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Absence d’indemnité d’occupation en cas de local inexploitable
Si le locataire n’a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n’est pas redevable d’une indemnité d’occupation.
le 3 décembre 2021
« Le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé » (C. civ., art. 1178, al. 2). La disparition rétroactive du contrat en cas d’annulation était déjà affirmée par la jurisprudence avant l’ordonnance du 10 février 2016 (Civ. 1re, 15 mai 2001, n° 99-20.597 : « Ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé », D. 2001. 3086 , obs. J. Penneau ; RDSS 2001. 780, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; ibid. 781, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux ; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis ). Privé, dès sa conclusion, d’une condition de validité, le contrat est dénué d’effet depuis l’origine. Son annulation a « pour effet de remettre les parties dans la situation initiale » (Civ. 1re, 4 avr. 2001, n° 99-11.488). Il est donc, en principe, nécessaire de procéder à des restitutions (C. civ., art. 1178, al. 3). La troisième chambre civile a cependant précisé, dans un arrêt rendu le 3 novembre 2021, qu’aucune indemnité d’occupation n’est due par le locataire lorsque les locaux mis à sa disposition sont inexploitables.
En l’espèce, une SCI, propriétaire de locaux commerciaux donnés à bail à une société, délivre à cette dernière un commandement de payer les loyers, visant la clause résolutoire inscrite au bail. La locataire assigne alors la bailleresse en opposition au commandement de payer, en annulation du bail commercial, et en indemnisation de son préjudice. En appel, la bailleresse sollicite, à titre reconventionnel et subsidiaire, une indemnité d’occupation.
La cour d’appel, après avoir prononcé la nullité du contrat de bail pour erreur sur la substance, condamne la bailleresse au paiement de 130 000 € à titre de dommages et intérêts. Elle affirme que la SCI a commis une faute en consentant un bail sur un local impropre à sa destination et en n’attirant pas l’attention du preneur sur l’insuffisance du réseau d’évacuation des eaux usées. Selon elle, le préjudice en lien de causalité avec cette faute « est constitué par l’engagement [par la locataire] de dépenses pour démarrer son exploitation » (pt 7). Elle retient à ce titre la somme de 100 000 €, correspondant au montant emprunté par la locataire pour financer les dépenses afférentes aux travaux d’aménagement, d’amélioration et de réparation du fonds de commerce. En outre, les juges du fond condamnent la locataire à payer à la bailleresse une indemnité d’occupation, considérant qu’« il importe peu qu’elle n’ait pu exploiter les locaux pris à bail, la bailleresse ayant été privée de la jouissance de son bien jusqu’à la remise des clés » (pt 12).
La société bailleresse forme un pourvoi en cassation. Elle considère que la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil, devenu l’article 1240 du même code, car seules les dépenses réellement engagées par la locataire pouvaient être prises en compte, et non l’intégralité des sommes empruntées (pt 5).
Dans son pourvoi incident, la locataire reproche, quant à elle, à la cour d’appel d’avoir violé l’article 1304 ancien du code civil. Elle soutient « qu’en cas d’annulation d’un bail commercial pour erreur sur la substance du fait que le bailleur a consenti sur un local impropre à sa destination contractuelle, le locataire qui, pour une raison indépendante de sa volonté, n’a pu bénéficier de la jouissance des lieux loués en raison de leur caractère inexploitable n’a pas à verser d’indemnité d’occupation » (pt 9).
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Sur l’appréciation du préjudice subi par le locataire
Concernant le pourvoi principal, la Cour de cassation casse, sans surprise, l’arrêt de la cour d’appel pour défaut de base légale, au visa de l’article 1382, devenu 1240, du code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice. Ce dernier est constamment réaffirmé par la jurisprudence depuis 1954 (Civ. 2e, 28 oct. 1954, JCP 1955. II. 8765, note Savatier), et les récents projets de réforme de la responsabilité civile proposent sa consécration (proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile, enregistrée à la présidence du Sénat le 29 juillet 2020, art. 1258 ; déjà, projet de réforme de la responsabilité civile, mars 2017, art. 1258). Comme le rappelle la Cour de cassation en l’espèce, ce principe signifie que « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit » (pt 6). Il importe donc d’apprécier in concreto le préjudice de la victime. Les juges du fond auraient ainsi dû rechercher le montant des dépenses financées par le prêt (pt 8), seul à prendre en compte pour la fixation des dommages-intérêts dus par la société bailleresse fautive. Retenir la totalité de la somme empruntée, sans vérifier son utilisation effective, conduirait à un enrichissement possible de la locataire.
Sur le versement d’une indemnité d’éviction par le locataire
Le pourvoi incident soulevait une question plus originale. Il est admis que des restitutions sont nécessaires pour replacer les parties dans leur situation initiale quand l’anéantissement du contrat est rétroactif et que ce dernier a déjà reçu un commencement d’exécution. Tel était bien le cas en l’espèce, s’agissant du bail commercial annulé. Rappelons que les restitutions ont lieu au profit de chaque contractant. Il importe peu que l’un d’eux ait commis une faute : le comportement fautif de la société bailleresse n’avait donc aucune incidence sur son droit à des restitutions. Cette règle est seulement écartée dans le cas d’une annulation du contrat du fait de la conduite indigne d’une partie, en vertu de l’adage « nemo auditur propriam turpitudinem allegans » (nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude), ce qui est très rare en pratique (v. encore Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 16-25.184, écartant l’application de cet adage en cas d’annulation d’un contrat pour illicéité, et non pour immoralité, Dalloz actualité, 11 oct. 2018, obs. D. Pelet, D. 2018. 1910 ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2018. 495, obs. Y. Dagorne-Labbe ).
Les restitutions doivent, en principe, avoir lieu en nature. Cela ne pose pas de problème, en l’espèce, concernant le loyer versé par le preneur. En revanche, comment restituer la jouissance des locaux mis à disposition par le bailleur jusqu’à l’annulation du contrat ? Le code civil, prenant en compte l’impossibilité matérielle de restituer les prestations de services déjà réalisées en nature, précise que « la restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie » (C. civ., art. 1352-8 ; déjà, Civ. 1re, 12 juill. 2012, n° 11-17.587, Dalloz actualité, 19 juill. 2012, obs. Y. Rouquet ; D. 2012. 2490, obs. Y. Rouquet , note H. Kenfack ; ibid. 2050, chron. C. Creton et B. Vassallo ; Rev. sociétés 2013. 301, note K. Rodriguez ; RTD com. 2012. 510, obs. J. Monéger ). Bien que l’ordonnance du 10 février 2016 ne vise expressément que les « prestations de service », la règle concerne également la mise à disposition d’une chose. On peut regretter que le code civil ne le dise pas expressément. En l’absence d’obligation de faire pesant sur le débiteur, il ne s’agit pas, à proprement parler, de services. Dans l’hypothèse d’un louage de chose, l’utilité est directement fournie par la chose mise à la disposition du locataire. Elle ne l’est aucunement par l’activité du débiteur. Au contraire, le service ne peut exister sans déploiement d’industrie (A. Cayol, Le contrat d’ouvrage, IRJS, 2013).
La jurisprudence affirme, de manière constante, que « la partie qui a bénéficié d’une prestation qu’elle ne peut restituer, comme la jouissance d’un bien loué, doit s’acquitter d’une indemnité d’occupation » (Civ. 3e, 24 juin 2009, n° 08-12.251 : restitution en valeur de la jouissance des locaux, Dalloz actualité, 2 juill. 2009, obs. Y. Rouquet ; D. 2009. 1823, obs. Y. Rouquet ; RTD com. 2009. 685, obs. B. Saintourens ). Comme le souligne encore la troisième chambre civile en l’espèce, « en cas d’annulation d’un bail pour un motif étranger au comportement du preneur, l’indemnité d’occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux » (pt 10).
Selon la locataire, le fait qu’elle n’ait pas pu jouir des locaux exclurait, cependant, le versement d’une indemnité d’occupation. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que l’absence d’exploitation effective des lieux n’est pas dirimante. Dans une décision rendue le 21 février 2019 (Civ. 3e, 21 févr. 2019, n° 18-11.109, AJDI 2019. 700 , obs. P. Haas ), tandis que les juges du fond avaient rejeté toute demande d’indemnisation aux motifs que le preneur n’avait « pas exploité les lieux loués dans l’attente de l’issue de la procédure en nullité du bail », la troisième chambre civile a cassé leur décision pour violation de l’ancien article 1304 du code civil, le preneur ayant bien bénéficié de la jouissance des lieux pendant quinze mois après la conclusion du bail. Autrement dit, le fait que le locataire ne profite pas de manière effective des locaux mis à disposition n’a aucune incidence sur le versement d’une indemnité d’occupation. Encore faut-il, toutefois, que les locaux soient exploitables. Peu importe alors la décision, volontairement prise par le preneur, de ne pas les utiliser, alors même que rien ne l’en empêchait.
La situation est fort différente dans l’arrêt commenté. Ce n’est pas par choix que la locataire n’a pas exploité les locaux loués, mais parce que ces derniers se sont révélés « impropres à leur destination contractuelle de “traiteur-restaurant-bar”, dès lors qu’en l’absence de réseau d’évacuation des eaux usées, cette activité ne pouvait y être exercée » (pt 9). Il en résulte qu’aucune indemnité d’occupation n’est due au bailleur, comme l’affirme clairement la Cour de cassation : « Si le locataire n’a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n’est pas redevable d’une indemnité d’occupation » (pt 11).
Notons, pour finir, qu’une telle indemnité ne doit pas être confondue avec l’indemnité de jouissance consacrée par le nouvel article 1352-3 du code civil, aux termes duquel « la restitution inclut […] la valeur de la jouissance que la chose a procurée ». Avant la réforme de 2016, un arrêt rendu en chambre mixte avait retenu la solution contraire (Cass., ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302 : « Le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble », D. 2004. 2175 , note C. Tuaillon ; AJDI 2005. 331 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2005. 125, obs. J. Mestre et B. Fages ). Les restitutions étaient censées avoir lieu, selon la formule de Carbonnier, comme un « contrat inversé ». Aucune indemnisation de la jouissance de la chose n’était due lorsque cette dernière n’était pas l’objet d’une obligation. La règle ne concernait cependant pas les contrats portant sur la mise à disposition d’une chose, la jouissance étant alors une prestation fournie en exécution du contrat.