Deschamps & Griezmann, une triste fin

Deschamps & Griezmann, une triste fin

Ce lundi, Antoine Griezmann a annoncé sa retraite internationale. Sans aucun doute le joueur le plus important sous l'ère Deschamps. Mais aussi celui qui symbolise le désir de renouveau du Basque à la tête des Bleus. Retour sur un choix aux lourdes conséquences.

À la suite du Mondial au Qatar, c’est un sujet épineux qui va permettre à Didier Deschamps d’amorcer un nouveau cycle à la tête de l’équipe de France. Si la position de sélectionneur, ou bien celle d’entraîneur, se résume parfois à faire de la politique, alors le choix du chef de parti constitue un élément déterminant sur le chemin vers la victoire. Joueur le plus capé de l’histoire de l’équipe de France avec cent quarante-cinq matchs disputés au total, dont cent vingt et un dans la peau du capitaine, un record, Hugo Lloris va finalement raccrocher les crampons après quatorze années sous le maillot tricolore.

Alors qu’une majorité des supporters s’attendait à voir Antoine Griezmann hériter du brassard, c’est finalement Kylian Mbappé qui va être choisi par Didier Deschamps. Un choix qui, par définition, comme n’importe quel autre choix, peut avoir des conséquences importantes sur la vie de groupe. Parce qu’être un leader depuis la position "haute" de la pyramide cela revient parfois à donner à l’un quand on prend à l’autre. En somme, faire des déçus et assumer ce qu’on appelle généralement le poids du commandement.

Ainsi, au lendemain de l’anniversaire d’Antoine Griezmann (le 22 mars 2023), en prenant le temps de relativiser la tournure des événements, « DD » justifiera son choix au micro de France 3 : « Il savait très bien qu’il avait la possibilité de l’être [capitaine], j’ai échangé avec lui, mais malgré tout ce n’est pas donner à Kylian et enlever à Antoine. » En vérité, cela revient bel et bien à « enlever » quelque chose au joueur de l’Atlético Madrid, mais il faut désormais faire de la politique pour apaiser les éventuelles tensions naissantes entre les deux héritiers potentiels : « Antoine, il a quelque chose en plus aussi, il a toujours été un joueur très important, je lui ai toujours maintenu ma confiance, même pendant des périodes beaucoup plus difficiles pour lui. Antoine, avec ce qu’il fait sur le terrain, est un fédérateur dans le sens moteur. Il l’était, et il le restera à l’avenir. » Le public est conquis (au moins temporairement). Désormais, reste à connaître la fameuse « vérité du terrain » – et celle relative au quotidien de la vie de groupe.

Le choix de la "raison" ou plutôt un "sacrifice" ?

Pour le premier rassemblement post-Mondial, en marge des éliminatoires pour l’Euro 2024, du haut de ses soixante-six sélections pour trente-trois buts inscrits – soit le joueur le plus précoce de son pays –, Mbappé devient ainsi le nouveau capitaine de l’équipe de France. En bon compagnon de route, et surtout en bon communiquant, l’attaquant du PSG va envoyer un signal fort à son coéquipier, mais aussi à destination de tout le groupe tricolore : « J’ai parlé avec Antoine parce qu’il était déçu, et c’est normal. Franchement, c’est compréhensible, c’est une réaction qui s’entend. Je lui ai dit qu’à sa place j’aurais peut-être eu la même. Il a 32 ans, il a passé dix ans en équipe de France, il a été l’un ou peut-être LE joueur le plus important de l’ère Didier Deschamps, c’est donc normal qu’il ait cette déception. Je suis capitaine et lui vice-capitaine, mais je ne suis pas son supérieur hiérarchique. Il a une expérience en équipe de France que je n’ai pas. Il est arrivé avant moi, j’étais au centre de formation et il était déjà là. C’est quelqu’un d’estimé et d’aimé de tout le groupe, ce serait vraiment dommage de ne pas bénéficier de son expérience et de sa joie de vivre. » Mbappé le sait aussi bien que son sélectionneur, c’est ensemble qu’ils gagneront à nouveau. Le nouveau capitaine ajoute : « Je pense que je serai un capitaine tourné vers les autres, qui n’a pas une grande expérience du capitanat, mais je sais qu’il y a des joueurs importants dans l’équipe et je n’ai pas envie de décider, d’imposer. J’ai envie d’ouvrir aux autres la possibilité de s’exprimer. Je pense que l’on est un groupe uni, on a montré lors de nos grandes performances que lorsque l’on était tous ensemble et que chacun avait sa place, on était capables de faire de grandes choses. Ce serait une erreur de bouleverser tout cela. » Et, au sujet du leadership collectif : « Il ne faut fermer cette porte à personne, chacun est libre de s’exprimer dans ce groupe. C’est ça, l’équipe de France, elle n’appartient à personne. » À peu de chose près, on croirait presque entendre Didier Deschamps lorsqu’il arborait fièrement le brassard de capitaine.

À la veille de retrouver les Pays-Bas, au Stade de France, dans le cadre des qualifications pour l’Euro 2024, le sélectionneur tricolore va préciser : « J’ai eu des discussions, je ne vais pas rentrer dans les détails. Je peux vous assurer qu’Antoine, depuis lundi, est très souriant. On a fêté son anniversaire. Qu’il ait eu de la déception sur le moment, elle est légitime. Mais ça s’est arrêté là. De ce que je vois, chacun a le même objectif par rapport au groupe. » Relancé sur le sujet du capitanat, Deschamps rappelle que Griezmann est vice-capitaine et qu’il conserve un rôle important, qu’il a toujours eu. « Il est là depuis le départ, avec des périodes moins heureuses pour lui, où il a passé des moments moins agréables. Il est rayonnant, resplendissant, que ce soit à travers les séances ou dans la vie de groupe. Il n’y a pas le moindre souci là-dessus. » Après les justifications sur son choix, place à la réalité du terrain. Sur une passe de Kylian Mbappé dès la deuxième minute de jeu, Griezmann ouvre le score et est presque passeur ensuite sur le second but des Bleus, inscrit par Dayot Upamecano, à la huitième minute de jeu.

Avec ce choix, Deschamps veut miser sur l'avenir

Ovationné à sa sortie, le joueur de l’Atlético Madrid réalisait ainsi la soirée parfaite pour balayer toute polémique. « Heureusement que je ne sais pas ce qu’il se dit et s’écrit », précisera Deschamps à la sortie du match, remporté 4-0 par l’équipe de France. « Les deux s’entendent bien, ils fonctionnent bien et ils ont le même objectif de voir l’équipe de France performante. La déception d’Antoine a duré deux minutes. » En fin de compte, la vie d’un entraîneur devient plus facile avec des joueurs d’un tel niveau, capables de vite passer à autre chose.

Il faut dire qu’en tant premier capitaine vainqueur d’une Coupe d’Europe avec l’OM, en 1993, puis premier capitaine français à devenir champion du monde en 1998, "DD" en connaît quelque chose sur le leadership. « Je suis le lien entre la nouvelle génération et l’ancienne », explique Kylian Mbappé. D’après Deschamps, il y a trois critères importants pour pouvoir assumer le rôle de capitaine : le leadership technique, le leadership mental et le leadership par rapport à l’état d’esprit. À savoir : parvenir à être disponible pour les autres, là où les enjeux individuels peuvent parfois prendre le dessus sur l’intérêt collectif. Surtout, en misant sur l’attaquant du Real Madrid, « DD » favorise l’avenir, en faisant preuve une nouvelle fois d’une forme de pragmatisme malgré la jeunesse de son nouveau capitaine (24 ans au moment d’hériter du brassard). Après tout, Deschamps le clame souvent : « Ce qui m’intéresse, c’est aujourd’hui, et surtout demain. »

« Kylian Mbappé, quand je le vois parler, il me fait rêver. » (Patrice Evra)

À travers sa décision de nommer Kylian Mbappé capitaine des Bleus, "DD" a donc fait le choix progressivement d'introduire une nouvelle génération au pouvoir. Principalement remplaçant durant l'Euro 2024, Griezmann se retrouvait ainsi relégué dans la hiérarchie des joueurs qui comptent vraiment en équipe de France (malgré sa mentalité irréprochable et sa possibilité d'impacter la mentalité du groupe à travers son expérience). En vérité, c'est ici que réside la froideur du sélectionneur tricolore. Dans sa tête, l'attaquant madrilène est désormais un joueur usé physiquement (à bientôt 34 ans) et qui doit assumer, s'il l'accepte, un rôle de "l'ombre", depuis le banc. Un rôle refusé ce lundi avec l'annonce de sa retraite internationale par celui qui totalise 137 matchs avec les Bleus (pour 44 buts inscrits et 38 passes décisives).

En fin de compte, est-ce que Deschamps a eu raison ? Si l'Euro 2024 est venu apporter ses premières réponses sur le sujet [une performance très éloignée des attentes autour de cette équipe au niveau du jeu, mais aussi du résultat final au regard de la qualité des joueurs présents sur le terrain], la prochaine échéance en vue - le Mondial 2026, aux États-Unis - permettra d'obtenir le jugement final sur le travail réalisé par le sélectionneur tricolore en optant pour un capitaine, plutôt qu'un autre. Avec toujours le même projet de jeu minimaliste - et désormais une forme de contestation de la part d'une majeure partie du public français.

Chez Deschamps, seule la victoire compte : sacrifier son plus fidèle soldat représentait une partie de l'équation [d'une certaine façon, Olivier Giroud a subi le même sort durant l'Euro 2024, avec 56 petites minutes disputées alors que les Bleus manquaient justement d'efficacité devant le but].

Au nom de son pragmatisme originel, "DD" a surtout offert le leadership des Bleus sur un plateau à Mbappé. Un seul objectif en tête, offrir une 3ème étoile au peuple français en misant sur le nouveau numéro 9 madrilène et l'arrivée de joueurs plus "fringants" et moins usés par le temps. Pour Griezmann : dans les mémoires, il restera l'image d'un joueur qui a métamorphosé l'équipe de France à travers son courage, son abnégation et sa grinta sur le terrain. En soi, le coéquipier modèle.

P.R

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