2008. Utero
Chapitre 3
Mercredi matin, les enfants vont faire de la peinture. Maeva sourit en sortant tout le nécessaire, elle leur a préparé de jolis pochoirs. Elle installe les enfants sur la table du salon puis va chercher Lucas qui s’est réveillé. Elle le pose dans son transat, le temps de réchauffer son biberon. A son retour de la cuisine, Maeva reste muette de surprise autant que de colère, Lucas est vert, rouge et bleu. Léandre rit sous cape tandis que Line se moque de son petit frère. Punition, Maeva est excédée. C’est la quatrième fois cette semaine que Lucas sert de souffre douleur à ses aînés. Arnaud dit qu’elle ne devait tout simplement pas les laisser seuls entre eux, mais Maeva réplique que ce genre de choses ne devrait pas arriver, qu’elle aimerait inculquer le respect autant qu’insuffler l’amour à chacun de ses enfants. Mais pourtant, elle a bien du mal à retenir une fessée. Line prend visiblement un malin plaisir à s’en prendre à un bébé qui ne peut se défendre. Maeva ne comprend pas. Elle qui a vécu son enfance dans l’amour ne peut comprendre qu’on soit méchant voire violent avec un bébé, même quand on n’a que 5 ans. Elle supporte une fois de plus l’affront. Les grands n’auront pas leur sortie de l’après-midi. Combien de fois les a-t-elle punis depuis la naissance de Lucas ? Maeva réfléchit… elle est surprise que ça se passe si mal. Lorsque Line était née, Léandre avait été un peu jaloux mais s’était toujours montré doux avec elle… Mais maintenant qu’ils étaient trois, c’était une catastrophe. En fait, Maeva commence à avoir du mal à supporter l’acharnement des grands sur le pauvre bébé. Elle crie à l’injustice et se sent impuissante. Si seulement elle pouvait faire comprendre aux enfants la nécessité de se respecter pour vivre dans un monde civilisé, la nécessité de s’aimer pour ne pas vivre dans un monde de fous, ou du moins s’en préserver. Mais Maeva ne sait pas comment faire, elle est désemparée face à l’impertinence de ses enfants. Ce n’est pas tant qu’elle ne veut pas se battre, mais elle a le sentiment de ne pas avoir les bonnes armes. Mais elle ne baisse pas les bras. Maeva passe un moment avec Léandre, puis avec la Line pour leur expliquer de nouveau pourquoi il ne faut pas faire du mal à Lucas.
Puisque les enfants ont été sages cet après-midi, ils auront le droit à une petite douceur. Maeva les emmène à la boulangerie. Et pendant que Maeva, Lucas dans les bras, s’extasie devant les pâtisseries aux couleurs pastel, la boulangère surprend Line en train de voler des bonbons. C’est une grande première. Maeva en reste coi. Elle assure à la boulangère que l’enfant sera sévèrement punie, et sort, sous le regard hostile des autres clients. Est-il possible que son enfant ait volé ? Une de ses amies lui avait affirmé que l’on ne connaît vraiment la honte que lorsqu’on est parent… Maeva ne peut que confirmer. Jamais elle n’a eu autant honte que devant le regard accusateur des clients de la boulangerie *Vous êtes une mauvaise mère, surveillez donc vos enfants, apprenez leur, que voler, c’est mal !*
Maeva soupire, elle ne l’éduque pourtant pas comme ça… Mais que se passe-t-il en ce moment ? C’est comme si tout allait de mal en pis depuis la naissance du troisième rejeton… Les aînés sont devenus si intenables… Qu’a-t-elle raté ? Que n’a-t-elle pas vu ? Maeva est fatiguée.
Un jour comme un autre, Maeva va chercher Line à la maternelle. L’institutrice lui fait le décompte des bêtises de la journée. Maeva gronde l’enfant des yeux, elle est tellement infernale en ce moment ! Maeva subit quotidiennement les comptes-rendus de la maîtresse, avec au ventre la honte de si mal réussir là où elle excellait auparavant. Sur le chemin du retour, Maeva réexpliquera une énième fois à la petite fille qu’elle ne doit pas pousser ses petits camarades. Elle regarde l’enfant qui sautille gaiement sans avoir l’air de se soucier de ses remontrances… Elle se sent si impuissante…
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Lorsqu’Arnaud rentre le soir, il lui propose d’inviter son collègue à dîner, mais Maeva est si fatiguée, avec les grands qui multiplient les âneries et Lucas qui pleure de plus en plus… peut-être y a-t-il un lien d’ailleurs… Sait-on jamais… Mais bon, voir quelqu’un d’autre lui fera du bien. Le rendez-vous est pris pour la semaine suivante. Maeva mitonnera un bœuf bourguignon, une de ses spécialités. Et lorsque le collègue se présente à la porte, Maeva lui ouvre, Lucas dans un bras et une spatule dans l’autre. Elle le fait asseoir. De toute la soirée, elle n’entendra que les cris des enfants et le tintement des ustensiles de cuisine. Maeva se rend compte qu’elle n’a qu’à peine parlé au collègue d’Arnaud. Maeva se rend compte qu’elle ne parle plus à personne, qu’elle ne voit plus personne. Trop occupée par la maison et les enfants elle ne prend pas le temps de sortir revoir ses amies. Trop distraite par les va-et-vient des petits et les cris de Lucas, elle n’arrive plus à suivre une conversation téléphonique. Maeva ne s’est jamais sentie aussi seule. Et pourtant, pourtant elle n’a jamais ressenti autant d’amour que lorsqu’ils se jettent sur elle pour le câlin vespéral. Elle adore ce moment où elle sent leurs petits bras la serrer si fort, le chatouillis de leur souffle court sur la nuque. Et lorsqu’on leur demande ce qu’ils pensent de leur mère, et qu’ils répondent invariablement que c’est la meilleure maman du monde et qu’elle est très jolie, elle que la nature n’a pourtant pas particulièrement gâtée, l’émotion est intense. Elle se sent si mère dans leurs rétines, si bien. Maeva adore ces petits moments de tendresse calme où elle apprend chaque jour ce qu’est la plénitude, le bonheur. Elle en voudrait plus, elle se sent droguée à leur affection, droguée de ce lien si fort que jamais rien ne pourra briser. Quand, par bouderie, Line lui lance un vibrant « T’es plus ma maman ! » Maeva répond invariablement « Mais tu seras toujours ma fille ! ». Elle sait au fond d’elle que rien ne viendra détruire ce lien, qu’il est inscrit dans leur sang, dans leurs gènes, dans leur futur. Elle se sent tellement heureuse d’avoir pu créer une telle pérennité, si fière ! Comme elle est fière des carnets de notes que ramène Léandre, il a toujours été si précoce. Fierté qu’elle lui exprime jour après jour, la confiance en soi c’est important.
Un samedi de fête, Maeva a décidé d’emmener les enfants au parc d’attraction local. Tandis qu’elle promène Léandre dans la poussette, les grands s’admirent en riant devant les miroirs déformants. Maeva les regarde, à la fois réjouie et attendrie. Elle aime tellement les voir prendre du plaisir, s’amuser avec cette insouciance que seule confère la jeunesse. Pour le goûter, elle les laisse commander ce qu’ils veulent à la petite cafétéria du parc. Et tandis qu’ils dévorent leur glace, elle regarde autour d’elle en donnant le biberon à Lucas. Près d’eux, une jeune maman avec une petite fille et un petit garçon le nez couvert de chantilly. Elle sourit tout comme la jeune mère. Le tableau est si touchant, elle sait bien ce que doit ressentir la jeune femme, pour le ressentir elle-même si fort. A ce moment précis, elle ressent pleinement le caractère si universel de la maternité. Elle repose les yeux sur Léandre et éclate de rire, il a aussi de la chantilly sur le nez. Quant à Line, elle a déjà fini sa glace et joue à poser sa petite cuillère sur son nez. Maeva se retient de la gronder. Ce n’est pas grave après tout si elle se salit un peu. Maeva regarde Lucas, il vient de terminer son biberon, son air repus autant que béat en témoigne. Maeva sourit à ses enfants. Tout heureux, les ainés viennent l’enlacer. Et là, au milieu de ses bambins, Maeva se sent heureuse comme jamais. Leur joie, leur amour, leur tendresse la comblent bien plus que ses mots ne sauraient le dire. Elle ferme un peu les yeux. Quand l’amour maternel devient orgasme de l’âme.
Rouvrant les yeux, Maeva voit un jeune enfant déambulant avec cette démarche chaotique qui signe les premiers pas d’un tout petit, le passage à l’enfance. Elle regarde les siens avec un sourire, se remémorant leurs premiers pas à eux. Elle en avait pleuré, pour les deux. Sentiment étrange et enivrant, tout comme l’ivresse de liberté qu’ils semblent ressentir à ce moment, timides mais braves. Maeva en était émue rien que d’y penser, comme il avait été bon de les voir marcher, quitter l’univers nourrisson pour gagner celui des « petits grands »… Et lorsqu’ils avaient abandonné la couche, ou encore le biberon… ? Maeva sourit, si fière de ses bambins. Puis, un battement de cils… Elle décide de les emmener aux autos-tamponneuses qu’ils réclament depuis déjà quelques minutes. Et tandis qu’elle rabat la capote de la poussette pour protéger Lucas du soleil qui leur caresse doucement l’épiderme, Maeva regarde ses aînés s’élancer, ils sont si adorables dans leur impatience.