Apéro Start-up : Edition Spéciale
Comme vous l'avez compris, chaque soir du lundi au samedi, pendant cette période de confinement, Modjo Cosmetics met en avant un.e entrepreneur.e et sa start-up. Le dimanche, c'est un tout autre apéro qu'on vous propose. Margaux Susset, (quasi) avocate en droit des affaires, nous a fait le plaisir de répondre aux questions des entrepreneurs. Voici quelques unes des questions qui ont été posées et leur réponse :
Qu’est-ce qu’un brevet ?
L’INSEE définit le brevet comme étant un titre de propriété industrielle qui protège une innovation technique nouvelle, c’est-à-dire un produit ou un procédé qui apporte une solution technique à un problème technique donné.
Quel est l’intérêt de déposer un brevet ? Quels sont les droits conférés par le brevet ?
L’intérêt de déposer une demande de brevet est de 4 ordres :
- Avoir l’exclusivité d’utilisation sur votre invention : le brevet vous offre des droits exclusifs sur l’invention, ce qui vous permet de l’utiliser, la commercialiser pendant une durée maximum de 20 ans à partir de la date de dépôt de la demande de brevet.
- Avoir la possibilité d’exploiter votre brevet : si vous ne souhaitez pas exploiter vous-même le brevet, vous pouvez vendre ou concéder sous licence les droits de le commercialiser à une entreprise qui lui procurera des rentrées d’argent.Vous avez donc un monopole d’utilisation et d’exploitation sur votre invention brevetée.
- Interdire toute utilisation, fabrication, importation, ou toute autre exploitation de l'invention effectuée sans votre autorisation : Grâce aux droits exclusifs conférés par le brevet, vous pouvez empêcher des tiers d’utiliser / d’exploiter commercialement votre invention brevetée.Cette interdiction totale d’utilisation, de commercialisation de votre invention brevetée a pour conséquence de réduire la concurrence et d’accroître votre position prépondérante sur le marché.
- Poursuivre en justice toute personne et/ou organisme violant cette interdiction (action en contrefaçon, action en concurrence déloyale).
Plus encore, il convient de se demander quels sont le risques si un entrepreneur / société ne brevète pas son invention ?
- Un autre entrepreneur / société qui , même ultérieurement, met au point une invention avec le même procédé peut le faire breveteret exclure pour les 20 prochaines années votre entreprise du marché ou vous demander de vous acquitter d’une taxe pour usage de l’invention.
Il importe peu que vous ayez eu l’idée en premier et que vous déposiez après lui une demande de brevet. L’invention appartient au premier déposant et non au premier inventeur.
- Même sans déposer une demande de brevet, le concurrant pourra tirer profit de votre invention. En effet, si votre produit/service a du succès, votre invention ne passera pas inaperçue et de nombreux concurrents seront tentés de fabriquer le même produit / service et d’en tirer des bénéfices. Ces concurrents n’auront pas fourni les mêmes sacrifices que vous pour arriver au résultat mais pourront bénéficier de ses fruits au même titre que vous. Plus encore, les concurrents qui ont des moyens plus conséquents pour proposer le produit/ service en plus grande quantité pourront proposer aux consommateurs un prix plus attractif et ainsi vous voler des parts de marché.
Quelles sont les conditions de brevetabilité ?
Certaines conditions doivent être réunies pour que l’invention bénéficie d’un brevet. On dit que l’invention doit être brevetable.
Les conditions de brevetabilité sont énumérées aux articles L 611-10 et L 611-17 du code de la propriété intellectuelle.
Les conditions sont de 5 ordres :
- L’invention doit être éligible à une protection par un brevet
- L’invention doit être conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs
- L’invention doit être une application industrielle
- L’invention doit être nouvelle
- L’invention doit être le fruit d’une activité inventive
S’agissant de l’éligibilité à la protection par un brevet
Toutes les innovations ne sont pas éligibles à une protection par brevet .
Seules les inventions peuvent faire l’objet d’un tel titre.
Ainsi, les articles L 611-10, L. 611-16, L. 611-18 et L. 611-19 du CPI écartent de la brevetabilité certaines innovations sous prétexte qu'elles ne respectent pas le caractère d'invention :
- Les découvertes ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
- Les créations esthétiques ;
Les directives de l’OEB définissent la création esthétique comme exclue de la protection : « un objet dont la destination n’est pas de nature technique et dont l’appréciation est essentiellement subjective »(C. IV.2.3.4).
- Les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs ;
- Les présentations d’informations ;
- Les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic ;
- Les races animales, les variétés végétales, les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux et les produits exclusivement obtenus par de tels procédés.
Ces innovations qui ne sont pas brevetables peuvent malgré tout être protégées, par exemple, par le biais du droit d’auteur ou celui du dépôt des dessins et modèles.
S’agissant de la conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs
« Ne sont pas brevetables les inventions dont l'exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, cette contrariété ne pouvant résulter du seul fait que cette exploitation est interdite par une disposition législative ou réglementaire » (L 611-17 CPI).
L'article 6-2 de la directive no 98/44 du 6 juillet 1998 donne une liste non limitative de telles inventions :
- Les procédés de clonage des êtres humains,
- Les procédés de modification de l’identité génétique de l’être humain ;
- Les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ;
- Les séquences totales ou partielles d’un gène prises en tant que telles.
S’agissant de l’application industrielle
« Une invention est considérée comme susceptible d'application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d'industrie, y compris l'agriculture» (L 611-15 CPI).
L’invention doit être susceptible d’application industrielle, c’est-à-dire qu’elle doit pouvoir être fabriquée ou utilisée quel que soit le type d’industrie. Les inventeurs doivent pousser leurs travaux jusqu’à leur donner des applications pratiques / réalisations concrètes.
S’agissant de la nouveauté (L 611-10 1° CPI)
L’invention est considérée comme nouvelle lorsqu’elle n’est pas comprise dans l’état de la technique(L 611-11), c’est-à-dire qu’une innovation équivalente n’a pas déjà été rendue accessible au public(quel qu’en soit l’auteur, la date, le lieu, le moyen et la forme de cette présentation au public).
Si une invention a déjà été divulguée avant la date de dépôt de votre demande de brevet, vous ne pourrez pas obtenir de protection.
On parle de nouveauté absolue(dans le temps et dans l’espace), puisque toute les antériorités sont opposables.
Sauf :
- Divulgation frauduleuse d’un partenaire tenu à une obligation de confidentialité ;
- Présentation de l’invention dans une « exposition officielle » (difficile à définir, très rare).
Dans ces circonstances, l’inventeur dispose d’un délai de 6 mois pour déposer sa demande de brevet.
Mais a contrario, une invention peut être nouvelle, bien que déjà connue de certains tiers si ceux-ci ne l’ont pas rendue publique.
Conséquences :
- Jusqu’au dépôt, vous devez garder un secret absolu sur votre invention, au risque de vous voir opposer un défaut de nouveauté.
- Jusqu’au dépôt, dans le cadre de négociations commerciales, vous devez vous protéger contre le risque que votre partenaire divulgue votre invention (Faire signer un accord de confidentialité, Enveloppe Soleau).
S’agissant de l’activité inventive
« Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas d’une manière évidente, de l’état de la technique » (L 611-14 CPI).
L’invention ne doit pas découler de manière évidente de la technique connue par “l’homme du métier” (praticien normalement qualifié, au courant de ce qui formait les connaissances générales communes dans la technique, à la date du dépôt).
Il n’existe pas de critère unique d’appréciation du caractère inventif –faisceau d’indices appréciés par la jurisprudence et l’OEB :
- Par rapport à la réaction normale de l’homme du métier face aux changements qui peuvent être apportés par l’invention ;
- Le constat que l’invention permet de vaincre un préjugé ou de surmonter une difficulté ;
- L’effet nouveau et surprenant ;
- L’avantage inattendu ;
- Le succès commercial.
Quelles sont les étapes clés du dépôt de brevet en France ?
1. Vérifier l’état de la technique (nouveauté : demandes de brevet ou brevets antérieurs, publications, articles, divulgation sur internet, etc.) et gardez le secret sur votre invention ;
2. S’assurer que l’innovation est brevetable ;
3. Déposer la demande de brevet : Cerfa n°11354*07 + description sur papier libre, revendications sur papier libre, abrégé sur papier libre et dessins sur papier libre.
Revendications : Les revendications, formulées de manière claire et concise, indiquent en quoi consiste l'invention et l'étendue de la protection revendiquée. Elles définissent l'invention au sens juridique.
4. L’INPI vous remet un numéro d’enregistrement et vous l’adresse dans les jours qui suivent la réception de votre demande (récépissé envoyé par mél).
5. L’INPI effectue ensuite un examen de recevabilité de votre demande. C’est un contrôle minimal visant à vérifier, notamment, la nature de votre demande (brevet ou certificat d’utilité) et que votre dossier comprend au minimum :
· votre identification
· la redevance de dépôt
· la description de votre invention
· au moins une revendication
Si l’un de ces éléments n’est pas fourni au dépôt, l’INPI vous invite à compléter le dossier dans un délai d’un mois. Votre date de dépôt n’est établie que lorsque votre dossier est complet.
6. L’INPI transmet votre demande pour examen à la Défense nationale ;
7. L’INPI examine votre demande ;
8. L’INPI vous adresse le rapport de recherche préliminaire et un avis sur la brevetabilité de votre invention ;
9. Vous répondez aux documents cités dans le rapport de recherche ;
10. L’INPI publie le dépôt de votre brevet au Bulletin officiel de la propriété industrielle.
Votre demande de brevet est publiée par l’INPI et donc rendue publique, 18 mois après le premier dépôt de celle-ci, que le premier dépôt ait été effectué à l’INPI ou auprès d’un office étranger.
11. L’INPI vous transmet d’éventuelles observations.
Dans les 3 mois qui suivent la publication au BOPI, toute personne concernée peut adresser des observations à l’INPI et citer d’autres documents qui n’apparaissent pas dans le rapport de recherche préliminaire.
Si votre demande de brevet fait l’objet d’observations, l’INPI vous en avertit via votre compte procédures et par courrier.
12. Vous répondez aux éventuelles observations ;
13. L’INPI établit un rapport de recherche « définitif » ;
14. Vous payez la redevance de délivrance et d’impression du fascicule du brevet ;
15. L’INPI délivre le brevet, vous adresse un exemplaire et publie la mention de la délivrance au BOPI.
Le délai moyen de délivrance des brevets par l’INPI est de 27 mois.
A savoir : une réduction de 50 % sur les principales redevances de procédure est accordée aux personnes physiques ;
- aux PME de moins de 1 000 salariés, dont le capital n’est pas détenu à plus de 25 % par une entité ne remplissant pas ces premières conditions ;
- aux organismes à but non lucratif (OBNL) du secteur de l’enseignement ou de la recherche.
Les PME et OBNL doivent en faire la demande dans le délai du paiement de la redevance de dépôt (1 mois au maximum) en joignant une attestation d’appartenance à l’un de ces cas.
Quels sont les différents types de brevets en fonction du champ de protection ?
L’entrepreneur / société doit réfléchir à l’ampleur de la protection géographique souhaitée pour le brevet sur son invention :
· Le dépôt de brevet français ne protège que sur le territoire français. L’invention pourra donc être copiée dans les autres pays sans aucune autorisation ;
· Le dépôt de brevet dans chaque pays qui intéresse l’entrepreneur ;
· Le dépôt de brevet européen : par une demande unique auprès de l’office européen des brevets (OEB), l’entrepreneur peut obtenir un brevet européen qui protège l’invention dans les pays européens visés dans la demande.
Repose sur la Convention sur le brevet européen de 1973.
Bientôt l’entrée en vigueur du brevet européen unitaire (attendu pour la fin d’année 2020) issu des règlements européens n° 1257/2012 et 1260/2012 du 17 décembre 2012.
Le coût de dépôt du brevet européen est de 210 € (format papier) ou de 120 € (dépôt en ligne).
La recherche européenne coûte 1 300 €.
Des annuités doivent être payées pour maintenir le brevet européen en vigueur ; elles s'échelonnent de 470 € la 3ème année à 1 575 € la 10ème année (et suivantes).
Un examen de la demande coûte 1 635 €.
· Le dépôt de brevet international : par une demande internationale unique auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), l’entrepreneur peut obtenir un brevet à portée mondiale.
Repose sur le Traité de coopération en matière de brevets (Patent Cooperation Treaty) de 1970.
Le coût d'une transmission de demande de brevet international est de 62 €.
Le coût du dépôt est de 1 163 € (dépôt papier) ou de 988 € (dépôt électronique).
Le coût de la recherche internationale est de 1 875 €.
Les montants sont susceptibles d'évolution et sont communiqués à titre indicatif.
Quelle est la durée de vie d’un brevet ?
La durée de protection maximale est de 20 ans à compter de la date de dépôt de la demande de brevet ( !!! non de la date d’obtention du brevet).
Pour que le brevet se maintienne pendant cette durée de 20 ans, son titulaire doit s’acquitter d’une taxe annuelle appelée « annuité ». Le coût d’une annuité varie en fonction du nombre d’années et des réductions applicables.
Contrairement à la marque, il n’est pas possible de renouveler ad vitam aeternam la demande de brevet. Passé cette durée de 20 ans ou lorsque les annuités ne sont plus payées, le brevet tombe dans le domaine public, c’est-à-dire que l'invention qu'il protégeait ne bénéficie plus de protection et que toute personne peut l’exploiter librement.
Un grand merci à toi Margaux pour toutes ces précisions, je suis persuadée que cela aidera de nombreux entrepreneurs !