Vers un nouveau monde électrique Neutre en carbone
La prochaine révolution industrielle, issue d’une décarbonation profonde et quasi-totale de l’économie, est possible. Elle est encore en gestation et va générer des millions d’emplois. Il n’y a pas de planète B, c’est donc notre seule façon de sortir par le haut de la crise climatique. Voici comment les entreprises peuvent sérieusement envisager fermer le cycle du carbone…
Par Nicolas Breyton
La température moyenne mondiale a augmenté de 1°C par rapport à l’ère préindustrielle. Et alors, me diriez-vous, … on ne vit pas si mal, non ? Mais ce qu’on oublie de voir, c’est que cette hausse n’est pas homogène : la température au-dessus des Terres a déjà augmenté de 80% plus vite que cette moyenne. Déjà +1,8°C au-dessus des continents, tandis que l’air au-dessus des océans ne s’est réchauffé que de 0,8°C. Or, 100% des hommes vivent… sur les continents.
En fait, cela dépasse l’entendement. Nous n’avons pas encore tous compris dans nos propres tripes le sens de l’urgence. Toutes les simulations informatiques du GIEC/ IPCC pour 2100 sont maintenant convergentes, précises et corroborent parfaitement avec ce qu’il s’est passé depuis 30 ans. Le scénario « Business as Usual » qui est privilégié, se situe entre 3,5 et 5°C en 2100. Et c’est le plus réaliste, pas le plus pessimiste. Il signifie une augmentation de 5 à 8°C au-dessus des Terres, et de 2,5 à 4°C au-dessus des Mers. Et l’Humanité, je l’espère, ne s’arrêtera pas en 2100 : je ne parle pas de l’année 2200 ou 2300, où l’on multiplie ces chiffres par deux si rien ne change (mais les énergies fossiles devraient se tarir avant). On apprend tous la Révolution Française de 1789 à l’école, mais l’histoire de l’année 2251, dont la distance à 2020 est pourtant la même, n’intéresse personne.
La réponse climatique ne sera pas linéaire. Nous savons déjà que les rétroactions, c’est-à-dire les phénomènes d’amplification, seront forts. Entre autres, le permafrost fond déjà bien plus vite que prévu, libérant les hydrates de méthane contenus dans les sols gelés de Sibérie et rajoutant potentiellement environ 0,5 à 1°C. La position moyenne annuelle des anticyclones va bouger, menaçant fortement toutes les zones forestières, pouvant provoquer des incendies d’une ampleur encore inconnue, bien au-delà de ce qu’il s’est passé cette année en Australie. La compensation carbone par la séquestration de CO2 via la reforestation pourrait ainsi partir en fumée avant d’avoir atteint son but.
Là, vous pensez, « il y en a marre du catastrophisme !» … Et vous avez raison, alors lisez cet article jusqu’au bout ! Je ne cherche pas ici à être catastrophiste, mais réaliste et proche de faits scientifiques, le catastrophisme serait peut-être d’ajouter à cette liste d’autres rétroactions probables mais encore non prouvées scientifiquement ; comme par exemple une montée des eaux non linéaire due à la dislocation soudaine de l’inlandsis de la mer de Ross en Antarctique, et bien d’autres phénomènes encore plus difficilement prévisibles.
Les gens confondent l’optimisme et le déni, le pessimisme et la prise en compte de la connaissance scientifique pour mettre au point un plan d’action. Ecouter les scientifiques, ce n’est pas être pessimiste mais pouvoir réagir avec réalisme et sérieux. Et l’avenir le plus scientifiquement réaliste est le monde décrit plus haut, pas le monde de bisounours dans lequel nous vivons aujourd’hui. Certains disent qu’il ne faut pas être dans l’émotionnel. Je ne suis pas d’accord, car rester dans la compréhension cérébrale du problème ne suffit pas à se mettre en mouvement. Il faut passer dans le cerveau reptilien pour passer à l’action… Et il faut passer à l’action maintenant pour sauver nos propres enfants !
Et je combats ici le fatalisme et l’idée que ce destin est inéluctable. On ne peut plus se cacher derrière l’arbre qui cache la forêt. Nous savons vraiment ce qu’il va se passer si on ne change rien, et nous savons aussi que nous avons tout pour réussir à changer le cours de l’histoire…
C’est lorsque l’homme est acculé qu’il est le plus inventif. Et c’est maintenant. On n’a plus tant de choix, on n’est plus en 2010… L’urgence nous force à remplacer tout de suite le sang de l’économie, à plein régime. Un plan de substitution rapide de toutes les énergies fossiles, bien au-delà du cosmétique, est inéluctable. Il est juste impossible de continuer le « Business As Usual ». Même financièrement, au fond de nous, nous le savons tous déjà.
Impossible ? Comment faire ? Il faut lancer la prochaine révolution décarbonée.
La prochaine révolution industrielle, c’est obtenir une économie qui sait fermer le cycle du carbone. C’est financièrement accessible (environ 5% du PIB mondial par an), c’est techniquement possible, et il n’existe pas de projet plus rentable à long-terme !
Un monde 100% électrique et décarboné est le seul à pouvoir fournir assez d’énergie pour éviter une écologie punitive de la taxe et des inégalités, ou de la décroissance subie. Cette écologie serait socialement inacceptable, encore plus dans les pays émergents qu’ailleurs, là où presque toute la croissance future du PIB mondial et du CO2 est prévue.
Cela passera par une petite révolution dans deux secteurs : le secteur du Nucléaire, et le secteur du Oil & Gas :
- Du côté électrique, il faut continuer à développer le solaire et l’éolien pour un usage extensif. Il faut aussi oser accepter le nucléaire à grande échelle : comme socle de base, comme suivi des intermittences et comme vecteur de production d’hydrocarbures décarbonées, car le stockage sous forme de batteries chimiques des réseaux nationaux, à une échelle hebdomadaire et saisonnière, est encore loin d’exister. N’écoutez pas les journalistes, marchands de peurs, qui confondent le risque et le danger. Le nucléaire civil est dangereux (si on mange des déchets !) mais très peu risqué par KWh. Le nucléaire français a fait zéro mort par an en 60 ans, et le nucléaire russe 80 à 100 morts par an sur 60 ans si on tient compte de Tchernobyl, dont le design peu sûr n’est plus commercialisé depuis longtemps. Il va vite devenir socialement plus acceptable que le charbon et le pétrole fossile, dont les dernières études montrent qu’il engendre chaque année entre 7 à 8 millions de morts dues aux émissions en ville. Comme en médecine, nous devons faire des choix, non pas médiatiques mais rationnels, avec une analyse « bénéfices risques » sérieuse et expliquée simplement à la population. Et ce n’est pas si compliqué ! Pour le socle de production électrique, il ne faut pas se leurrer, il faut choisir entre le charbon/gaz fossile et le nucléaire. Quant aux déchets nucléaires, le risque à long-terme des déchets fossiles (CO2, CH4) est incommensurablement plus grand que les déchets radioactifs stockables et solides, dont le volume est minuscule et re-valorisable, à horizon 20 ans, dans les centrales de prochaine génération.
- Du côté des hydrocarbures, face aux problèmes géologiques et climatiques, la stratégie des grands pétroliers est déjà en train d’évoluer rapidement. Les entreprises pétrolières vont arrêter de s’amuser à forer, c’était au 20ème siècle : au 21ème siècle, elles vont devoir utiliser de l’électricité décarbonée pour produire des hydrocarbures de synthèse à grande échelle. Repsol est la première entreprise pétrolière qui a annoncé, en décembre 2019, vouloir atteindre la neutralité carbone dès 2050, même si elle ne sait pas encore trop comment le faire. Mais le changement de stratégie est radical et peut changer la donne. On passe en effet d’une écologie de surface, où l’on achète une vitrine photovoltaïque tout en subventionnant Greenpeace pour tuer toute concurrence nucléaire potentielle (lol !), à une écologie de core-business, où l’on produira des hydrocarbures au bilan carbone neutre par tous les moyens, notamment en considérant dorénavant que « le nucléaire n’est plus mon concurrent, mais mon meilleur partenaire d’avenir ». Pour ce faire, un rapprochement va naturellement s’opérer entre les industriels de l’électricité et du pétrole.
- La collecte du CO2 va alors devenir une denrée précieuse, et un vrai prix du CO2 va émerger, au-delà du marché du carbone actuellement sous perfusion. Il sera en effet collecté et valorisé dans des grandes usines d’électrolyse de l’eau à haute température. Cela permettra ainsi de produire de l’hydrogène et du méthane « zéro carbone » : le rendement de cette opération (de 20 à 30%) n’est pas si mauvais si l’on dispose d’une énergie décarbonée bon marché en amont. Le reste des hydrocarbures décarbonées pourraient bien-sûr venir de la biomasse (algues, déchets verts).
En conclusion, nous devons inventer un nouveau monde très électrique et neutre en carbone, avec un mix d’efficacité énergétique, de solaire, d’éolien, de smart grids, et de nucléaire. Il faut aussi assez d’hydrocarbures décarbonés pour les applications non substituables, du biogaz et enfin de la reforestation…
Inutile d’opposer les solutions, il nous les faut toutes. Et il faut conjointement arrêter d’émettre en amont et séquestrer en aval (reforestation). Si nous n’agissons qu’en aval (la séquestration de CO2 via la forestation), la compensation est partielle et décalée de 30 ans, donc dangereuse (un arbre ça ne pousse pas si vite et peut brûler à cause du changement climatique). Sans changer notre modèle de production amont d’énergie primaire, la compensation carbone a de grande chance d’être vaine, car elle va restituer par incendie ce qu’elle aura mis 30 ans à séquestrer…
Pour réussir, la finance mondiale et l’industrie doivent adhérer.
D’abord, du côté financier, il faut un véritable effort de guerre : il faut allouer environ 5% du PIB mondial, associé à la création d’une monnaie mondiale (green bonds), et d’un moratoire signé à l’ONU pour l’arrêt des énergie fossiles en 2050. Soyons positifs, cette décarbonation profonde de l’économie a le potentiel de transformer et de générer des millions d’emplois.
Ensuite, il faut radicalement innover dans le secteur nucléaire pour produire un socle électrique décarbonée suffisant et de nouvelles générations de nucléaire renouvelable (et oui, c’est possible !).
Et enfin, il faut aussi d’énormes subventions allouées au secteur du Oil & Gas pour aider ces géants à transformer leur business model, pour passer d’hydrocarbures 100% fossiles aux hydrocarbures 100% décarbonées. Les entreprises de ce secteur, qui accepteront de relever ce défi, comme Repsol, transformeront leur image de fossoyeurs planétaires en sauveurs, et ceux qui ne joueront pas le jeu seront marginalisés par les campagnes de « Blame & Shame ». C’est possible, voici les raisons business :
- Premièrement, tout le monde sait que l’image d’une entreprise est un des assets les plus important pour ses propres clients et actionnaires.
- Deuxièmement, leurs actionnaires doivent accepter de voir temporairement leur rentabilité baisser de façon à préserver leur propre avenir financier, comme dans le digital où les actionnaires d’Amazon n’ont pas été rémunérés pendant longtemps car ils croyaient, à juste titre, au rendement issu des transformations poussées par l’entreprise.
- Troisièmement, c’est le seul moyen pour ce secteur d’éviter des procès climatiques géants et de se faire lâcher par les assureurs. Enfin, les premiers à opérer cette transformation seront les plus compétitifs.
- Même s’ils sont loin de contrôler l’ensemble du secteur, les « majors » du pétrole sont des leaders d’opinion, et les plus petits producteurs nationaux n’auront pas d’autre choix que de suivre la tendance mondiale, imposée d’ailleurs par un moratoire Onusien sur l’arrêt de l’extraction des énergies fossiles en 2050.
Personne n’a de planète B, y compris le monde du pétrole, et nous avons tous envie d’un avenir prospère pour nos enfants, y compris chez Repsol, Total ou Exxon.
Alors, tout est encore possible. Le pire n’est jamais sûr, et le vrai changement commence maintenant : la décarbonation de l’économie est très excitante, pleine d’opportunités de business et de rebondissements. L’histoire ne fait que commencer…
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Dirigeant d’entreprise
4yPour ma part j’ai appris et compris plein de choses. Le paradigme doit changer et c’est au citoyen consommateur de poser la limite que le financier et ses algorithmes ne posera jamais. Merci
Ph. D. in Nuclear Physics, I&C Engineer chez Framatome
4yJ'ai du mal avec le concept d'hydrocarbure "décarboné", sachant que par définition un hydrocarbure est à la base un "squelette" d'atomes de carbone et que la combustion d'un hydrocarbure produira toujours du CO2. Comme j'ai du mal avec le terme "biogaz" qui n'est autre que du méthane ... qui est un gaz à effet de serre 20 fois plus "efficace" que le CO2. Sachant que rien ne garantit l’étanchéité des process et stockage de ce gaz (je me réfère à un ancien reportage d'Arte sur la production agricole de méthane), sa production comme solution au changement climatique me semble très hasardeuse.
Excellent article, pour relever les défis climatiques, nous avons besoin de toutes les industries.