ARCOM, CNEWS  : des commentaires plus sages ?


Une autre lecture de la décision du Conseil d'Etat

ARCOM, CNEWS : des commentaires plus sages ? Une autre lecture de la décision du Conseil d'Etat




La décision du Conseil d'Etat relative au pluralisme et à la transparence de la presse rendue le 13 février 2024 mérite-t-elle cet excès d'honneur pour les uns et cette indéniable indignité pour les autres ? En France, la situation est loin d'être inédite . Déjà en 1982, pour une réforme célèbre avec la saisine d'une autre juridiction, les neuf Sages de l'aile Montpensier du Palais royal avaient sans doute fort involontairement déclenché un torrent d'éloges et de critiques à propos des nationalisations.

Mais un grand juriste avait alors écrit dans un article intitulé « Ni lu, ni compris » (1) : « L’accueil fait à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 janvier 1982 a de quoi surprendre : elle a soulevé l'enthousiasme de ceux dont elle condamnait, pour l'essentiel, l'argumentation et la hargne de ceux auxquels elle donnait largement raison. Les uns et les autres paraissent n'avoir été sensibles qu'aux conséquences pratiques immédiates de la décision... » . Si Jean RIVERO se montrait par la suite sévère sur les différents commentaires ayant accompagné cette décision relative à la loi de nationalisation (2), il recommandait fortement un niveau exigeant de lecture : « Tant pis pour ceux qui se sont refusés à cet effort. A ceux qui l'entreprennent, il apporte, outre le plaisir inhérent à la lecture, même critique, une décision à la fois subtile et ferme, riche en substance juridique jusque dans ses incidentes, des éléments d'un exceptionnel intérêt tant sur le principe même des nationalisations que sur leurs modalités les plus importantes ».


Ce commentaire est-il transposable pour d'autres décisions et notamment pour la décision présente du Conseil d'Etat n° 463162, association Reporters sans frontières ?


Avant d'y répondre directement, le rappel d'une décision dans un autre registre peut être éclairant. Ainsi, dans un passé pas si lointain, la Haute Juridiction avait déjà suscité les reproches de certains relativement à sa jurisprudence sur les crèches de Noël. Le 9 novembre 2016 , les Sages du Palais Royal avaient en effet estimé qu'il convenait de tenir compte, entre autres, de l'absence de prosélytisme, des conditions spécifiques de l’installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux et du lieu de l'installation. En substance et avec les réserves qui s'imposent , le Conseil d'Etat (3) distinguait d'une part l'installation d'une crèche dans un bâtiment public comme une mairie, potentiellement attentatoire au principe de neutralité et d'autre part, l'installation dans un autre bâtiment public revêtant davantage un caractère festif et pouvant dés lors être admise.


Cette position conciliant différents principes, comme la neutralité et la laïcité, a pu heurter certaines croyances et sensibilités mais la Haute Juridiction n'a-t-elle pas anticipé d'autres revendications et requêtes probables dans le champ religieux ? Autrement dit, en statuant sur un cas particulier et sensible , le Conseil d'Etat n'a-t-il pas emprunté la voie de la sagesse en évitant à l'avenir une législation trop répressive au bon vouloir de majorités de circonstances ?

La décision d'aujourd'hui concernant le pluralisme et l'indépendance de la presse remonte à novembre 2021. L'association Reporters sans frontières saisit l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) d'une demande de mise en demeure de la chaîne CNews, lui reprochant ses « manquements à ses obligations légales d'honnêteté, d'indépendance et de pluralisme de l'information » . L'Arcom ne pas fait droit à cette demande . En avril 2022, l’association Reporters sans frontières saisit le Conseil d'État en critiquant « l'inaction de l'Arcom » face aux « manquements de CNews ».

Contrairement à certaines affirmations, certains moyens soulevés par l'association requérante, et non des moindres, ont été écartés. Ainsi, le cadre législatif français, notamment la loi du 30 septembre 1986 érigeant l'Arcom comme autorité garante du respect des obligations d’honnêteté , de pluralisme et d'indépendance de l'information est conforme tant à la Constitution du 4 octobre 1958 qu'à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment à son article 10. De même, l'association « Reporters sans frontières » reprochait à l'ARCOM son inaction face au service d'information de CNEWS et à l'exigence d'honnêteté de ce dernier. Le Haute Juridiction explicite la convention d'autorisation signée par la chaîne, relève la présence d'émissions ou de journaux et de bandeaux d'information ne remettant nullement en cause la qualité de l'information. Quant au grief tiré de la méconnaissance de l'exigence d'honnêteté, les éléments produits sont insuffisants pour prouver une telle allégation, formulation pédagogique des Sages pour expliquer les principes de l'Etat de droit à une association initialement créée pour promouvoir , garantir et défendre la liberté de la presse.

En définitive, il semble que ce soit l'injonction adressée à l'autorité de régulation de réexaminer le respect des obligations d'indépendance et de pluralisme dans un délai de six mois qui ait cristallisé tant les réserves que les satisfecits. Le Conseil d'Etat explique ainsi sur son site que, « pour assurer l’application de la loi, l’Arcom ne doit pas se limiter au décompte des temps de parole des personnalités politiques. Suivant des modalités qu’il lui appartient de définir, l’Arcom doit veiller à ce que les chaînes assurent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités. ». On relèvera avec bonheur l'expression "dans le respect de leur liberté éditoriale" ainsi que le terme choisi d' "interventions". Il n'est pas fait état de l'opinion politique personnelle de l'intervenant, le vote est constitutionnellement secret selon l'article 3 de la Constitution (4). On notera aussi la précision rappelée par la plus haute juridiction administrative selon laquelle " le régulateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans l’exercice des prérogatives qui lui sont conférées par la loi" . Il n'y a pas de déclaration plus élégante pour signifier à tous les médias, qu'il vaut mieux s'occuper du respect du pluralisme chez soi que de vouloir donner des leçons de démocratie aux autres.

Reste que l'ARCOM rendra une décision d'ici à six mois avec ses critères sans doute mesurés. Si les parangons de la liberté de la presse, y compris l'association Reporters sans frontières , conteste la décision de l'Autorité et exerce un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat, certaines chaînes d'information en France auront quelque souci à se faire sur une étude cas par cas avec un examen exhaustif … Mais les Sages et les bienveillants savent qu'il faut raison garder, il est d'autres principes nationaux comme communautaires tels la non-discrimination, la liberté de la presse sans oublier l'adage célèbre que les médias du Monde et de l'Humanité sont loin d'ignorer "sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur... ".


(1) : RIVERO Jean, « « Ni lu, ni compris » », Actualité juridique. Droit administratif, 1982, pp. 209-214.

(2) : Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.

(3) : Conseil d'État, Assemblée, 09/11/2016, 395223

(4) : Constitution de 1958, article 3 , al.3 : "Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret."










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