3.1 RSE, Des opportunités commerciales et opérationnelles
Nombreuses sont les entreprises considèrent le Développement Durable comme beaucoup plus qu'un simple exercice RSE qui renforce la réputation en apportant de la valeur aux projets communautaires et environnementaux. Il s’agit pour elles d’ouvrir de nouvelles opportunités d'affaires grâce à l'innovation, générer des gains d'efficacité, attirer des talents, des clients et des investisseurs. Les dix-sept ODD de l’ONU tracent la voie pour les entreprises qui veulent faire évoluer leurs stratégies et passer d’une économie de marché à une économie d’écosystème. Les récompenses découlant de ces nouveaux modèles seront considérables pour les « business leaders », pour les communautés, partenaires économiques centraux, et pour la planète. Selon le rapport « Better Business, Better World » publié par la Business and Sustainable Development Commission[1], la réalisation des objectifs globaux laisse entrevoir 12 000 milliards de dollars d’opportunités de marché dans quatre des systèmes économiques examinés par la Commission : la nourriture et l'agriculture, les villes, l'énergie et les matériaux, la santé et le bien-être. Ils représentent environ 60% de l'économie réelle et sont essentiels à la réalisation des ODD. Pour saisir pleinement ces opportunités, les entreprises doivent poursuivre dans la durabilité sociale et environnementale aussi avidement qu'elles poursuivent leur part de marché et leur valeur pour les actionnaires. Si une masse critique d'entreprises se joint au mouvement maintenant et collectivement, une force imparable vers la transition se déploiera. Si elles ne le font pas, les coûts et l'incertitude d'un développement insoutenable pourraient gonfler jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de monde viable pour faire des affaires.
En « anticipant »[2] une pression croissante pour la durabilité de la part des régulateurs, des actionnaires, des consommateurs et des employés, un certain nombre d'entreprises et d'entrepreneurs prennent des mesures audacieuses pour se développer sur ces marchés à croissance rapide directement liés aux ODD. Beaucoup d’entre eux s’appuient sur les nouveaux modèles d’affaires, développés au cours de la dernière décennie, qui changent radicalement les règles du jeu. Ceux-ci peuvent être adaptés pour capter des opportunités de marché en ligne avec les objectifs globaux, environnementaux et sociaux, et les nouvelles stratégies naissantes de ces entreprises. Ces modèles incluent :
- L'économie de partage. En revendant, en donnant, en échangeant, en louant et en prêtant de l'aide, ces modèles étendent la durée de vie des biens consommateurs de ressources et réduisent la consommation de ressources car moins de demande.
- Le « Lean Management » vise, comme la démarche GPG, à détecter toutes les anomalies dans les process de l’entreprise qui peuvent nuire à sa performance globale. D’origine japonaise, ce modèle économique tend à éradiquer « les démons » de l’organisation du travail et s'attaque particulièrement à sept formes de gaspillage: « la surproduction, les attentes, les rebuts-retouches/corrections, les gammes et processus opératoires mal adaptés, les transports/ruptures de flux, les mouvements inutiles et les stocks (productifs ou administratifs), auxquels il faut ajouter un huitième gaspillage, qui est la non-utilisation des ressources intellectuelles du personnel »[3].
- L’économie circulaire. En adoptant une approche circulaire pour la conception, la fabrication et la réutilisation, les modèles commerciaux circulaires optimisent les ressources le plus longtemps possible et récupèrent et réutilisent les matériaux et produits usés.
- Le Big Data et le Machine Learning. Au moins 20 milliards de périphériques sont maintenant connectés à Internet et le volume de données capturées par les entreprises est en hausse ce qui génère naturellement de nouvelles opportunités de développement. Cependant, pour être totalement durable, ce développement devra pleinement prendre en compte le cycle de vie des périphériques et intégrer la gestion de l’énergie et des matériaux comme des enjeux majeurs.
- Les nouveaux modèles d'entreprises dont la stratégie repose avant tout sur la performance sociale ou environnementale.
En s’alignant sur les objectifs mondiaux de l’ONU, les entreprises qui prennent en compte ces nouveaux modèles de développement assurent une démarche de fond vertueuse pour leur pérennité et se prémunissent face à l’action réglementaire. En créant des bouleversements par l’intégration de la RSE dans leurs offres elles passeront d’un état d’anticipation de la demande à une réponse pertinente aux besoins des consommateurs.
Intégrer la RSE en suivant le principe d’amélioration continue est un moyen de s’assurer que les attentes parties prenantes sont bien prises en compte et que les réponses apportées par l’entreprise sont adaptées. En s’intéressant à la valeur étendue de son offre et moins à sa valeur ajoutée, l’entreprise déclenche des leviers de performance transverses qui peuvent impacter toute la chaine, de la production à la distribution. Les champs d’actions sont multiples et susceptibles d’une part, de séduire les consommateurs car l’entreprise agira au-delà du simple cadre économique et sera considérée comme un véritable acteur sociétal, et d’autre part, elle améliora ses processus et donc sa performance financière.
En ce qui concerne la logistique par exemple, les principaux domaines d’actions sont concentrés sur les choix des modes de transports qui peuvent être moins polluants (ferroutage au détriment de la route), la modernisation de la flotte de l’entreprise, la formation à l’éco-conduite. Mais il peut également prendre en compte le choix de l’implantation des plateformes relais qui, en plus de réduire les distances liées au transport et donc l’impact carbone relatif aux émissions de GES, peuvent améliorer la compétitivité de l’entreprise (accessibilité pour les clients, distribution facilitée par la présence d’embranchements ferroviaires). Engager une démarche RSE impliquera naturellement l’attention de l’entreprise sur l’amélioration de sa performance opérationnelle qui aura un impact, à la fois sur l’environnement (émissions et déchets) mais aussi sur sa performance économique (consommations de ressources par exemple). Le choix des matières répond également à une double logique, environnementale d’une part car il s’agira d’exploiter de moins en moins les ressources rares et polluantes au profit de matériaux recyclables et économique pour l’entreprise car les coûts d’exploitation seront réorientés à des fins plus profitables (R et D par exemple).
Au regard de la supply chain les champs d’actions sont également importants. D’autant plus aujourd’hui que les grandes entreprises maîtrisent mal les risques qui y sont liés. Dans un environnement économique globalisé, le recours quasi automatique à la sous-traitance rend opaque la vision de l’entreprise sur ses processus de production. Il en résulte souvent des comportements abusifs de la part de ces acteurs qui peuvent mettre en danger la pérennité de l’entreprise : droits humains, recours au travail forcé, travail des enfants, pratiques pouvant nuire à l’environnement etc. Les entreprises qui font le choix d’agir sur les processus liés à leur chaîne d'approvisionnement ont une plus grande transparence, intègrent plus profondément leurs filiales et unités de production, entretiennent une forte collaboration avec leurs parties prenantes, assurent une gouvernance solide et de ce fait sont plus compétitives. Cette maturité dans la chaine d’approvisionnement facilite la mise en œuvre de programmes d’offres responsables et contribue fortement à la maitrise des risques. Les avantages de l'impact socio-environnemental des entreprises sur les chaînes d'approvisionnement ne concernent plus seulement l'atténuation des risques, même si le sujet est central. Il s'agit aussi d'un changement structurel dans la façon dont les entreprises gagnent et conservent un avantage concurrentiel. Le défi pour l’entreprise sera de passer d’un état de conformité, lié à la réglementation, à une stratégie de durabilité plus holistique. Les entreprises qui ont intégré ce processus ont adopté la durabilité comme une mesure de l'excellence dans la performance de l'entreprise. La vision, qui se concentre d’abord sur la conformité et l'efficacité se déplace peu à peu vers des réflexions impactant directement la stratégie de l’entreprise et ouvre le champ à l’innovation de l’offre basée sur des pratiques durables. En passant à des stratégies plus holistiques, le chemin des coûts et celui de la différenciation créent un changement de paradigme où la rentabilité et les résultats socio-environnementaux sont considérés comme complémentaires, plutôt que contradictoires. C'est un triple avantage pour réaliser les bénéfices sociétaux, environnementaux, commerciaux et une victoire pour la société ainsi que pour l’entreprise. Pour faire l'analyse commerciale de ce triple avantage, les entreprises s’engagent au-delà des effets financiers à court terme en contribuant à la croissance des revenus sur le long terme, à la réduction des coûts, à l'amélioration de l’image de marque et à l'atténuation des risques. Les entreprises de premier plan ont franchi la première étape en passant de stratégies de « supply chain » axées sur l'efficience à des concepts plus transversaux qui stimulent simultanément la rentabilité et les avantages socio-environnementaux. Aujourd'hui, la mise en place de chaînes d'approvisionnement responsables est indispensable pour toutes les entreprises. Cela promet un (triple) avantage compétitif significatif et une performance commerciale plus élevée. À l'inverse, si négligée, les entreprises risquent d'être exclues du jeu lorsque les exigences du marché changeront.
La démarche de fond qui pousse les entreprises à développer des offres intégrant des critères ESG repose, au-delà de la spécification, sur une vraie dynamique structurée et formalisée par la direction de l’entreprise (plans d’actions, évaluations, plans de progrès par client/par marché etc.). Intégrée dans la vision et la culture de la structure elle permettra de démultiplier les performances positives de l’entreprise sur le long terme. Elle aura un effet direct sur les performances économiques puisque les anomalies auront été détectées, corrigées et sécurisées et que la démarche aura séduit une clientèle soucieuse d’entretenir des partenariats responsables. L’entreprise contribuera à son échelle au respect de l’environnement en identifiant les points critiques dans son activité qui vont à l’encontre de son Développement Durable au sein de son écosystème. Par cette prise de position forte, l’entreprise améliorera indéniablement sa réputation auprès de ses parties prenantes (internes comme externes). Elle attirera des talents qui s’identifieront à ses valeurs et dont les ambitions professionnelles sont de plus en plus marquées par l’envie de contribuer, par le travail, à un monde meilleur. Les consommateurs, rassurés par la qualité du produit ou du service, qui ne relève plus uniquement de l’usage, contribueront à nourrir l’immatériel de l’entreprise en se plaçant comme promoteurs de ses bonnes pratiques. Enfin, cette démarche vertueuse aura un impact significatif sur la valorisation financière de l’entreprise auprès des actionnaires et des fonds d’investissements.
En effet, d’après un article paru dans Option Finance[1], le capital investissement ou « private equity » s’intéresse plus profondément aux performances ESG des entreprises dans lesquelles il investit. La seule performance financière ne permettant plus à ces fonds d’intervenir sereinement dans l’actionnariat, l’analyse des performances sociales, environnementales et de gouvernance s’impose comme une condition d’entrée dans le capital[2]. L’engagement de l’entreprise dans des démarches RSE poussées (c’est-à-dire allant au-delà de la simple conformité réglementaire) constitue un atout non négligeable quand il s’agira de négocier les modalités de prise de participation. C’est ainsi que certains indicateurs, qui étaient au préalable complètement ignorés, s’intègrent progressivement dans les grilles d’analyses de ces investisseurs : turn-over, satisfaction des salariés, émissions de GES, dialogue avec les parties prenantes etc. Les mauvaises performances RSE sont ainsi directement liées à une mauvaise gestion de l’entreprise générant des postes de surcoûts et conduisent certains à finalement décider de ne pas investir. De plus, cette prise en compte des performances extra-financières dans les décisions d’investissement devrait s’accentuer dans les années à venir puisque l’art.173 de la loi TECV (loi pour la Transition Energétique pour la Croissance Verte) oblige, depuis 2015, les investisseurs institutionnels à indiquer la manière dont leur politique d’investissement intègre des critères ESG.
Aujourd’hui, certains cabinets de consulting comme PwC ont une réflexion autour de méthodes de « monétarisation » de ces données extra-financières. Cette approche, révélant des failles ou des avantages compétitifs, devrait pousser plus d’entreprises à s’engager dans des stratégies de développement intégrant la RSE. Si les sociétés de « private equity » peuvent démontrer que les ressources qu'elles allouent à l’analyse ESG génèrent de la valeur économique, elles seront susceptibles d'augmenter leurs efforts dans ce domaine et, en mettant un prix sur cette valeur, elles produiront de véritables avantages pour le secteur et au-delà.
[1] Option Finance nº1406, article publié le lundi 20 Mars 2017
[2] En 2015, les fonds d’investissement à moyen long terme ont exigé une due diligence en matière de RSE dans environ 40% des opérations de rachat, selon l’AFIC (Association Française des Investisseurs pour la Croissance)
[1] Schéma repris du dossier « Beyond Supply Chains, Empowering Responsible Value Chains », publiée par le Word Economic Forum en Janvier 2015.
[1] Rapport de la Commission des entreprises et du Développement Durable publié en janvier 2017
[2] Entre guillemets car elles ne font que lire le marché
[3] Source Wikipédias