Affaire trafic illicite d’armes vers la Côte d’ivoire
Y. Ladji BAMA, Le Reporter 17/9/15
La stratégie de l’amalgame volontaire au sommet de l’Etat !
bassoleDans Le Reporter N°141 du 1er au 14 mai 2014, nous évoquions le dernier rapport du Groupe des experts des Nations unies sur la Côte d’Ivoire. Lequel rapport épingle le Burkina Faso dans un trafic illicite d’armes vers ce pays, en violation de l’embargo qui le frappe depuis 2004. Le 2 mai 2014, l’Assemblée nationale interpellait le gouvernement sur la question. C’est le ministre des Affaires étrangères, Djibrill Yipènè Bassolé, qui est allé répondre. Comme il fallait s’y attendre, le patron de la diplomatie burkinabè s’est évertué à démentir le rapport des experts, qu’il traite à la limite de mensonger. Pourtant les faits sont très têtus. Les arguments de Djibrill Bassolé, visiblement dépourvus de consistance, n’ont convaincu que ceux qui voulaient se laisser convaincre.
Le rapport du Groupe des experts des Nations unies sur la Côte d’Ivoire est très précis. Des armes commandées par l’Etat-major particulier de la Présidence du Faso auprès de la société brésilienne CONDOR SA. QUIMICA, avec comme destination finale le Burkina Faso, ont été retrouvées en Côte d’Ivoire. Cette allégation est-elle fondée oui ou non ? Si oui, comment cela peut-il s’expliquer du moment où il est explicitement mentionné dans le certificat de destination finale, dûment signé des mains du chef d’Etat-major particulier de la Présidence du Faso, le général Gilbert Diendéré, que le matériel en question était exclusivement destiné au Burkina Faso et ne serait ni expédié, ni cédé à une tierce partie ? Face à des interrogations aussi lancinantes et précises, Djibrill Bassolé va, dans un premier temps, tenter de noyer le poisson dans l’eau. Il s’en prend aux experts qui auraient rendu public leur rapport par voie de presse, avant même de l’avoir soumis au Conseil de sécurité censé en avoir la primeur en tant que commanditaire et destinataire final. Ensuite, il se perdra dans une longue dissertation sans réel rapport avec les questions posées avant de conclure que les allégations formulées par les experts à l’encontre du Burkina Faso n’ont retenu l’attention du Conseil de sécurité. Il a fallu que le député auteur de la question rappelât à l’ordre l’illustre orateur pour qu’il revienne à l’objet du jour. Djibrill Bassolé finit par se lâcher. Il déclare sans ambages que les allégations des experts selon lesquelles le Burkina Faso aurait rétrocédé du matériel militaire à la Côte d’Ivoire ne sont pas vraies. « … je vous dis ce n’est pas vrai, ce n’est pas juste ». Affirme-t-il sans ciller. Mais Djibrill ne s’arrête pas là.
Là où Djibrill s’est fourvoyé !
gilbertGilbert Diendéré fait profil bas. C’est lui qui a commandé les armes retrouvées en Côte d’IvoireTout en promettant que le Burkina Faso va préparer son rapport global pour l’adresser et au Conseil de sécurité, et au Groupe des experts, il tente ce raisonnement : selon lui, si toutefois du matériel militaire burkinabè a été retrouvé en terre ivoirienne, toute chose qui reste, dit-il, à prouver, cela pourrait s’expliquer. Et l’explication qu’il en donne, la voici : suite à la crise postélectorale qu’a connue la Côte d’Ivoire en 2011, sur demande des nouvelles autorités ivoiriennes et avec l’autorisation de l’Assemblée nationale, le Burkina Faso a envoyé des hommes en Côte d’Ivoire pour prêter main forte aux forces armées ivoiriennes désorganisées du fait de cette crise. Ces militaires burkinabè, naturellement, ne se sont pas rendus en ces lieux les mains dans les poches. Comme tous les contingents du monde, soutient le ministre Bassolé, ils y sont allés avec un minimum de matériel susceptible de les aider à accomplir leur mission et susceptible d’être utile aux forces de défense qu’ils sont partis pour assister. « Que quelques lanceurs de grenades ou quelques minutions se soient retrouvés en Côte d’Ivoire, par ce fait-là, il n’y a pas violation de l’embargo, parce que la violation de l’embargo veut dire clairement que nous avons importé du matériel et nous l’avons par la suite délibérément envoyé en Côte d’Ivoire ». Martèle Djibril Bassolé, dans une impassibilité dont lui seul a le secret. Mais là où Djibril Bassolé s’est fourvoyé, c’est que le rapport des experts est très précis en termes de date et de chronologie des faits. Le matériel dont il est question dans le rapport a été livré au Burkina en août 2012. Les différents documents de la transaction entre CONDOR SA. QUIMICA et le chef d’Etat-major particulier de la Présidence du Faso le montrent à souhait. La crise postélectorale en Côte d’Ivoire dont parle Djibril Bassolé date de 2011. Comment du matériel livré au Burkina en 2012 peut-il se retrouver en Côte d’Ivoire dans les circonstances évoquées par Djibrill Bassolé. Cela n’est pas possible. En plus, lorsque Djibril Bassolé réclame des preuves sur la présence de matériel censé appartenir au Burkina en Côte d’Ivoire, quel genre de preuves veut-il encore ? Le rapport n’est-il pas assez éloquent et débordant de preuves ? Il est constant que le chef d’Etat-major a commandé du matériel militaire à la société CONDOR. Il est aussi constant que sur la liste de matériel annexée au certificat de destination finale signée des mains du chef d’Etat-major particulier de la Présidence, figure le matériel retrouvé par les experts en Côte d’Ivoire. Quelle meilleure preuve peut-on trouver en dehors de tout cela ? Il n’y a pas que ça.
Pas que du matériel non létal
Djibrill Bassolé affirme que le rapport des experts accuse le Burkina d’avoir commandé puis livré à la Côte d’Ivoire du matériel non létal. C’est à se demander s’il a réellement lu le rapport en question. Le rapport fait cas de matériel non létal mais aussi de matériel létal. « …le Groupe a été en mesure de confirmer que les 270 lanceurs de grenades non létales de type AM-600 (37 et 38 mm) et les 270 lanceurs de grenades létales et non létales de type AM-640 (40 mm) et les munitions connexes fabriqués par Condor non létal Technologies (enregistrée au Brésil) trouvés en Côte d’Ivoire avaient été vendus à l’origine aux services de la Présidence du Burkina Faso en août 2012… ». Le rapport est ainsi libellé sur cet aspect. Djibrill Bassolé fait-il l’amalgame à dessein ou est-il sous-informé ? Ensuite, lorsque Djibrill Bassolé soutient que le Conseil de sécurité n’a finalement pas retenu les allégations des experts à l’encontre du Burkina Faso, de qui tient-il ses informations ? Nous avons cherché à vérifier cette information en vain. A l’intéressé lui-même, nous avons vainement demandé un entretien pour avoir de plus amples précisions sur ses déclarations. En tous les cas, la résolution 2153 ayant sanctionné la séance du 29 avril 2014 du Conseil de sécurité est assez explicite. Dans cette résolution, sauf erreur ou omission de notre part, il ne ressort nulle part que le Conseil de sécurité récuse le rapport des experts. Bien au contraire, il est écrit que le Conseil prend note de ce rapport. Autre amalgame noté dans la sortie de Djibrill Bassolé, il soutient que les allégations des experts n’ont pas retenu l’attention du Conseil de sécurité, parce que ce type d’armes (non létales) ne fait plus partie du régime des sanctions du Conseil de sécurité vis-à-vis de la Côte d’Ivoire. Mais n’empêche. La levée de l’embargo sur le matériel non létal ne date que du 29 avril 2014. Les faits reprochés au Burkina datent d’avant cette date. Que dit le Burkina pour se disculper à ce sujet, au lieu de vouloir profiter fallacieusement de la brèche ouverte? Sans doute qu’il va falloir revenir avec un autre démenti. Celui-là n’en est manifestement pas un.
Enfin, un autre problème que soulèvent ces accusations du rapport des experts est cette contradiction au sommet de l’Etat. En réponse aux demandes d’explication des experts, l’Ambassadeur du Burkina auprès des nations unies avaient simplement affirmé que l’armée burkinabè n’utilise pas ce type d’armement. Son ministre lui confirme bien que le Burkina a bel bien commandé ces armes querellées. Mais il ne les a pas rétrocédées à la Côte d’Ivoire. Où se trouvent ses armes commandées par l’Etat-major particulier de la présidence du Faso. S’elles n’ont pas été envoyées en côte ni utilisées par l’armée burkinabè, où les as-t-on envoyées et à quelles fins ? Cette sortie de Bassolé, loin de rassurer les Burkinabè fait davantage planer des craintes légitimes. Car si la présidence du Faso peut commander des armes sans qu’on ne sache où elles se trouvent, l’on ne peut que d’inquiéter et exiger que toute la lumière soit faite. Celui qui dirigé cette opération est notoirement connu en la personne du chef d’Etat-major particulier de la Présidence. Il doit des explications aux Burkinabè. Le fera-t-il ? Affaire à suivre.
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Embargo sur le Burkina !
A en croire certains spécialistes, le Burkina Faso traîne une très sale réputation en matière d’armes. Cela à tel point que certains pays occidentaux auraient institué un embargo qui ne dit pas son nom contre ce pays qualifié à tort ou à raison d’ « Etat voyou », avec lequel tout commerce d’arme est pratiquement interdit. Les particuliers nationaux intervenant dans le domaine de l’importation d’armes, communément appelés armuriers, en savent quelque chose. Il est devenu très difficile, voire impossible, de commander des armes, même dans la légalité la plus absolue, de ces pays lorsqu’on est ressortissant burkinabè. A ce qu’on dit, la Turquie serait l’un des rares pays qui acceptent jusque-là de commercer avec le Burkina en matière d’armes. Il y aurait aussi la Chine et quelques Etats avec des exigences parfois trop contraignantes.