Animaux attachés, animaux en liberté

C’était en 2005. Les collègues des Producteurs de bovins du Québec guidaient leur p’tit nouveau dans une journée de visites. Au programme, un élevage de veaux de lait, entre autres. Les animaux y étaient alors logés individuellement, dans des box de contreplaqué (plusieurs comprendront mieux « plywood »; sur la rive-sud de Québec, on disait du « veneer »… mais je m’égare). Aujourd’hui, de telles installations sont en disparition : les veaux de lait sont tous logés en enclos collectifs au Québec, et c’est le cas en Europe depuis un bail.

Remontons encore dans le temps. Le soussigné a passé son adolescence sur une ferme de poules pondeuses. Dans les années 1990 au Québec, la presque totalité des oiseaux étaient logés dans des cages en batterie : sans pondoir, bain de sable ni juchoir. Encore ici, les temps changent. Les échéanciers sont fixés, et la transition est en cours vers l’élevage en volière ou les cages enrichies. Des systèmes permettant aux oiseaux d’exprimer davantage de comportements naturels. 

En 2014, le Code de pratiques dans le secteur porcin décrétait que les truies en gestation devraient être logées en groupe à partir de 2024. Malgré un report à 2029 qui devrait être officialisé sous peu, la trajectoire ne fait pas de doute. Le fait que la communauté porcine ne soit pas unanime sur le bien-fondé de cette transition aura bien peu à y voir. Dans un proche avenir, les truies en cage n’existeront plus au Canada (seulement en lactation et en tout début de gestation). Encore ici, l’Amérique emboîte le pas à l’Europe, qui a déjà fait ce passage, et qui s’apprête à aller encore plus loin.

Maintenant, le secteur laitier. Pour connaître personnellement plusieurs producteurs et productrices où les vaches sont attachées chez l’un, libres chez l’autre, nous sommes une écrasante majorité à être convaincus qu’une très forte majorité de vaches laitières au Québec sont logées de façon appropriée. Là n’est pas la question. Si émotif et source de division cet enjeu soit-il, la question a souvent été posée en salle : « Combien de temps s’écoulera-t-il avant qu’il n’y ait plus de vaches attachées au Québec? »

• « Vingt-cinq ans », disait l’un.
• « Quinze ans », criait une autre.
• « JAMAIS », s’époumonait un troisième.

Bien que la voie semble claire en production laitière (à l’instar d’autres secteurs de production agricole), les échéanciers ne le sont pas. Hasardeux d’affirmer que le consommateur « demande » cette transition. Plutôt, la voix citoyenne - une espèce de courant dominant qui représente tout le monde et personne à la fois - suggère que la stabulation libre progressera inexorablement. Parmi les facteurs qui dicteront le rythme de transition, le grand inconnu demeure la pression de la communauté laitière elle-même. Le quota est rare à l’encan, et il le demeurera (1,27% des offres d’achat comblées en décembre). Les importations européennes et américaines s’ajouteront à la compétition des produits issus de protéines alternatives. Ainsi, beaucoup voudront acquérir le quota de ceux et celles qui quitteront. Ça n’a rien de nouveau.

L’auteur n’étant nullement expert en comportement animal, cette chronique se gardera bien de commenter le bien-être de quelque animal en fonction de sa liberté de mouvement. Il demeure que pour accompagner au mieux sa clientèle, il est du devoir du monde financier de lire au mieux les tendances naissantes, établies ou à venir. Parfois, c’est pas évident : où nous mèneront les protéines de labo? Et la carbonisation de l’économie? Par contre lorsqu’il est question de confinement des animaux, la trajectoire est plus simple à entrevoir.

Vincent Cloutier, agr.

Banque Nationale