Asie. Comment (vraiment) comprendre la crise « rohingya » ? Martin MICHALON sur Diploweb.com
Camp de déplacés « Rohingya » à Sittwe, la capitale de l’état d’Arakan - Diploweb

Asie. Comment (vraiment) comprendre la crise « rohingya » ? Martin MICHALON sur Diploweb.com

L’auteur nous donne ici les clés pour mettre en perspective dans le temps et dans l’espace la crise "rohingya". Les « Rohingya » sont des musulmans originaires de l’actuel Bangladesh et installés en Birmanie jusqu’à s’en trouver chassés récemment.

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DEPUIS fin août 2017, l’armée birmane mène une sévère répression contre la minorité musulmane « rohingya » dans l’ouest de la Birmanie, poussant 625 000 d’entre eux à fuir au Bangladesh. La visite du Pape en Birmanie et au Bangladesh fin novembre 2017, a amené cette question au cœur de l’actualité. Sur les réseaux sociaux, la mobilisation et les levées de fond de la Love Army, groupe de youtubeurs français engagés, ont aussi donné une forte visibilité à ce conflit. Il est cependant nécessaire de retracer les tenants et les aboutissants de cette crise, qui touche en pays engagé dans une transition démocratique inachevée.

En effet, après un demi-siècle de dictature militaire (1962-2010) et cinq ans d’un régime de transition, les élections générales birmanes de 2015 marquent un tournant. Le parti d’opposition historique, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), et son emblématique dirigeante Aung San Suu Kyi accèdent au pouvoir. Cependant, la constitution militaire de 2008 réserve toujours à l’armée les ministères de la défense, de l’intérieur et des frontières. Elle nomme également 25 % des députés, hors de toute élection. Or, pour modifier la constitution, il faut plus de 75 % des votes à l’Assemblée : l’armée dispose donc d’une minorité de blocage. Dans ce contexte, le Senior-Général Min Aung Hlaing est le véritable homme fort du pays : c’est lui, et non Aung San Suu Kyi, qui a l’initiative militaire.

La « question rohingya », un sujet de tension ancien

Les « Rohingya » sont des musulmans originaires de l’actuel Bangladesh et installés en Birmanie, dans l’Etat d’Arakan à l’ouest du pays. Il est établi qu’à l’ère précoloniale, il existe une communauté musulmane active en Arakan, bien que les sources à son sujet manquent. Sous la domination britannique, la Birmanie est incluse dans l’Empire des Indes, favorisant les circulations depuis les deltas du Bengale vers les plaines rizicoles de l’Arakan. L’ethnie arakanaise a longtemps entretenu des rapports tendus avec l’ethnie majoritaire bamar (les Birmans au sens ethnique du terme) et le gouvernement central. Aujourd’hui encore, les Arakanais dénoncent la mainmise des Bamar sur leur territoire et ses ressources ainsi que la politique de « bamarisation » culturelle qui a longtemps prévalu. Ce ressentiment des Arakanais, qui se considèrent eux-mêmes comme une minorité opprimée, joue un rôle central dans la « question rohingya ».

A l’exception d’une seule mention en 1799 – assez controversée : ici et  – le terme « Rohingya » est en réalité assez récent. Il ne serait apparu que dans les années 1930, et se serait généralisé dans les années 1950. Pour l’historien J. Leider, l’auto-désignation des « Rohingya » en tant que tels est à lire selon une perspective politique. En effet, en 1948, après l’indépendance, les musulmans d’Arakan se sont retrouvés du mauvais côté de la frontière entre Birmanie et Bangladesh. Ils n’ont alors eu d’autre choix que de se tailler une place dans la jeune Birmanie indépendante… par le biais de l’ethnicité.

Le terme même de « Rohingya » participe de ce processus d’ethnogenèse.

En effet, en Birmanie, le politique passe par l’ethnique : pour exister, il faut faire partie des 135 groupes ethniques officiellement déclarés comme autochtones. Les habitants d’origine chinoise, indienne ou népali n’ont qu’une citoyenneté de second rang. Depuis les années 1950, les musulmans d’Arakan tentent donc de se ménager une place en se revendiquant comme la 136ème « race nationale ». Ils mettent donc en avant l’ancienneté de leur présence, s’appuyant sur des mythes fondateurs parfois sujets à caution. Ils insistent également sur leurs spécificités culturelles, linguistiques et religieuses par rapport à leurs homologues bangladais. 

Le terme même de « Rohingya » participe de ce processus d’ethnogenèse : il signifie en effet « Arakan » en bengali, et met l’accent sur un ancrage local, et donc birman. A l’inverse, les Birmans réfutent cette appellation et les désignent comme « Bengali », insistant sur leur région d’origine, et donc sur leur statut d’immigré. Cette vision est réfutée par les Bamars, mais aussi par l’essentiel des minorités ethniques de Birmanie, au premier rang desquelles les Arakanais. Pour eux, l’identité « Rohingya » serait une construction, un leurre que les musulmans d’Arakan utiliseraient pour s’imposer en Birmanie. Son utilisation par la communauté internationale ne ferait que légitimer une imposture.

Dès les années 1940, des tensions opposent communautés bouddhiste et musulmane en Arakan. Lors de la guerre civile au Pakistan Oriental (1971), de nombreux Bangladais prennent alors refuge en Arakan. En 1978, l’armée birmane lance l’opération Naga Min (Roi des Dragons), visant à contrôler le statut de ces populations. Très brutale, elle pousse 200 000 réfugiés vers le Bangladesh, mais Dacca leur refuse toute assistance. Les autorités birmanes acceptent leur retour, à condition qu’ils s’installent dans les Townships de Buthidaung et Maungdaw, le long de la frontière bangladaise. Cette volonté d’homogénéisation du peuplement et de concentration des « Rohingya » est restée une constante.

En 1982, la junte birmane impose la « loi de citoyenneté ». Bien qu’elle ne vise pas directement les « Rohingya », elle a pour effet de les priver de la citoyenneté birmane. Vivant en Birmanie depuis parfois plusieurs générations, ces derniers ne sont pas reconnus par le Bangladesh : ils deviennent donc apatrides. En 1991, la Tatmadaw (l’armée birmane) lance une seconde opération violente en Arakan, forçant 250 000 « Rohingya » à prendre refuge au Bangladesh. Les gouvernements birman et bangladais négocient leur retour en Arakan, où ils sont confrontés aux violences et aux extorsions de la Na Sa Ka, milice de garde-frontières.

Dans le même temps, le militantisme armé pour l’autonomie de l’Arakan « rohingya », engagé à la fin des années 1940, se poursuit dans les années 1970. A partir de la loi sur la citoyenneté de 1982, le combat territorial se double d’une lutte pour la reconnaissance des droits des « Rohingya ». Le groupe armé le plus célèbre est sûrement la Rohingya Solidarity Organization (RSO), active de 1982 à 2001. Insérée dans des réseaux islamistes transnationaux, elle compte dans ses rangs des combattants formés en Afghanistan. Cependant, comme tous les mouvements « rohingya », elle est minée par les dissensions internes, et ne parvient pas à exister militairement et à peser politiquement. 

En 2012, deux vagues de pogroms secouent l’Arakan, mettant aux prises Arakanais et musulmans, parfois sous la direction de moines nationalistes et avec la complaisance des autorités. Dans la foulée, un million de « Rohingya » est assigné à résidence le long de la frontière bangladaise ou dans des camps. Le système d’apartheid, qui existait depuis des années, se renforce : la mobilité, l’accès à la santé, à l’emploi, aux marchés sont très sévèrement réglementés. En Birmanie, la « question rohingya » s’élargit également vers une « question musulmane ». Ainsi, les pogroms de 2012 en Arakan visent aussi des membres de l’ethnie musulmane kaman, dont les droits sont pourtant reconnus par les autorités birmanes. De même, des émeutes interconfessionnelles éclatent à Mandalay, la seconde ville du pays, en juillet 2014.

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