Dépasser la RSE : l'entreprise comme espace de création de valeurs partagées.
Créer de la valeur, répondre à un besoin, mais pour qui et avec qui ?
Si ces questions trouvaient encore facilement des réponses il y a quelques années, force est de constater que cela n'est plus le cas. La montée des attentes sociétales d'une part conjuguées à la très forte accélération concurrentielle qui impose d'être de plus en plus agile soumettent les entreprises à une incertitude croissante et donc à un environnement de plus en plus complexe.
Déclinées sous la notion de RSE depuis plus de vingt-cinq, les attentes sociétales relatives à la gestions des impacts se sont muées en véritables injonction faite à l'entreprise de se saisir de enjeux communs pour y répondre dans une logique d'intérêt général. Quant à la concurrence, elle est désormais faite d'acteurs émergents de marchés encore inconnus qui s'avère en capacité de déstabiliser n'importe quel marché et de le réinventer.
Il en va donc de l'agilité comme de l'acceptabilité sociale de l'entreprise, deux facteurs désormais indispensables à sa compétitivité.
Ainsi, dans ce contexte le modèle d'une organisation fermée et exclusive semble quelque peu inopérant et s'avère inadapté pour gérer cette complexité croissante faite également d'horizontalité et d'interdépendance.
La perspective proposée ici, celle de l'entreprise espace, repose sur l'intégration du commun.
Une gageure si l'on pense que l'entreprise doit créer de la valeur actionnariale et qu'elle repose en grande partie sur la force de la vision de ses dirigeants et créateurs. Un réel déplacement s'impose mais quelles en sont les clefs ?
On se propose ici de dépasser certains concepts tel que la RSE pour élargir notre perspective en pensant l'entreprise comme un espace de création de valeurs partagées.
Concilier vision entrepreneuriale, valeur actionnariale, inclusion des parties prenantes et création de commun n'est pas sans paradoxe et implique d'élargir le champ de vision et donc celui des possibles.
Il s'agit de changer de paradigme en mettant de côté une vision trop rationnelle faite de processus et de silos pour laisser entrer toute la force de la pensée complexe dans nos modes d'actions, individuels et collectifs. Le terme complexe venant du latin cumplectere qui signifie tisser et nouer, la pensée complexe implique donc d'aller au-delà des apparentes oppositions pour tisser de nouveaux liens et découvrir de nouvelles cohérences créatrices de sens et repousser voire d'abolir les frontières préétablies entre les environnements économiques politiques, sociaux voire même psycholeptiques.
Quelles significations opérationnelles pour l'entreprise ?
L'entreprise est par définition portée par la vision de ses dirigeants et salariés, son activité repose sur une stratégie conçue et prévue à l'avance, ce qui fait sa force dans un système stable mais génère des risques dans un système en pleine mutation et dont la complexité augmente comme cela a été précédemment décrit.
Aussi, l'entreprise ne saurait faire l'économie d'une nouvelle approche, celle de l'espace sans forme préconçu ni modèle pré-établi. Un mode de pensée qui va au-delà du modèle économique, de management ou de production et qui touche aux interactions entre l'organisation et son environnement.
C'est ce que l'on nomme ici passer d'une organisation segmentale à une adaptabilité organique.
Il s'agit non pas de s'éloigner du réalisme favorisant l'efficacité et la performance mais au contraire de s'en rapprocher, dans la mesure où une organisation ne vaut que par la pertinence, la force et la qualité des liens qui en constituent la trame première.
Une forme de réalignement sur la réalité du monde, où les parties prenantes de la création de valeur sont de plus en plus imbriquées, partageant les mêmes référentiels et les mêmes modalités d'accès à l'information, : investisseurs, usagers et clients, collaborateurs de l'entreprise, citoyens.
Cette mutation se traduit également par une universalisation rapide des systèmes de valeurs, ayant un impact fort sur les représentations, les comportements et la culture.
Un changement de paradigme indissociable d'une culture d'innovation, de régulation et de développement de l'intelligence sociale.
Ce changement de paradigme donne l'opportunité, sans précédent si l'on regarde l'histoire des dernières décennies, d'un véritable réalignement de l'entreprise entre le pourquoi ? (le sens, la mission), le quoi ? (la nature de ses produits et services), le comment ? (ses pratiques internes et externes, son intelligence sociale, ses liens au monde).
Un tel réalignement met en jeu la relation avec l'ensemble des parties prenantes, depuis la gouvernance, l'exercice du leadership, jusqu'au management de l'expérience créée au quotidien.
Il suppose également des capacités permanentes :
- d'innovation non seulement dans le domaine des produits et des services mais aussi sur un plan organisationnel et humain, afin de projeter les parties prenantes dans un futur désirable,
- de régulation, afin de susciter et de maintenir des territoires de création de valeur partagées entre les parties prenantes, de transformer les divergences et les tensions en énergie positive,
- d'intelligence sociale, afin d'identifier et cartographier les aspirations, désirs et besoins des parties prenantes, de développer les liens sociaux qui rattachent celles-ci entre elles et à l'entreprise.
Ce changement de paradigme a beau être une forme de métamorphose, son secret est qu'il ne résulte pas d'une planification stratégique, mais de la combinaison d'une volonté de connaissance du réel et de la façon d'entreprendre ce changement..
- Une volonté de connaissance car tout procède d'une connaissance suffisamment large et profonde du réel (le leader doit être de plus en plus un "sage")
- La façon d'entreprendre ce changement ("the process is the message") : la mise en œuvre d'un exercice d'inclusion et d'alignement avec l'ensemble des parties prenantes (et non une réduction d'entre elles), la mobilisation de l'intelligence sociale et de l'intelligence collective, la prise de risque d'un leadership inclusif et agile, font se rejoindre le chemin et le but à atteindre.
Un tel exercice lui permettra de se mouvoir en souplesse dans l'incertitude et rester à l'écoute de signaux faibles tout en développant une vraie intelligence des situations. Elle lui permettra de créer des espaces susceptibles de faire émerger les possibles car vides d'idées préconçues.
Research & Innovation Director - President France Chimie IdF
5 ansExcellent article ! Bonne source d'inspiration. Merci Stéphane