La fin de l’espace post-soviétique ?
La Revue internationale et stratégique, n° 135, IRIS Éditions – Armand Colin, automne 2024, sous la direction de Lukas Aubin, Ph.D et Sami Ramdani
Plus de trois décennies après la chute de l’Union soviétique, l’espace post-soviétique semble en proie à des transformations géopolitiques majeures, particulièrement mises en exergue par l’invasion russe de l’Ukraine. Si cet espace est structuré par des liens historiques et infrastructurels qui perdurent, les événements récents révèlent et exacerbent des fractures latentes, accélérant les recompositions géopolitiques en Asie centrale, dans le Caucase ou encore dans les pays baltes. La Russie voit son influence et sa centralité remises en question par des États qui cherchent à affirmer leur souveraineté, notamment en diversifiant leurs relations. Paradoxalement, alors que la guerre en Ukraine catalyse cette distanciation, certaines dépendances héritées de l’époque soviétique – qu’il s’agisse de réseaux énergétiques, de corridors logistiques ou d’interconnexions cybernétiques – empêchent l’émancipation complète des anciens membres de l'URSS. Dès lors, cet espace, un temps devenu territoire, existe-t-il encore comme une entité cohérente ou est-il en voie d’éclatement définitif ? En somme, peut-on toujours parler d’espace post-soviétique ?
Ce dossier de La Revue internationale et stratégique propose une réflexion approfondie sur la désintégration progressive et les dynamiques contradictoires de cet espace post-soviétique en mutation, en explorant les tensions entre aspirations nationales et contraintes géopolitiques qui redéfinissent les contours de l’ordre régional.
Un territoire structuré ?
L’espace post-soviétique, bien qu’héritier d’un maillage institutionnel et d’infrastructures physiques issu de l’Union soviétique, est aujourd’hui traversé par des lignes de fracture profondes. L’effondrement de l’URSS n’a pas seulement signifié la fin d’une superpuissance, mais a aussi consacré l’émergence d’un espace géopolitique complexe au sein duquel coexistent des dynamiques de continuité et de rupture. Historiquement structurés par des infrastructures partagées et des institutions communes, ces liens semblent de plus en plus fragiles à la lumière de visions géopolitiques nationales qui divergent de manière croissante. Ces contradictions interrogent la réalité et l’existence même d’un « espace post-soviétique » qui fonctionnerait comme un territoire structuré ( Lukas Aubin, Ph.D ).
Si plusieurs tentatives de maintenir une forme de cohésion et d’intégration régionale après la chute de l’URSS ont vu le jour, notamment à travers la création de la Communauté des États indépendants (CEI) ou de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), ces structures peinent à rester pertinentes face aux aspirations croissantes de nombreux États de se détacher de l’emprise institutionnelle de Moscou ( Anne de Tinguy ).
Le conflit en Ukraine a révélé encore davantage les tensions structurelles de cet espace. Les routes, les réseaux ferroviaires et les corridors logistiques qui le traversent sont devenus des vecteurs d’intensification des rivalités géopolitiques. Hérités de l’ère soviétique, ces réseaux sont de plus en plus remis en question, tant par l’intérêt de puissances extérieures à la zone que par des aspirations internes à une autonomie renforcée (Jean Radvanyi).
Dans le domaine énergétique, la guerre en Ukraine a aussi bouleversé les flux traditionnels. La Russie, isolée par les sanctions occidentales, réoriente ses exportations énergétiques vers l’Asie. Ce « pivot vers l’Est » marque une réorganisation profonde des infrastructures gazières et pétrolières héritées de l’URSS. Signal fort de la rupture de la Russie avec l’Europe, il met en lumière la volonté de Moscou de redéfinir sa position dans la région ( Sami Ramdani ).
Le cyberespace est de la même manière devenu un levier géopolitique pour Moscou, qui a longtemps constitué le centre de ces infrastructures numériques de la région et utilise aujourd’hui ces réseaux pour maintenir une influence sur ses anciennes républiques, tout en développant des stratégies de contrôle ( Louis Petiniaud ).
Les espaces maritimes post-soviétiques sont également le théâtre de nouvelles tensions géopolitiques. Leur militarisation croissante renforce les recompositions en cours dans la région. Autrefois contrôlés par la seule Russie, ces espaces deviennent des points de convergence pour des intérêts concurrents ( Igor Delanoë ).
La mer Caspienne, en particulier, apparaît comme un point-clé de cette reconfiguration géopolitique. Carrefour stratégique entre la Russie, la Chine, l’Iran et la Turquie, cet espace se transforme en une zone de compétition intense pour le contrôle des routes et des ressources ( Yéléna Mac-Glandières ). Ce phénomène reflète plus généralement la montée en puissance de nouveaux pôles d’influence dans la région, qui viennent concurrencer la domination traditionnelle de la Russie.
Face à ces bouleversements et recompositions, la France, en tant que puissance diplomatique, cherche une voie. Tout en soutenant les mouvements d’émancipation des anciennes républiques soviétiques, elle reste prudente face aux intérêts russes : la France « n’impose pas ses propres règles, elle essaie de prendre la place qu’elle peut » (Jean de Gliniasty).
L’espace post-soviétique apparaît ainsi plus en plus fragilisé par des dynamiques de fragmentation géopolitique. La guerre en Ukraine a accéléré ce processus, redessinant les flux logistiques, énergétiques et numériques qui traversent la région.
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Les quinze voies de l’ex-URSS
Les quinze républiques qui composent cet espace loin d’être homogène ont emprunté des trajectoires politiques, économiques et géopolitiques très différentes. Si la Russie a longtemps cherché à y préserver son influence, la guerre en Ukraine a catalysé une distanciation accrue de plusieurs États à son égard et révélé un espace en voie de reconfiguration profonde, où les influences externes et les tensions internes redéfinissent les rapports de force régionaux (Viatcheslav Avioutskii).
La Russie, centre historique de l’URSS, se situe au cœur de cette réflexion. Moscou tente de maintenir un statut dominant sur ses voisins en utilisant des leviers de pouvoir traditionnels et en se tournant vers de nouvelles formes d’influence. Son invasion de l’Ukraine a toutefois remis en question cette stratégie, et la Russie se trouve de plus en plus isolée sur la scène internationale, alors que son emprise sur ses anciennes républiques semble se déliter progressivement ( Lukas Aubin, Ph.D ).
L’Ukraine incarne peut-être la rupture la plus spectaculaire avec l’ancien empire soviétique. Depuis la révolution de Maïdan en 2014, Kyiv a clairement choisi la voie de l’émancipation, marquant une rupture géopolitique sans précédent, non seulement avec la Russie, mais aussi avec l’ensemble de l’espace post-soviétique, que l’invasion de 2022 n’aura fait que renforcer. Se présentant désormais comme un acteur central de la refonte des équilibres régionaux, l’Ukraine se tourne résolument vers l’Europe et l’Occident (Marie Dumoulin).
Des pays d’Europe centrale, qui avaient maintenu des relations complexes avec Moscou, choisissent également de s’en distancier. Accéléré par le conflit ukrainien et accentué par les sanctions économiques contre la Russie, le phénomène actuel de décrochage géopolitique dans la région a réorienté les flux commerciaux et énergétiques vers l’Ouest ( Florent Parmentier ).
Les États d’Asie centrale, pour leur part, adoptent une approche plus nuancée et diversifient leurs partenariats économiques et politiques, tout en maintenant un équilibre délicat entre ces nouvelles opportunités et leurs liens historiques avec Moscou ( Marie Hiliquin ).
Dans le Caucase, la guerre du Haut-Karabakh a révélé les transformations profondes de la région. La Russie, traditionnellement perçue comme garante de la stabilité dans la zone, a vu son rôle s’éroder face à l’émergence de nouvelles dynamiques régionales. La chute du Haut-Karabakh et les tensions croissantes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan illustrent la remise en question de l’influence russe dans cette région stratégique où la Turquie et l’Iran jouent un rôle croissant ( Louise Amoris ).
Les États baltes représentent quant à eux une voie particulière de l’ex-URSS, ayant engagé un processus de « désoviétisation » et de « dérussification » dès les années 1990 afin d’effacer les traces de l’héritage soviétique et de se rapprocher de l’Europe, du Nord en particulier. Les pays baltes se distinguent aujourd’hui par leur intégration complète dans l’espace euro-atlantique, selon une évolution qui les ont considérablement éloignés des dynamiques régionales qui caractérisent leurs voisins ( Katerina Kesa ).
En somme, les quinze républiques issues de l’URSS ont suivi des trajectoires diverses, oscillant entre émancipation et dépendance, renouveau national et continuité structurelle. La guerre en Ukraine a profondément accéléré ces processus de reconfiguration géopolitique, accélérant les trajectoires de ceux qui cherchent à se détacher de l’influence russe et de ceux qui continuent de maintenir un équilibre délicat dans leurs relations extérieures.
📌 Contributrices et contributeurs du numéro : Lukas Aubin, Ph.D Sami Ramdani Anne de Tinguy Jean Radvanyi Louis Pétiniaud Igor Delanoë Yéléna Mac-Glandières Jean de Gliniasty Viatcheslav Avioutskii Florent Parmentier Marie Hiliquin Louise Amoris Katerina Kesa
Directeur de la publication Pascal Boniface, rédacteur en chef Marc Verzeroli, assistante de rédaction Romane Lucq.
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Si jamais tu as deux minutes à combler Anton Malafeev.
CEO & Founder chez EHSCO International SARL - Switzerland
1moMerci pour le partage , bien vu.
poseur mecanicien /vendeur de biens et service
1moa titre personnel je crois que c'est la relise en cause du fonctionnement de beaucoup de pays par des interet diverse interieur ou exterieur je ne sait pas meme la france en fait les frais de cette remise en cause cette chose est bizarre entrainant des reaction economique desastreuse
Merci beaucoup car pour les néophytes vos publications et interventions radiophoniques , télévisuelles ou en podcast permettent de comprendre la complexité de ce qui se passe en ce moment. Merci de partager
Change Manager
1moЭто неплохо. Знаете ли вы какие-нибудь современные музыкальные группы ? Lukas Aubin, Ph.D