Éloge de la précarité
On ne dira jamais assez que l’innovation doit commencer par une phase d’enthousiasme douloureux, celle où l’on précarise intentionnellement ses certitudes en affrontant les équations à multiples inconnues qui émergent de cette impérative insécurité intellectuelle.
L’innovation ne peut s’épanouir que lorsque ceux qui la portent – chacun d’entre nous en fait - s’affranchissent des dogmatismes culturels et fonctionnels qui rôdent dans toutes les entreprises. Facile à dire.
Cela suppose une adhésion à tous les étages et nous savons tous, par expérience, combien la frilosité managériale est instinctive jusqu’à parfois – souvent ? – confiner au gel. L’éducation à la prise de risque est si peu française et la sanction de l’échec l’est tant que la tentation est grande de ne pas dépasser le plagiat paresseux et complaisant dont nous nous contentons souvent parce qu’il est accessible, éprouvé, rassurant. Il y a beaucoup plus d’avantages immédiats à se satisfaire de succédanés revêtus d’un vernis moderniste que d’assumer la responsabilité des conflits prévisibles qui accompagnent les remises en question et les sauts du haut de la falaise.
D’autant que l’innovation, dans son acceptation contemporaine, charrie dans son sillage une réputation disruptive - d’ailleurs assez fausse - qui n’est guère de nature à emporter naturellement le consentement chaleureux des dirigeants tant ces derniers sont légitimement inquiets de garantir la stabilité de l’organisation.
La première des innovations n’est-elle pas précisément de se reconfigurer soi-même pour porter de nouvelles approches ? A commencer par être en mesure d’instaurer de la précarité dans ses propres mécanismes de pensée et de comportement pour leur donner plus d’élasticité ? Les conservatismes dans l’entreprise ne se limitent pas à l’amarrage forcené aux cultures historiques, ils sont à chercher également – peut-être même surtout – chez les prêcheurs de certitudes si persuadés de détenir le Graal qu’ils s’immobilisent pour qu’il ne leur échappe pas des mains et qu’ils se recroquevillent pour qu’on ne leur dérobe pas.
L’innovation a un prix sans doute plus élevé que celui que restitue le contrôle de gestion.