3 raisons de lire Le goût des autres de Frédéric Fougerat
Il est parfois difficile d’exprimer les raisons qui amènent les lecteurs à plébisciter une œuvre de l’esprit et à la garder à l’esprit comme un classique. Le goût des autres, les recettes d’un manager de Frédéric Fougerat appartient à une autre catégorie, celle où les raisons d’aimer et de plébisciter foisonnent, toutes aussi valables les unes que les autres, et il serait même déraisonnable de les limiter.
Et pourtant soyons déraisonnable… surtout après quelques nuits blanchies à se délecter de la prose de Frédéric Fougerat et plusieurs voyages en train rythmés par la lecture du goût des autres.
N’accusons pas le format des réseaux sociaux, où paraît cette recension, ni le besoin d’immédiateté qui caractérisent nos sociétés de part et d’autre du tropique du Cancer. Il me faut être déraisonnable pour partager ces 184 pages de réflexion sur l’entreprise et la gestion de son capital humain. Il me faut aussi être déraisonnable pour vous conduire à cette rencontre avec 30 ans de la vie professionnelle d’un des meilleurs Dircom (Directeur de la communication) de France et de Navarre.
De cette déraison organisée, 3 raisons émergent : celle de l’esprit (#1), du cœur (#2) et de l’humanisme (#3)
Raison #1 : Tous les chemins mènent à la compréhension du management d’entreprise
Subdivisé en six parties, Le goût des autres est un recueil de tribunes sur le recrutement, l’entreprise, les relations humaines, le management, la communication avec en bonus un Best of. Chaque partie peut se lire indépendamment les unes des autres. Cela ouvre au lecteur des chemins de lecture au gré de ses intérêts et de ses envies. Sans vouloir vous conseiller, mon chemin de lecture a commencé par la partie 5 sur la communication, un petit détour par le Best of, une halte pour prendre un thé et des biscuits, et s’est terminé les paupières lourdes au cœur de la nuit bruxelloise à la partie 3 sur les relations humaines débutant avec cette interrogation : « Je dis bonjour, suis-je normal ? » (p. 77). Vous voulez connaître la suite ? Je vous laisse deviner et tracer votre propre sentier.
Frédéric Fougerat s’appuie sur un triptyque simple et efficace : un titre accrocheur, une contextualisation du sujet et une réflexion portée par une longue expérience. Contenu et contenant sont mis au service d’une narration au ton parfois surprenant mais intéressant, docte mais jamais arrogant et avec des accents de vérité indéniables. Les termes techniques et acronymes sont expliqués lorsqu’ils sortent de l’entendement commun, le but poursuivi est de s’adresser au plus grand nombre, simplement et dans une langue riche. Frédéric Fougerat possède un savoir et un savoir-faire, et il sait le faire savoir.
Raison #2 : Vous n’êtes pas seul
Mouiller mon index et tourner les pages d’un livre n’a jamais été aussi rassurant. En effet, comment mettre le doigt sur des interrogations qui effleurent votre esprit sans jamais pénétrer votre conscience ? Par exemple, Faut-il humilier pour exister ? (p. 95-97) est un passage sur l’agressivité dans les relations humaines et la manière d’y répondre. Situation souvent rencontrée en entreprise, l’auteur réussit le pari de formaliser le problème et de proposer une solution.
Sans être une femme, et discutant assez souvent avec mon épouse sur les questions de genre (et d’autonomisation) dans les pays en développement, j’ai été touché par la réflexion de l’auteur sur la femme et le rapport à la langue dans l’entreprise : « Etre une femme n’est pas une option dans l’entreprise (…) c’est simplement une partie de l’identité de chaque personne, qui ne devrait tolérer aucune discrimination ». Et la discrimination est d’abord sémantique comme le fait remarquer Frédéric Fougerat en soulignant l’incohérence du refus de la féminisation des titres et des fonctions en entreprise.
« Diriger la communication d’une entreprise n’est pas un exercice démocratique. Il ne s’agit pas de chercher à plaire au plus grand nombre ou à créer un consensus autour de soi. Une bonne communication n’est pas d’ailleurs nécessairement celle qui va faire plaisir, mais celle qui sera efficace »
Ces deux exemples illustrent assez bien la première force de ce livre : l’expérience. Chaque tribune donne au lecteur une impression de déjà vu, ou de déjà entendu, et lui permet de s’arrêter un instant dans sa routine quotidienne pour apprendre, s’interroger, s’émouvoir et progresser. Etre ou ne pas être, là n’est pas la question. Frédéric Fougerat ne philosophe pas, il s’interroge et questionne le monde professionnel sur ses pratiques. Les interrogations soulevées par chaque tribune naissent de l’observation assidue de la pratique managériale aussi bien dans des PME que dans des groupes multinationaux.
S’interroger est un premier pas, répondre est une course et cela fait plus de dix ans que Frédéric Fougerat court. Il court vers les autres par métier comme le révèlent ses écrits et aussi par goût, celui de se coltiner l’humanité : on sent de la tristesse quand il raconte l’histoire de l’humiliation d’une collaboratrice par un directeur de la transformation (p. 95); on perçoit parfois de l’agacement quand il s’interroge : « Paraître idiot peut-il constituer une stratégie de communication ? » (p. 92) ; on comprend l’engagement et l’intelligence du propos quand il parle de RSE : « La RSE n’est ni pour, ni contre l’entreprise. Il s’agit concrètement pour l’entreprise de réduire son empreinte environnementale, d’améliorer ses standards sociaux et d’être à l’écoute des parties prenantes » (p. 50).
Il y a de l’expérience et de la bienveillance dans les propos de Frédéric Fougerat et chaque phrase, chaque paragraphe, chaque mot chuchotent à l’oreille du lecteur : « vous n’êtes pas seul ».
Raison #3 : des concepts universaux contextualisables
De Bruxelles à Kinshasa en passant par plusieurs pays de la région des grands lacs, j’ai rencontré dans ma pratique du droit et des relations publiques de nombreuses situations décrites dans Le goût des autres : le pouvoir qui change lors d’une démission, la gestion des créatifs,… Il n’y a pas de différences de nature entre les situations sous le soleil de Matadi et dans les tours de béton de Paris, plutôt de degré. Le véritable élément différenciant est la problématique du développement ou plutôt la confrontation quotidienne entre une mondialisation occidentale et des réalités africaines pour parler d’un continent où je vis.
« La RSE n’est ni pour, ni contre l’entreprise. Il s’agit concrètement pour l’entreprise de réduire son empreinte environnementale, d’améliorer ses standards sociaux et d’être à l’écoute des parties prenantes »
La responsabilité sociale des entreprises, c’est-à-dire « (…) la gestion des processus opérationnels de l’entreprise en vue d’avoir un impact positif sur la société » (p. 51), en est un bon exemple. En République démocratique du Congo, comme dans d’autres pays africains, la RSE est un véritable enjeu, loin des standards occidentaux, et vient parfois à pallier l’Etat notamment dans des domaines aussi essentiels que l’éducation ou la santé. La première enquête d’envergure en la matière a été rendue publique par le Groupe Orange pour sa filiale Orange RDC en mars de cette année. L’enquête menée par le cabinet Goodwill Management révèle qu‘Orange RDC et son écosystème contribue à 1,6% du PIB (chiffres compilés en 2016) soit 512 millions d’euros (et 309.062 emplois) dont 53 millions sont destinés aux programmes RSE.
Et pourtant avec un tel poids de la RSE dans le pays, comme je l’exprimais à la Semaine Belge de Kinshasa ce mois d’octobre, il existe un flou artistique entre ce qui est souhaité, proclamé et réellement exécuté. L’attitude positive d’Orange RDC et son discours grand public contraste avec des actions sociétales d’entreprises certes spectaculaires mais éphémères. La lecture a posteriori du Goût des autres me conforte dans les propos que j’ai tenus lors de cette conférence organisée par la Chambre de Commerce Belgo Congolaise Luxembourgeoise : la RSE est trop importante pour que l’entreprise ne s’y engage pas sérieusement (p. 50) et sans arrogance (p. 56).
En conclusion…
Frédéric Fougerat partage dans Le goût des autres plus qu’une réflexion sur le management. Il pose les bases d’une réflexion d’une part sur le rapport à l’autre et, surtout, d’autre part sur le rapport à soi en prenant pour contexte l’entreprise au sens plus général. C’est une interrogation sur soi et parfois sur une absence de soi : Peut-on manager sans générosité ? (p. 142). Il n’hésite pas à avoir des propos contre-intuitifs et tranchés comme dans le billet « Un directeur de la communication n’est pas un démocrate » où il écrit « Diriger la communication d’une entreprise n’est pas un exercice démocratique. Il ne s’agit pas de chercher à plaire au plus grand nombre ou à créer un consensus autour de soi. Une bonne communication n’est pas d’ailleurs nécessairement celle qui va faire plaisir, mais celle qui sera efficace » (p. 64).
Et à l’heure où je termine cette recension dans la fraîcheur d’une nuit ixelloise et referme Le Goût des autres, il me reste comme Ulysse la nostalgie d’un beau voyage.