Post de Mohammed CHEKROUN

Voir le profil de Mohammed CHEKROUN, visuel

Professeur de sociologie- Université Mohammed V de RABAT

je viens de publier l'article n°4 de la série "DE LA MÉMOIRE, DE L’OUBLI ET D’AUTRES FACONS DE VOIR (IV)", intitulé "de la fragilité des liens". Depuis plusieurs mois, je voulais écrire un article consacré à Zygmunt Bauman, le philosophe lucide et critique de la modernité liquide. Je pense que le sociologue allemand a été l'une des personnes avec lesquelles j'ai discuté le plus en privé ces dernières années dans cette expérience intime qu'est la lecture. Il y a un mois, mes yeux ont erré dans les pages de son dernier essai, Foreigners Knocking on the Door, une réflexion sur la façon dont les pouvoirs politiques et de facto stimulent vicieusement la peur et le ressentiment des pauvres en diabolisant l'immigration économique et les réfugiés pour cacher et contourner les problèmes sous-jacents de la pauvreté, qui ne sont autres qu'une répartition de plus en plus inégale des richesses. Les bénéficiaires de tant d'inégalités attisent l'#aporophobie (animosité aiguë envers les pauvres) comme une distraction qui nous fait concentrer notre attention au mauvais endroit. Je me souviens d'avoir lu de #Bauman que l'immigration est intrinsèque à la texture humaine. Depuis la nuit des temps, si la #richesse ne va pas aux pauvres, les pauvres vont là où il y a de la richesse. Cette modernité de nature fluide peut se résumer dans la mort des macro-récits qui structuraient biographiquement une existence, dans l'extinction des entités surnaturelles qui articulaient et lénifiaient la vie terrestre, dans la divinisation de la volonté comme reine souveraine d'un individualisme qui a mis fin à tout contrat social. Soudain, le lien qui nous unissait de façon ombilicale à la réalité est devenu volatile. Aujourd'hui l'hégémonie de la spontanéité d'un désir de plus en plus tordu prévaut, le zapping boulimique des expériences éphémères comme une manière d'habiter le monde, une identité labile incapable de s'enraciner et de construire des ressorts pleins, un rapport à l'autre réduit à une pratique consumériste ou à un exercice de maximisation de l'utilité. Cette vie pour la vie qui a véhiculé les générations précédentes, et qui a eu au fond l'étouffement d'un excès de normativité coercitive, a été remplacée par une vie flexible qui abrite plusieurs vies mais peu de vie en chacune d'elles. Dans le monde liquide, il n'y a rien de solide à quoi s'accrocher, rien pour résister à l'assaut de l'obsolescence. Tout cela est également excité par un monde compétitif qui réduit les gens à de féroces adversaires pour l'accès à une vie digne grâce à des emplois de plus en plus rares et précaires. En liant la survie au travail salarié, les gens sont incroyablement en concurrence les uns avec les autres pour obtenir les droits de citoyenneté.. Le chômage comme atout de plus de la production. Zygmunt Bauman est décédé, mais c'est une chance inestimable de pouvoir continuer à discuter en privé avec lui. Béni soit celui qui a inventé ces dépôts de la mémoire qu'on appelle les livres.

DE LA MÉMOIRE, DE L’OUBLI ET D’AUTRES FACONS DE VOIR (IV) De la fragilité des liens - recherches et reflexions par Mohammed Chekroun

DE LA MÉMOIRE, DE L’OUBLI ET D’AUTRES FACONS DE VOIR (IV) De la fragilité des liens - recherches et reflexions par Mohammed Chekroun

mohammed-chekroun.over-blog.com

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Explorer les sujets