Identifier le contre-productif dans sa vie. Bretigny et Tesla.

"Plus on pousse, plus on recule". Nous avons tous connu cette situation dans notre vie. Ou plutôt les multiples situations tout au long de celle-ci.

On s'efforce de faire quelque chose de bien, de faire avancer les choses … et en fait, cela ne marche pas mais bien plus que cela, la situation se dégrade. On pensait avancer, en fait on recule à défaut de stagner.

Je ne vais pas reprendre les exemples vécus tous les matins dans le métro avec ceux qui rentrent dans le compartiment sans laisser sortir les sortants : ce sont des pressés qui jouent contre leur camp en ralentissant en final le départ du train. La question du respect d'autrui est posée, celle de leur intelligence collective est encore plus crue.

Mais ces "buts contre son camp", ces "balles dans le pied", ces "effets contre-productifs" se retrouvent dans des situations plus macroscopiques. Ce post donne deux exemples de cette pensée systémique qui fait défaut à bien des managers pour leur permettre d'atteindre une pleine efficacité opérationnelle.
Et les autres cas ne manquent pas, il suffit de penser au choix irréconciliables à court et moyen terme entre l'arrêt du nucléaire et la baisse des émissions de CO2. Au moins le débat est clarifié. Et il suppose des compétences fortes en théorie du chaos avec ses attracteurs étranges, en systèmique avec ses boucles temporisées, en don de soi pour éviter des batailles d'égos elles aussi ... contre-productives.

Train : "moins de morts" visé, "plus de morts" en résultats

Ce cas me semble exemplaire avec le contexte dans lequel on est actuellement suite à l'accident dans la gare de Bretigny/Orge. Et la suite va probablement être reproduite.
L'histoire se passe en Angleterre il y a une quinzaine d'années. La libéralisation des chemins de fer anglais vient d'être effective. Un accident arrive. Quelques morts. Grand émoi national. Fermes décisions prises par les autorités et la direction de l'opérateur ferroviaire local de pallier les défaillances manifestes constatées. Quelques centaines de millions de livre sterling sont investies pour la rénovation du réseau. Deux ans de travaux, de ralentissement des voies, de baisse de qualité de transport. Le service revient à la normale. Les travaux ont été couteux, une décision est prise d'augmenter les tarifs. Facteur aggravant, pas très habitués à patienter dans les embouteillages, une partie des usagers a choisi la moto comme moyen palliatif. Deux ans plus tard l'analyse est faite. L'augmentation des tarifs a conduit de multiples usagers à prendre leur voiture. Le bilan du nombre de mort indique une augmentation forte depuis. Et le résultat est surprenant : pour réagir et prendre en compte la dizaine de morts initiaux, c'est à dix fois plus de morts que l'ensemble des actions prises a conduit. On pousse dans un sens et on recule.
Bien sûr, l'analyse fait fi de la prise en compte de l'émotion, de l'obligation pour un politique de gesticuler et montrer son implication. Mais les faits restent. Et le choix éthique qu'ils sous-tendent n'est pas le plus simple à résoudre.
Appliqué à la SNCF, le calcul va être le suivant. Faisons une hypothèse de 1 milliard d'investissements annuel pour une remise à niveau. Le CA de la SNCF est stable à 33 milliards. Si le but capitalistique est d'avoir des comptes à l'équilibre, toutes choses égales par ailleurs, c'est une augmentation équivalente à 3% du trafic qui va être opérée. Qui va amener de nombreuses personnes à choisir des voies alternatives comme prendre sa voiture, faire du co-voiturage … toutes actions qui vont les exposer à la mortalité forte de la route.
Si c'est la sensibilité au prix est égale à l'augmentation, c'est 3% du milliard de voyages qui vont être fait par un autre mode de transport, soit 30 millions de voyages. Si on fait une hypothèse (de plus je sais) de 2 heures par voyage, cela fait une estimation de (30 millions de voyages x 2 heures /100 millions) x 25 morts par 100 millions d'heures de voyages = 15 morts de plus potentiellement.
A comparer aux 70 morts (dont 33 sur les passages à niveaux) constatés en 2013.

Tesla et la pollution en Chine.

Tesla est une superbe entreprise créée en 2003. Un nom magnifique qui est celui du Un concept clair et central pour la stratégie et les valeurs de l'entreprise : toutes les voitures seront électriques dans le futur. Et pas hybrides, purement électrique. La première voiture de série est lancée en 2008. Succès d'image immédiat, 1000 Roadster réservés. Il faut dire que la voiture exploite au mieux le couple dès la très basse vitesse permise par le moteur électrique : passage de 0 à 100 km/h en 3,7 secondes. 340 km d'autonomie pour une utilisation raisonnable. Et à ceux qui ont besoin de faire de longs trajets, la recharge rapide peut être faite en 45 minutes.
Depuis, un long chemin a été fait pour arriver en 2013 à une production de 30 000 Tesla pour le monde entier et une "gigafactory" (1 million de m2 = 100 hectares; 5 milliards de dollars) pouvant fabriquer jusqu'à 500 000 voitures par an est en cours de construction. Le but est d'industrialiser toujours plus la fabrication et de faire baisser des prix encore très élevés (zone des $100 000 pour tous les modèles).
La batterie des différents modèles pèse environ 500 kilogrammes. Mais chacune de ces batteries contient 50 kg de graphite. A titre de comparaison, une voiture hybride en contient environ 8, les ordinateurs portables une centaine de grammes et 10 grammes pour un téléphone portable.
L'accroissement des volumes de Tesla va doubler la demande mondiale de graphite ce qui va exiger l'ouverture d'une dizaine de nouvelles mines dans le monde. Tesla se retrouve de facto en concurrence directe avec Amazon (Kindle), Apple (iPad) et Samsung qui sont d'énormes consommateurs de graphique et tirés par des croissances très fortes de leurs ventes.
Le hic intervient ici : 80% de la production mondiale vient de Chine. Et cela créé la pollution que l'on connait sur des villes entières depuis maintenant 2-3 ans. La décision a été prise par le gouvernement, après la focalisation sur les émissions de plomb, les pluies acides … de lutter contre le brouillard et de fermer de multiples mines (une quinzaine depuis un an) avec une conséquence directe qui est l'augmentation de plus de 30% du prix du graphite sur les derniers mois (le marché mondial fait environ 20 milliards d'euros actuellement).
Et le paradoxe du "je pousse donc je recule" apparait ici dans toute sa force. C'est d'ailleurs plutôt un "nous poussons donc nous reculons" car la mise en place de l'utilisation d'énergies renouvelables et de nouveaux moyens plus propre de circulation induit à d'autres endroits de la terre une pollution sans commune mesure avec les améliorations apportées à un autre endroit.
Toute une branche de recherche s'est développé il y a une vingtaine d'année pour ces analyses systémiques (avec application comme Stella pour PC). Je ne peux que vous recommander le Macroscope de Joël de Rosnay pour approfondir le sujet. Quant à l'application de la pensée systémique aux relations sociales, c'est un autre pan de réflexion qui s'ouvre et qui n'a été qu'effleuré pour l'instant malgré quelques contributions significatives comme celle de Bateson avec l'application de la cybernétique à l'analyse des systèmes familiaux.
"Vaste programme" aurait pu conclure de Gaulle ...

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