourquoi les grands artistes du XIXe siècle se sont peu intéressés à l’iconographie de la nativité, malgré la charge symbolique du thème. C’est que, en ce siècle scientiste, d’un côté le sujet apparaît trop lié par les pratiques cultuelles à la culture populaire, s’en trouvant dévalué, d’un autre côté par son humanisation il touche au tabou d’une représentation plus réaliste. Aussi ces artistes là, marqués par l’historicisme, ont-ils préféré représenter, en lieu et place de la nativité, la naissance des grands hommes (Deveria, La naissance d’Henri IV, 1827) ou bien encore, bien plus attrayante, celle des Vénus (Cabanel, La naissance de Vénus, 1863).

Au XXème siècle, le thème de la nativité est très peu abordé ou traité avec de grandes libertés. en voici 2 exemples :

Sur le tableau de Paul Gauguin intitulé Te tamari no atua, vous pouvez vous étonner que la scène christique soit rejetée en arrière-plan, la figure principale étant la femme et non l’enfant... l’hypothèse est que ce tableau, commencé dans la perspective de la naissance, fut achevé fin 1896 après que la vahiné de Gauguin ait mis au monde l’enfant qui mourut en quelques jours ; en fait il s’agirait d’une superposition de cette naissance et de celle du Chri

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Paul Gauguin, Te tamari no atua (La naissance du Christ), 1896, huile, 96x128

Ci dessous, une oeuvre de Maurice Denis. Oeuvre marquante de la période nabi, ce tableau offre un exemple typique de la révolution figurative et idéologique que le peintre accomplit dans la peinture religieuse : trouver le sens du sacré par une double orientation. D'une part la modernité et la quotidienneté, évidentes ici par la façon dont la scène est adaptée à la vie et au décor actuels ; d'autre part la rigueur plastique, évidente ici par le parti géométrique et décoratif du paysage et l'arabesque sinueuse et exacte du dessin et des profils. Cette oeuvre est d'autre part une sorte de manifeste : le berger vu de dos en houppelande, à droite, est un hommage à Gauguin par la citation du célèbre tableau « bonjour Monsieur Gauguin » ; le personnage à la fenêtre, derrière la femme, est un autoportrait ; il semble même que le Saint Joseph soit un portrait d'Odilon Redon. Un tel programme iconographique correspond à cette tendance caractéristique de Maurice Denis de représenter ses maîtres et ses amis dans ses tableaux.

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Maurice Denis, la nativité

J'ai beau chercher, l'Art contemporain ne traite quasiment pas du sujet. Il s'intéresse bien davantage à la mort du Christ qu'à sa naissance... Cela fera peut-être l'objet d'un article!

Je profite de cette fin d'année pour vous remercier du temps que vous avez pris à lire mes articles, à participer à mes expositions ou encore à échanger avec moi.
 Joyeux Noël à tous!


Bertrand de Miollis


Invitation : PROCHAINE EXPOSITION - BERTRAND de MIOLLIS - GRAND PALAIS - 14-19 FEV 2023

Philippe de Boucaud

CEO beCLam Influence & Culture/ Articulation de projets d'envergure avec les acteurs de la culture et les artistes du siècle.

2y

Très bel article qui va alimenter mon cours de catéchèse "l'art et le sacré" aux classes de Secondes. La question se pose en effet sur nos contemporains. Il faut aller voir peut-être auprès des nouveaux artistes tel Frizon-Roche etc...

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Frederique Ichac

Founder @Musa Decima ✳️ "Move on with Art"✴️ Executive Coach HEC Paris

2y

Merci Bertrand de Miollis pour cet éclairage

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