À quoi ressembleront les prochains mois?
Alors qu’on avançait à tâtons au printemps dernier, les prochains mois sont d’une surprenante lucidité pour le secteur agroalimentaire. Il serait mal avisé d’y voir un long fleuve tranquille, mais certains fondamentaux bien installés auront un effet puissant.
Environ 6 semaines après la fin du mois, Statistique Canada publie les dépenses des Canadiens dans les établissements de restauration et les magasins d’alimentation. La désertion obligée des restaurants au printemps dernier et les achats de panique de mars 2020 ont secoué les données comme jamais auparavant, mais une nouvelle normale s’est depuis installée. L’intérêt réside dans la projection, en tenant compte du contexte socio-sanitaire des mois à venir.
L’agroalimentaire, comme tout le reste, évoluera au rythme de la covid. On parlera de plus en plus de vaccin, mais les experts rappellent que développement, autorisation, production de masse et administration du vaccin n’aboutiront possiblement pas avant le second trimestre de 2021. Ainsi, bien qu’à géométrie variable, les restrictions sociales et leur effet sur la chaîne agroalimentaire perdureront plusieurs mois. Les ventes d’aliments en épicerie, qui ont augmenté de 10-15% année sur année, se maintiendront. Et ça signifie quoi?
Rappelons-nous que les repas pris au resto sont généralement plus riches en protéines animales, alors que le pain, le riz et les pâtes sont à l’honneur à la maison. L’augmentation actuelle des prix du blé, partiellement expliquée par des craintes de mauvaise récolte à divers endroits, trouve aussi racine dans la forte demande. Malgré la baisse - observée et entrevue - de consommation de viande, les marchés tiennent bon parce qu’un facteur encore plus puissant les maintient : la peste porcine africaine. Impossible d’exagérer l’ampleur du choc de ce virus sur le marché mondial des protéines - pas juste le porc. Le malheur des uns…
Comment entrevoir les prochains mois en agriculture? La covid peut encore réserver des surprises (l’abattage porcin l’a dans les dents ces jours-ci), mais pas de l’ampleur du printemps dernier. L’accueil des TET au Canada présentera moins d’incertitude qu’en 2020, mais nul n’a de contrôle sur leur départ de leur pays d’origine. En revanche, l’élan institutionnel et citoyen en faveur de l’agroalimentaire, les faibles taux d’intérêt, les revenus nets dans la moyenne des dernières années dans une majorité de secteurs agricoles en 2020, la stabilité politique à l’égard des accords commerciaux, les compensations promises au secteur laitier constituent autant de facteurs accélérateurs. L’année 2021 est prometteuse, et le terreau sera fertile aux projets. Attendons-nous à une pression conséquente sur la valeur des terres. Et on investira pour automatiser, question de s’affranchir d’une préoccupante dépendance à la main d’œuvre.
Le risque covid sur l’agriculture et l’agroalimentaire - que la chaîne a apprivoisé - s’ajoute à un panier que le secteur connaît bien : climat, prix volatiles, accès aux marchés internationaux, etc. Les facteurs accélérateurs mentionnés plus haut contribueront à les compenser, et maintiendront une pression de développement et de consolidation sur le secteur en 2021.
Tout ceci tient pour acquis qu’un confinement généralisé comme au printemps 2020 (avec fermeture de l’économie et des écoles) ne s’avèrera pas : les réserves de l’OMS quant aux effets négatifs de telles mesures draconiennes ont été claires. Ça suggère aussi qu’il n’y aura pas de PCU, salvatrice pour beaucoup, mais paradoxalement déstabilisante pour le marché de l’emploi. Et on croise les doigts pour que la peste porcine africaine ne nous frappe pas. Pour ce qui est de la transition présidentielle américaine (il y en aura fort probablement une)… ce sera probablement chaotique, mais le 20 janvier, ce sera du passé.
Bref, on a déjà vu bien pire que ça, n’est-ce pas?
Vincent Cloutier, agr.
Banque Nationale
Agriculteur et administrateur de sociétés ASC
3 ansToujours aussi pertinent et intéressant Merci Vincent