2021 Année de la biotechnologie ?
Disruptions créatives dans la santé
Le Covid-19 ressemble de plus en plus à une guerre de tranchées plutôt que de mouvements. Comme les guerres, il agit comme un immense accélérateur pour l’innovation dans la médecine. La plupart de nos visions et de nos pratiques pré-pandémiques sont remises en question de façons très variées.
1- Double disruption digitale. La médecine se pratique de plus en plus en distanciation et donc en ligne. Le très haut potentiel de traitement, de stockage et de partages de données est illustré par Moderna qui a développé en 42 jours son vaccin à partir d’un code génétique reçu en Janvier de Chine par mail.
2- Disruption organisationnelle. Les grandes multinationales traditionnelles privilégiant une approche de masse à base de molécules chimiques ont dans l’ensemble déçu. En revanche, ce sont des petits laboratoires créés à partir d’ approches innovantes comme le messenger-RNA qui ont emporté la mise. Par ailleurs, le modèle économique traditionnel intégré est remis en question par les CDMO ( Contract Development and Manufacturing Organizations). Ces sociétés spécialisées dans la sous-traitance des grandes étapes de la chaîne de développement et de production de médicaments permettent aux laboratoires de se concentrer sur la recherche et l’innovation en externalisant tout le reste.
3- Disruption règlementaire. La pression de la pandémie, la nécessaire distanciation sociale, l’usage intensif des technologies de partages en ligne de données sur les hypothèses et les résultats des tests ont accéléré les processus administratifs et considérablement raccourcis les délais d’approbation de nouveaux traitements et vaccins.
4- Disruption géographique et logistique. Les différentes campagnes de vaccination et les centres de découverte et de production des vaccins reflètent une nouvelle distribution des savoirs et des compétences. Les zones périphériques comme la Chine, l’Inde ou la Russie en sortent renforcées. La vieille Europe semble à la traîne.
5- On pourrait continuer sans fin sur les différents types de disruption. En fin de compte, le principal facteur d’accélération est la prise de conscience politique : la médecine était la grande victime des réductions de coûts dus aux replis des politiques keynésiennes depuis quarante ans. Le Covid-19 l’a remise au milieu du village global. Le tempo thérapeutique était de fait imposé par les « blockbusters » lancés par les grandes multinationales. On s’oriente désormais vers des approches plus fines et ciblées construites sur un plus grand nombre de traitements fabriqués en plus petite quantité. Le simple coût d’un médicament n’est plus le seul critère. Les gouvernements se rendent compte que des médicaments biologiques plus chers que les traitements chimiques peuvent se révéler en étant plus ciblés, plus efficaces et en fin de compte moins couteux pour les politiques de santé. Les tests, le diagnostic, la prévention, parents pauvres de l’ancien système sont de retour avec un impact décuplé par les progrès de l’imagerie et du traitement et du partage des images et des données.
Du point de vue de l’investisseur, 2020 aura vu une redistribution massive d’anticipations et de valeur entre économie digitale et secteurs traditionnels. 2021 pourrait voir un phénomène similaire de destruction créatrice dans la santé. Le mouvement est engagé depuis six mois. Le marché avec parfois un excès d’optimisme patent revisite à grande vitesse tous les thèmes porteurs de la biotechnologie : en particulier le traitement des données, le diagnostic en ligne et la prédiction utilisée dans le cadre de la prévention, les tests. Les investisseurs essaient de chiffrer l’impact du déploiement et l’exploitation d’énormes bases de données réutilisables sur notre ADN, nos protéines, nos bactéries, etc.
Pour l’investisseur en innovation, la biotechnologie semble un secteur incontournable. Les propositions sont variées, multiples, complexes, éclatées et changeantes. Il n’y a pas comme dans la technologie un Amazon, un Zoom ou un Tesla, mais une foule de projets concurrents et difficiles à évaluer.
L'investisseur prudent pourra se rabattre sur les modèles de CDMO comme Lonza ou Fujifilm un nouvel entrant peu valorisé. De nombreuses sociétés paraissent risquées car "jeunes" sur le plan boursier et financier. C'est une vision en trompe l'oeil qui ne prend pas en compte le long historique de ces organisations qui apportent des années d'expérience et de recherche et de test dans de grands hôpitaux ou de grandes universités avec des bases de données riches, intelligentes et anciennes sur l'évolution des pathologies dans lesquelles elles sont expertes.
On y retrouve souvent un modèle économique de plateforme. Les capitaux sont investis dans la durée pour constituer des bases d’expérience et de savoir qui se transforment en rente financière. Dix ans de R&D sans le moindre revenu pour Moderna pour développer en 42 jours un vaccin dont les revenus se chiffrent en milliards. La même technologie sous-tend un tuyau de 24 nouveaux produits avec un fort potentiel dans des secteurs aussi variés que les vaccins contre le coronavirus, différents types de grippes, l’oncologie, les maladies rares et le domaine cardio-vasculaire.
Pour de nombreuses sociétés de biotechnologie, 2021 est le point de bascule de la recherche vers la vente de biens et de services et donc vers les revenus et les profits. Les valorisations paraissent tendues mais pas absurdes par rapport à ce qu’on a pu observer sur les sociétés de Software liées au cloud au début 2020 et les enjeux économiques sont d'une toute autre portée.