Comment contrer les biais cognitifs pour une Discovery plus responsable ?
Illustration par Mélissa Chakhari, Designer eXalt Bordeaux

Comment contrer les biais cognitifs pour une Discovery plus responsable ?

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Illustration par Mélissa Chakhari, Designer eXalt Bordeaux

L'attention est une ressource limitée. Cela signifie que nous ne pouvons pas évaluer tous les détails et événements possibles lors de la formation de pensées et d'opinions. Pour cette raison, nous nous appuyons souvent sur des raccourcis mentaux qui accélèrent notre capacité à porter des jugements, mais conduisent parfois à des préjugés, autrement appelés "biais cognitifs".

 



Qu’est-ce que les biais cognitifs ?

Les biais cognitifs sont des déviations systématiques de la pensée ou du jugement qui peuvent affecter la manière dont nous traitons l'information et prenons des décisions. Ces biais sont souvent le résultat de raccourcis mentaux et heuristiques que notre cerveau utilise pour traiter rapidement et efficacement l'énorme quantité d'informations auxquelles nous sommes confrontés quotidiennement. Cependant, ces biais peuvent également influencer notre perception et nos actions en matière d’écoresponsabilité en général et de numérique responsable en particulier.

Dans le travail de Discovery, et plus précisément dans les interviews utilisateurs, les biais cognitifs peuvent perturber la formulation des questions, l'interprétation des réponses et des non-réponses, ainsi que la façon dont les utilisateurs comprennent et répondent aux questions posées. Ces biais peuvent également influencer la manière dont nous nous souvenons de nos expériences passées avec un produit, compromettant ainsi le processus de recherche et rendant tout ou partie du travail invalide.

Dans le contexte du numérique responsable, il est essentiel de reconnaître les biais cognitifs et d'atténuer leurs effets afin de favoriser une transition vers des pratiques plus responsables. En prenant conscience de ces biais, nous pouvons remettre en question nos préjugés, écouter activement les utilisateurs et considérer toutes les informations disponibles, même celles qui contredisent nos hypothèses. Cela nous permettra d'adopter une approche plus réfléchie et équilibrée dans nos décisions et actions.

Il existe plus de 180 biais cognitifs répertoriés par des chercheurs, qui sont liés à quatre problèmes principaux : la surcharge d'informations, le manque de sens, la nécessité d'agir rapidement et les limites de la mémoire. Il est important de se familiariser avec les biais les plus courants afin de les reconnaître et de les atténuer de manière efficace lors de la recherche.

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En tant que Product Manager, il est essentiel de prendre conscience des biais cognitifs auxquels nous sommes susceptibles d'être confrontés. Vous trouverez dans la suite de cet article les principaux biais cognitifs auquel les métiers du produit sont confrontés avec des exemples concrets sous la forme d’interviews utilisateurs que nous pouvons réaliser en tant que UX, PO ou PM dans la phase de Discovery afin de mieux comprendre leurs impacts.

Le biais de confirmation :

Il se manifeste lorsque nous accordons plus d'importance aux informations qui confirment nos croyances préexistantes ou nos hypothèses, et que nous ignorons ou minimisons les informations qui vont à l'encontre de nos convictions. Dans le domaine du numérique responsable, cela peut nous amener à ignorer des informations qui incitent à changer nos habitudes, car nous avons déjà des croyances bien ancrées.

Voici quelques exemples de situations qui peuvent facilement entraîner ce biais cognitif :

  • Après la fin d’un entretien utilisateur, nous pouvons ressentir de la satisfaction si ses déclarations semblent concorder avec nos hypothèses.
  • Si, lors d'une réponse à une question, nous entendons des éléments nuancés ou contradictoires, alors que cela n'a pas été soulevé auparavant, nous pourrions être tentés de les ignorer pour ne pas remettre en question nos déductions antérieures.
  • Parfois, nous pouvons omettre une déclaration de l'utilisateur qui contredit nos conclusions, afin de ne pas remettre en cause ce que nous avons déjà établi.

Pour éviter ce biais, nous vous conseillons ces quelques pistes :

  • De manière générale : rester vigilants, considérer toutes les données disponibles, même celles qui contredisent nos hypothèses, et encourager les critiques et les opinions divergentes.
  • Demander un second avis : il est important de faire relire vos questions à une personne extérieure afin d'obtenir un point de vue neutre. Cela permet de détecter d'éventuels biais ou ambiguïtés dans vos questions et de les améliorer pour les rendre aussi neutres que possible.
  • Enregistrer les entretiens : afin de garder une trace précise des échanges et de revenir sur certains passages si nécessaire.
  • Demander à un tiers de faire la compilation des données et/ou l'analyse pour éviter tout biais supplémentaire. Cette personne sera plus objective dans son traitement des informations, car elle n'est pas influencée par vos hypothèses ou attentes.
  • Faire les interviews en binôme : lors des entretiens, il est recommandé d'avoir deux personnes présentes : une pour poser les questions et une pour prendre des notes. Cela permet d'éviter de manquer des informations importantes ou de les interpréter différemment.

Le biais d'ancrage :

Dans le cadre d’une démarche numérique responsable, il est également important de prendre en compte le biais d'ancrage. Dans le domaine de l'UX et du marketing, ce biais est souvent utilisé pour influencer les utilisateurs et les clients afin de les orienter vers des décisions spécifiques. Par exemple, en proposant un prix promotionnel pour augmenter les chances de conclure une vente, en comparant un produit au prix normal avec le même produit à prix réduit.

Cependant, il est important de reconnaître que ce biais peut fausser notre jugement et nous empêcher d'ajuster nos opinions en fonction des nouvelles informations disponibles. Cela peut se produire lors d'entretiens utilisateurs, où nous pourrions être influencés par la posture de l'utilisateur ou où nous pourrions formuler des questions de manière à obtenir des réponses correspondant à nos attentes préconçues.

Pour contourner ce biais, il existe des solutions pratiques que nous pouvons adopter :

  • Impliquer un tiers neutre : faire appel à une personne externe pour effectuer la compilation des données et l'analyse. Cette personne n'ayant pas été influencée par les interviews pourra apporter un regard objectif et se concentrer sur les faits bruts, sans se laisser influencer par des informations préalables.
  • Attendre d'avoir toutes les données : il est essentiel de ne pas commencer l'analyse trop tôt. Il faut s'assurer d'avoir recueilli l'ensemble des données avant de commencer la compilation et l'analyse. Attendre d'avoir réalisé toutes les interviews prévues permet d'avoir une vision complète et évite de se baser uniquement sur des informations partielles.
  • Éviter d'ajuster les questions en cours de route : l'ajustement constant des questions peut introduire des biais et rendre la compilation ainsi que l'analyse des données plus difficiles. Il est préférable de définir les questions à l'avance et de les maintenir constantes tout au long du processus d'entretien.

En adoptant ces mesures, nous pouvons réduire l'influence du biais d'ancrage et favoriser une approche plus objective et équilibrée dans nos analyses de façon à prendre en compte l'ensemble des informations disponibles, contribuant ainsi à des décisions plus éclairées et numériquement responsables.

Le biais « malédiction de la connaissance » :

Ce biais est un piège courant auquel les UX, PO ou PM peuvent succomber s’ils n’y prennent pas garde, où nous supposons inconsciemment que les autres ont la même compréhension approfondie que nous dans notre domaine d'expertise.

Dans le contexte du numérique responsable, ce biais peut avoir des conséquences importantes lors des interviews avec des utilisateurs, notamment parce que les conséquences du numérique sur le climat et l’environnement sont objectivement à ce jour très peu connues du grand public.

Voici deux exemples de manifestations de ce biais et des propositions de solutions pour y remédier :

  • Formuler des questions trop techniques : lors de la planification des entretiens ou des questionnaires, il peut être tentant de poser des questions complexes en supposant que les utilisateurs ont les mêmes connaissances techniques que nous. Cependant, cela peut devenir difficile pour les utilisateurs de comprendre et de répondre de manière précise. Pour contrer cela, il est important de faire "le test de la grand-mère" en testant les questions sur des personnes qui ne sont pas familières avec le produit. Leur feedback permettra d'ajuster les questions pour les rendre plus compréhensibles pour un public plus large.
  • Utiliser un langage technique : pendant les entretiens, il peut arriver que nous utilisions involontairement un langage ou des termes techniques qui ne sont pas familiers aux utilisateurs. Cela peut entraîner une mauvaise compréhension ou une réticence à admettre qu'ils ne comprennent pas. Pour remédier à cela, il est recommandé de préparer des reformulations pour chaque question afin d'éviter les incompréhensions ou les réponses approximatives. De plus, il peut être utile d'illustrer certaines notions clés utilisées dans les questions, en fournissant des exemples ou des explications supplémentaires, pour s'assurer que vous et l'utilisateur parlez de la même chose.

En intégrant ces mesures dans nos pratiques, nous pouvons éviter le piège de la "malédiction de la connaissance" et nous assurer que nos entretiens et questionnaires sont accessibles et compréhensibles pour tous les utilisateurs, quel que soit leur niveau d'expertise technique. Cela favorise une approche inclusive et responsable dans la conception de produits et services numériques.

Des biais complémentaires liés au numérique responsable :

Voici d'autres exemples de biais qui peuvent influer sur le travail d'un Product Manager sur des projets de numérique responsable :

  1. Le "biais Ikea" : Ce biais se manifeste lorsque nous participons activement à un projet, ce qui nous amène à surestimer sa valeur. En tant que Product Managers, il est essentiel de reconnaître que notre implication personnelle peut biaiser notre jugement. C'est pourquoi il est recommandé de faire appel à des spécialistes externes pour effectuer des tests utilisateurs, afin d'obtenir des perspectives objectives et d'évaluer réellement la valeur du produit pour les utilisateurs.
  2. Le biais de disponibilité : Ce biais nous pousse à accorder une importance excessive aux informations facilement disponibles dans notre mémoire ou qui viennent rapidement à l'esprit. Cela peut par exemple se traduire par une focalisation excessive sur les commentaires négatifs que nous avons récemment reçus sur une fonctionnalité, qui peut influencer notre perception globale du produit. Il est crucial de recueillir des données de manière équilibrée et de considérer l'ensemble des informations disponibles, plutôt que de se fier uniquement à ce qui nous vient spontanément à l'esprit.
  3. Le biais de suroptimisme : Ce biais nous pousse à surestimer les chances de succès de nos idées ou projets et à minimiser les risques. En tant que Product Manager, il est important d'adopter une approche réaliste et d'évaluer de manière objective les opportunités et les défis. Cela implique de prendre en compte les données empiriques, les retours des utilisateurs et les facteurs externes pour prendre des décisions éclairées. En effet, le suroptimisme peut conduire à des décisions basées sur des attentes irréalistes. En reconnaissant ce biais, les décideurs peuvent prendre en compte les risques et les conséquences potentielles associés à une initiative numérique, plutôt que de simplement se concentrer sur les avantages attendus. Dans le numérique responsable, on retrouve parfois ce biais dans les projets « IT for Green » où les solutions numériques visent à résoudre des problèmes environnementaux.

En intégrant une réflexion sur ces biais dans notre travail de Product Manager, en lien avec le numérique responsable, nous sommes plus susceptibles de prendre des décisions éclairées et de contribuer à des produits et services numériques qui tiennent compte des enjeux sociaux, environnementaux et éthiques.

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Quelques tips pour contrecarrer les biais cognitifs :

La recherche suggère que l'entraînement cognitif peut aider à minimiser les biais cognitifs dans la pensée. La prise de conscience de ces biais cognitifs est la première étape qui peut aider les Product Managers à prendre des décisions plus éclairées, à rester ouverts aux différentes perspectives et à éviter les décisions biaisées. Il est également bénéfique de recueillir des données de manière rigoureuse, de solliciter des retours d'utilisateurs et de collaborer avec d'autres membres de l'équipe pour obtenir une vision plus complète et équilibrée du produit, en intégrant les principes du numérique responsable.

Lors des entretiens, spécifiquement, il est important d'adopter une posture qui favorise la confiance, l'ouverture et l'authenticité, tout en veillant à ne pas influencer vos interlocuteurs de manière involontaire.

Voici quelques conseils pour vous aider à mettre à l'aise vos interlocuteurs :

  1. Créer un environnement accueillant : assurez-vous que l'endroit où se déroule l'entretien est confortable et propice à la discussion. Veillez à ce que vos interlocuteurs se sentent en confiance et en sécurité pour partager leurs opinions et leurs expériences.
  2. Être neutre et objectif : évitez d'exprimer vos propres opinions ou préférences pendant l'entretien. Restez neutre et laissez vos interlocuteurs s'exprimer librement sans craindre de vous contredire.
  3. Poser des questions ouvertes : privilégiez les questions qui permettent à vos interlocuteurs de développer leurs réponses et de partager leurs expériences de manière détaillée. Évitez les questions orientées ou suggestives qui pourraient influencer leurs réponses.
  4. Écouter activement : accordez une attention totale à ce que disent vos interlocuteurs. Montrez-leur que vous les écoutez activement en faisant preuve d'empathie, en posant des questions de clarification et en réfléchissant à leurs réponses.
  5. Rester flexible : soyez prêt à ajuster votre script d'entretien en fonction des réactions et des besoins de vos interlocuteurs. Adaptez-vous à leur rythme et à leur style de communication pour faciliter leur expression.
  6. Prendre des notes objectives : pendant l'entretien, prenez des notes détaillées et objectives pour enregistrer les informations pertinentes. Évitez d'interpréter ou de filtrer les réponses en fonction de vos propres préjugés.
  7. Demander des précisions : Si vous remarquez des signes de confusion, de gêne ou d'inconfort chez vos interlocuteurs, n'hésitez pas à leur demander des clarifications pour vous assurer qu'ils comprennent bien les questions et disposent des bonnes informations.

Cette prise de conscience des biais cognitifs et de leur impact permet de favoriser des comportements plus conscients et consciencieux. En adoptant les conseils évoqués, vous pourrez créer un environnement propice à des entretiens de qualité, où les biais sont réduits au minimum et où vous pouvez obtenir des informations précieuses et objectives pour améliorer votre travail. La compréhension des biais cognitifs et leur application dans le contexte du numérique responsable nous permettent de nous engager de manière plus significative dans des démarches responsables et de passer à l'action de manière consciente, en tenant compte des enjeux environnementaux et sociaux.

Alors, prêts à adopter les bons réflexes dans le domaine du numérique responsable ?


Auteur : Raluca Pricop , Product Manager, eXalt Lille.

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