Émancipez vos organisations
LES DEUX GRANDS MODÈLES D’ORGANISATION
Il y a deux grands modèles d'organisation (1): a) l'organisation contrôlée, donc prévisible; b) l'organisation adaptée, donc imprévisible (2). Les deux sont aux antipodes l'un de l'autre, en termes de principe de gestion des affaires: l'un émane de l'approche mécaniste (quantification des résultats), l'autre de l'approche organique (qualification des comportements). Les organisations contrôlées dominent toujours le paysage (3), bien qu'elles soient appelées dans l’ensemble à devenir des pièces de musée (4). Les organisations adaptées remplaceront les premières, au palmarès des plus rentables (et donc pérennes), et ce au rythme d'arrivée de la génération montante des gestionnaires formés au travail par le groupe émancipé (5).
L’ORGANISATION PRÉVISIBLE : GÉRÉE COMME UNE MACHINE
L'organisation prévisible est gérée comme une machine à produire. Ses dirigeants la tiennent pour un système à parties sinon interchangeables du moins jetables à volonté. Sa gestion suit la logique de la cause-à-effet, et les relations en son sein sont synchronisées de manière métronomique en termes de planification, d'exécution et d'évaluation du travail. Tout s'y joue au sommet de la hiérarchie d'emplois : le P.D.G. détient tout le pouvoir de décisions et exerce un droit de vie ou de mort sur tout ce qui y bouge… ou presque.
L’ORGANISATION IMPRÉVISIBLE : GÉRÉE COMME UN ENSEMBLE AUTO-ADAPTABLE
L'organisation imprévisible est gérée comme un ensemble s'adaptant en permanence, personnes et projets, aux exigences changeantes du marché. Tous les preneurs à son activité assument une part active à la détermination de ses orientations (stratégies), opérations (structures) et mandats (processus). Les interrelations y sont le ciment qui lie les moyens à la fin de l'activité, et l'évaluation du rendement à la tâche s'y opère sur la base d'objectifs collectifs d'amélioration (cycle de vie), plutôt que sur la base de cibles individuelles de résultat (exercice) (6). Ce ne sont pas les chiffres qui commandent l'action, mais la volonté de changement dans le comportement à la tâche qui institue l'avancée vers les objectifs de rendement convenus (et non pas imposés) sur la ressource mise à contribution pour réaliser le travail attendu. L'organisation s'auto-organise autour de groupes de travail autonomes, de sorte que l'adaptation aux exigences changeantes de l'environnement externe se produise avec la flexibilité (variété) requise (Ashby).
MACRO-GÉRÉE OU MICRO-GÉRÉE ?
Alors que tout se veut prévu dans l'organisation mécaniste, tout est adapté dans l'organisation organique. Dans la première, on gère des fonctions d'exécution de la tâche, comme on applique des grilles comptables au contrôle des fonds engagés, alors que dans la deuxième, on apprécie des contextes de réalisation de mandat, comme on aborde des opportunités d'amélioration du système de production par modes, méthodes et pratiques de gestion innovants (évolués).
LES ORGANISATIONS SONT DE « SOMMET » OU DE « BASE »
Les organisations prévisibles sont macro-gérées (depuis le sommet), alors que les organisations imprévisibles sont micro-gérées (depuis la base) (7). Dans les unes (mécanistes), on se préoccupe des voies et moyens de l'activité, alors que dans les autres (organiques), on s'intéresse à la finalité de l'activité, partant aux personnes et à travers elles aux projets de l’organisation. La différence n’est pas de simple fonctionnement (« process »), elle est de culture (« mindset »).
CONTRÔLER DES GESTES OU DÉLÉGUER DU POUVOIR DE DÉCISIONS ?
Les organisations mécanistes sont normalisées, standardisées et uniformisées, alors que les organisations organiques sont flexibles (8), ouvertes et humanisées. Dans les unes on mesure du résultat financier, et dans les autres on motive des personnes à l’actualisation de soi. Dans les unes on contrôle des gestes, et dans les autres on délègue du pouvoir de décisions. Dans les unes on exécute du travail, et dans les autres on partage des savoirs. Dans les unes on produit des biens, et dans les autres on s'accomplit soi-même. Dans les unes on obéit, et dans les autres on innove ! Macro ou Micro ? Faites vos choix (9)!
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RÉFÉRENCES:
(1) Organisation renvoie à tout type de système structuré : entreprise privée (grande, moyenne ou petite), organisme public (gouvernement, ministère, agence et le reste), association (peu importe le type), syndicat (patronal comme ouvrier), communauté (civile, religieuse ou autre), voire société (nation). Le marché, par contre, n’est pas une organisation, parce que parfaitement aléatoire (en démocratie par opposition au régime dictatorial) et donc sans structures prédéterminées. Et les systèmes comprennent les sous-systèmes, parce qu’eux-mêmes sont des organisations qui se comportent distinctement… même s’ils peuvent être influencés par des super systèmes ou organisations.
(2) Imprévisible ne veut pas dire sans sens de l’orientation, et encore moins sans maîtrise sur elle-même (l’organisation). Imprévisible veut dire sans limite imposée, sans condition ni exigence fixe, bien qu’engagée dans une activité stimulante, qui invite, motive et valorise par l’action concertée au dépassement de soi. Imprévisible ne veut pas dire « du-n’importe-quoi », mais du non-contraint par les règles, les normes, les standards. L’imprévisible renvoie au dépassement de soi, parce que l’inconnu n’y est pas de nombre (chiffre) mais de niveau (excellence).
(3) La donne risque d’être différente dans certains pays, où la culture de la méfiance domine les relations entre les personnes. Mais rien n’indique que les cultures les plus « arriérées » ne puissent un jour évoluer vers l’actualisation de l’homme.
(4) Toutes ne disparaîtront pas. Manifestement, dans l’évolution des affaires des hommes, même les pratiques les plus avancées sont souvent délaissées, momentanément, au profit de plus déphasées. Des pertes de système s’enregistrent, dès lors que ceux et celles qui dominent la pyramide de décisions, dans le système concerné, sont favorisés au détriment des autres. Les choses, même les plus absconses, tendent à s’y généraliser. On peut penser, que l’ensemble des organisations connaîtra, un jour ou l’autre, de meilleurs modes, méthodes et pratiques de gestion qu’aujourd’hui. Mais on doit douter, qu’elles y arrivent toutes en même temps et surtout au même niveau. Cela dit, rien n’indique qu’il soit impossible de faire évoluer même les sociétés les plus attardées en matière de besoins de l’homme pensant, actant et valorisant son épanouissement par l’autonomie de l’expression, par l’action et par le choix des voies et moyens de son actualisation propre.
(5) Dans l’organisation vieillissante, en termes de représentation générationnelle, peu de personnes avaient reçu une formation universitaire en matière de management des affaires. Ce qui n’est plus le cas, avec la génération de remplacement à la tête des organisations (la garde montante). Les nouveaux dirigeants ont appris, compris et commencé à expérimenter la gestion participative, parce qu’appartenant déjà à une génération mieux informée sur les questions de l’organisation concurrentielle et plus ouverte aux choses de l’homme. Il demeure, cependant, que la culture des organisations ne s’en trouvera pas nécessairement chamboulée du jour au lendemain. Le « contrôle », en lieu et place de la coopération-coordination, va prendre bien du temps encore, avant de disparaître des écrans radars d’une majorité d’organisations. Les plus flexibles attireront les esprits innovants, et les moins variées retiendront les moins mobiles en emploi. C’est la chaise musicale des talents, des compétences et des attentes…qui le veut.
(6) Nombre de dirigeants préfèrent épuiser la ressource disponible pour en tirer le maximum, puis jeter l’éponge avant d’aller voir ailleurs s’il n’y a pas mieux pour eux-mêmes. Ce faisant, ils laissent aux autres le soin de parer au pire, en redressant la situation d’inconfort généralisé dans l’organisation qu’ils ont créée en malmenant celle-ci, alors qu’ils avaient mandat de la gérer de manière exceptionnelle… parce que rémunérés de manière exceptionnelle. La gestion du chiffre entraîne celle du nombre : on enfle ici (sommet) et on dégraisse là (base). La variété requise (Ashby), dans l’équilibre des forces agissantes sur l’activité à mener, est compromise, et l’organisation, au total, en paie largement le prix par la suite. Moins de Al « Chainsaw » Dunlap (compressions idiotes ; profit momentané ; faillite inévitable) et plus de Herb Kelleher (personnel avant tout ; actualisation de soi par le travail d’équipe ; performance sur le cycle de vie entier de l’organisation).
(7) Attention aux dérives de formule. Il n’est pas ici question de micro-management tel que pratiqué par certains dirigeants, ceux qui s’interposent dans l’exécution de la tâche assignée en fourrant constamment leur gros nez dans le travail des autres. Il est ici question de gestion décentralisée du pouvoir de décisions, jusqu’à la ligne de service (celle qui se trouve à la base de la pyramide d’emplois, là où le personnel rencontre le client). Par ailleurs, il n’est pas de zone tampon (de mécano-organique) entre l’organisation « mécaniste » et l’organisation « organique », pas plus qu’il n’est de semi qualité en matière de produit d’activité.
(8) Quand Jack Welch a parlé de « boundaryless », il a voulu signifier l’organisation sans frontière (comme on aime le dire aujourd’hui à propos de tout et de rien, malheureusement). Pas de contrôles à tout venant, mais de l’engagement, de l’humanisme et de l’intelligence à plein. Ça tarde et ça manque affreusement, un peu partout en milieu du travail ! Et ceux et celles qui, souvent, se targuent d’être les plus ouverts au changement sont, trop souvent, les plus fermés qui soient en matière de partage du pouvoir de décisions.
(9) Cela me rappelle le titre d’un ouvrage : « Control Your Own Destiny or Someone Else Will », par Noel Tichy (1992). Prenez-vous en charge, ou on vous prendra en charge. Et ne vous plaignez pas, par la suite, des conséquences de vos choix !
Chargé d'Affaires Entreprises
8 ansMerci Marcel pour cet éclairage...Je crois que je vais choisir sans hésiter la version "imprévisible" de l'organisation, celle qui est la plus proche de l'humain et celle qui a le plus de chance de survivre. Car pour survivre ne faut-il pas être d'abord capable de s'adapter à la volatilité de toute chose ?