2008-2018 : une magistrale histoire d’économie bancaire
Une opinion du professeur et docteur Bruno Colmant, membre de l'académie royale de Belgique, Head of Macro Research - Degroof Petercam.
Avec le recul de dix ans de crise bancaire, on peut affirmer que les États ont agi de manière lucide et clairvoyante. Mais le prix à payer par le système est une réglementation alourdie et, surtout, l’instrumentalisation des bilans pour le financement des dettes publiques.
Depuis le choc financier de 2008, les banques commerciales (ou de détail) sont au centre de débats intenses. Il est incontestable que la crise bancaire a révélé de graves lacunes concernant la concentration de certains risques (dans l’immobilier américain, par exemple). Cette crise était incompatible avec une gestion prudente de l’épargne populaire.
En dix ans, de nombreuses leçons ont été tirées et la tutelle des autorités publiques sur le secteur financier s’est affirmée. Les banques ont restitué aux Etats l’aide qu’elles avaient reçue en 2008. Elles financent aussi les Etats en canalisant l’épargne des déposants vers le financement des dettes publiques.
Les prêteurs en dernier ressort
Cela étant, la problématique de la gestion bancaire est complexe car les banques commerciales créent la monnaie. En d’autres termes, elles sont des entreprises qui fabriquent elles-mêmes leur matière première. En effet, contrairement à une opinion largement répandue, ce ne sont pas les banques centrales qui créent la monnaie, mais bien les banques commerciales.
Bien sûr, la monnaie n’est pas un phénomène spontané et il faut l’amorce des banques centrales. Ces dernières fournissent une indication en matière de taux d’intérêt et permettent aux banques commerciales de se refinancer auprès d’elles, raison pour laquelle elles sont qualifiées de "prêteurs en dernier ressort". A l’exception de la récente création monétaire destinée à refinancer les dettes publiques, les banques centrales créent donc de la monnaie, mais uniquement à titre supplétif.
La création monétaire des banques commerciales fonctionne grâce à ce que les économistes qualifient de "multiplicateur des crédits". Ce mécanisme conduit à ce qu’un prêt octroyé par une banque exige un dépôt pour le financer. Ce prêt aboutira auprès d’autres agents économiques qui en feront des dépôts auprès d’autres banques, etc.
Cette multiplication des opérations de crédit crée un flux monétaire dont la vitesse peut augmenter ou ralentir en fonction de différentes exigences réglementaires ou du niveau de l’activité économique. Le rôle des banques commerciales consiste d’ailleurs, de manière contre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie qui leur est confiée.
En incitant à la déthésaurisation, les banques commerciales transforment un stock de monnaie en un flux qui traverse l’économie.
Il faut entretenir une concurrence
La création de monnaie a besoin d’une communauté de banques commerciales pour fonctionner : une banque seule ne pourrait l’activer. Chaque banque contribue donc à la création monétaire, ce qui conduit certaines institutions à devenir systémiques, c’est-à-dire à jouer un rôle incontournable dans la création monétaire. La faillite de banques systémiques s’assimilerait à une rupture du flux monétaire, ce qui aurait des effets immédiats sur l’économie réelle.
Etant donné que les banques commerciales n’existent que par le réseau qu’elles constituent, on comprend pourquoi il importe d’entretenir une concurrence suffisante dans ce secteur. Si le nombre de banques diminuait de manière excessive, cela conduirait à faire reposer progressivement la création monétaire sur les banques centrales. Ces dernières dépasseraient alors le rôle de prêteur en dernier ressort pour devenir l’animateur d’un marché interbancaire. Cette situation correspondrait à une nationalisation du crédit et de la création monétaire, qui ne serait plus tempérée par les règles de l’économie marchande de l’offre et de la demande de crédit.
La base monétaire dépend donc du montant des crédits bancaires. Un des freins au dispositif est le niveau des capitaux propres des banques commerciales qui oblige, chaque fois qu’un crédit est octroyé, à en geler une quote-part. Cependant, les banques ne doivent pas geler de capitaux propres pour des crédits au secteur public. Grâce à cet avantage, les banques sont naturellement devenues le prolongement des Etats dans le cadre de la création de monnaie.
La malsaine nationalisation bancaire
La logique de création monétaire à laquelle nous assistons constitue d’ailleurs peut-être le ferment de cette nationalisation dérobée. En effet, les Etats ont recapturé la création monétaire afin de financer leurs dettes, au risque de dévaloriser la monnaie et de mettre en péril la pérennité de l’étalon monétaire.
Si cette orientation est confirmée, cela signifie que la dette publique et la création monétaire convergent vers une expropriation partielle de l’économie privée. C’est incidemment une des nombreuses raisons pour lesquelles la nationalisation bancaire (ou un actionnariat public à long terme) est malsaine : en exigeant des banques qu’elles les financent, les Etats créent de la monnaie en monétisant leurs emprunts et orientent théoriquement le crédit à leur avantage.
Les actionnaires privés des banques sont quant à eux des passagers "clandestins" de la création monétaire. Ils prennent le risque d’absorber les premières pertes du système bancaire avec l’espoir d’en engranger une fraction des bénéfices. En même temps, si les actionnaires privés supportent les premières pertes, ils ne sont jamais obligés de combler le passif, c’est-à-dire d’apporter des capitaux propres complémentaires en cas d’insuffisance. En effet, ce n’est que lorsque les actionnaires auront perdu l’entièreté de leur patrimoine que les déposants seront impactés négativement, pour ne récupérer qu’une partie de leur épargne. C’est le principe de la société de capitaux à responsabilité limitée.
Les actionnaires privés sont donc indispensables, car ils amortissent les pertes du crédit accordé au secteur privé. Ils savent également que leur véritable risque consiste en la dilution de leur actionnariat suivant une nationalisation. En conséquence, une banque doit posséder des capitaux propres suffisants pour éviter que les épargnants soient impactés négativement en cas de perte majeure. Tout en appartenant aux actionnaires, ces capitaux propres agissent comme un absorbeur de choc de la création monétaire.
Sous une forte tutelle publique
A l’aune de ce qui précède, on comprend pourquoi les Etats ont contribué à la recapitalisation des banques commerciales afin d’éviter une discontinuité dans le flux de monnaie. Inversement, la faillite de Lehman Brothers n’entraîna pas d’effets désastreux car c’était une banque d’affaires, qui récoltait un nombre très limité de dépôts. Avec le recul de dix ans de crise bancaire, les Etats ont agi de manière lucide et clairvoyante. Mais le prix à payer par le système bancaire, sauvé grâce aux Etats, est une réglementation alourdie, et surtout l’instrumentalisation de leurs bilans pour le financement des dettes publiques, elles-mêmes lestées, depuis la crise de 2008, par le fait que si la crise de 2008 était une crise de dettes privées, ces dernières se sont progressivement transformées en dettes publiques.
En ce qui concerne l’avenir, il est plausible que les banques commerciales européennes resteront placées sous une forte tutelle publique, ne fût-ce que parce que la morphologie de l’économie financière s’est, dans le domaine financier, étatisée. C’est une conséquence malheureuse, et sans doute outrancière, de la crise de septembre 2008. Certains pays, comme les Etats-Unis, ont décidé de relâcher souplement les contraintes publiques sur les banques, en considérant que le garrot était trop serré. A raison.
Source: LaLibre
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6 ansIl est grand temps que des politiciens courageux cessent de prostituer le système bancaire privé à leurs besoins maquerelliens de non-réforme de l'état mettant en danger les fondements de nos démocraties eux-même bien que leurs agissements soient commandés par ceux-ci🤫