Attachez votre ceinture !
Avec l’ouverture de la campagne présidentielle, on assiste à une surenchère d’annonces plus ou moins démagogiques sur l’agriculture. Alors que de plus en plus de voix dénoncent les conséquences délétères de la stratégie Farm to Fork, le monde agricole est en droit de s’inquiéter de la trajectoire que certains souhaiteraient imposer à la Ferme France.
Attention, nous entrons dans une zone de turbulences. La campagne présidentielle est lancée et avec elle le concours des annonces décoiffantes et des promesses déconnectées de la réalité. C’est le président de la République lui-même qui a ouvert (involontairement ?) cette zone de turbulence. A l'issue du Congrès Mondial de la Nature qui s'est tenu début septembre à Marseille, il a annoncé « une initiative de la France pour une sortie accélérée des pesticides lors de la présidence française du Conseil de l’UE ». Déclaration qui a surpris tout le monde, y compris le Ministre de l'Agriculture, obligé de préciser le lendemain que cette initiative serait portée au niveau européen, qu’il n'y aurait pas d'interdiction sans alternatives et que la France plaiderait pour un durcissement des contrôles des importations agricoles – les fameuses « clauses miroirs ». Le monde agricole attend maintenant des actes concrets pour être complétement rassuré…
Quelques jours plus tard s’ouvrait la primaire pour désigner le candidat du pôle écologiste pour la présidentielle. Un vrai festival ! La seule agriculture qui trouve grâce aux yeux des Verts est, on le sait, bio, sans intrants, « paysanne ». « Nous sommes le seul pays européen où quand vous utilisez des pesticides dans l’agriculture vous recevez plus de subventions publiques que dans l’agriculture biologique », a asséné – faussement – Yannick Jadot lors du débat du premier tour. « Il faut un choc de productivité négatif dans l’agriculture, a renchéri Sandrine Rousseau dans un entretien à Libération. Il faut accepter une baisse de rendement mais aussi que l’agriculture sans pesticides soit plus intensive en main-d’œuvre. »
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Tout cela prêterait à sourire si ces arguments fallacieux, martelés depuis des années par les ONG environnementalistes, n’avaient fini par infuser dans la société et par influencer ceux qui décident des politiques agricoles. Ainsi, si la stratégie Farm to Fork parait séduisante sur le papier en terme d’ambition pour protéger l’environnement, le monde agricole est en train d’en découvrir les conséquences potentiellement délétères. La stratégie agricole européenne à l’horizon 2030 vise notamment à pousser la part de l’agriculture biologique à 25%, à réduire de moitié les usages de pesticides et de 20% les épandages d’engrais. Résultat, des baisses de production (de 12 à 20%), une hausse du coût de l’alimentation et une hausse des importations, selon plusieurs études récentes. Et ce pour un bénéfice environnemental quasi nul, comme l’explique très bien L’Opinion dans un dossier alarmiste.
Oui, l’agriculture française, la plus vertueuse du monde, est sur une trajectoire inquiétante. A l’heure où l’on ne cesse de parler de souveraineté alimentaire, comment ne pas s’inquiéter de cet affaiblissement annoncé ? Rappelons que la balance commerciale agricole française est devenue pour la première fois déficitaire en 2019. Va-t-elle suivre celle de la production automobile passée d’un excédent commercial de 12,3 milliards d’euros en 2004 à un déficit dépassant les 15 milliards d’euros en 2020 ?
Quand des décisions sont prises sans mesure d’impacts sérieuse, la réalité finit par se rappeler à nous. Et parfois brutalement, comme on peut le voir en ce moment en Grande-Bretagne, quelques mois après le Brexit. C’est ce qui risque de se passer si l’on persiste à vouloir « sortir des pesticides » aveuglément. A la clé, il y aura des baisses de rendement, de qualité, de revenus et des impasses techniques. Et cela alors que les agriculteurs sont majoritairement engagés dans la transition agroécologique, qui inclut un usage raisonné des produits phytosanitaires. Dans ce contexte, comment ne pas s’étonner de voir le service de communication d’un grand institut public comme l’Inrae se glorifier d’avoir atteint en trois campagnes l’objectif « zéro glyphosate » dans ses essais en minimisant les conséquences de cette conversion en termes de temps, d’investissements, d’efficacité et d’empreinte carbone ?
Alors que faire pour aborder cette période de tous les dangers ? D’abord, poursuivre le dialogue que les acteurs du monde agricole ont engagé avec le reste de la société, et plus spécialement pendant les prochains mois avec les candidats à l’élection présidentielle. Ensuite, mettre en place une stratégie de « fact-checking » pour débusquer toutes les informations erronées ou mensongères proférées dans le domaine de l’agriculture. Enfin, alerter les Français sur les conséquences que les propositions extrêmes de certains candidats auraient sur leur vie de tous les jours : augmentation des prix alimentaires, baisse de qualité, pénuries, délocalisation des productions avec impact sur les emplois dans les territoires…
Dirigeant chez Eurobeauce
3 ansQuand on sait qu’un déséquilibre de l’offre de 15 % des matières premières peut entraîner une hausse des prix de 300 %..!!! On a presque envie de leur dire chiche ..!!
Agriculteur céréalier/légumineuses, VP commission R&D FNSEA, spécialiste innovation et numérique, co-fondateur @FermeDigitale, promoteur engagé du projet de création d'un IRT agricole
3 ansSi je partage le fond du discours traitant de la souveraineté alimentaire, et de l'attente sociétale d'une agriculture différente (je dis différente car cette agriculture fantasmée n'est pas si claire dans les yeux de ceux qui la porte, et elle n'est surtout pas consensuelle), je m'interroge sur ce qui se passe en ce moment, notamment l'orchestration des pénuries d'intrants et de matériel, entraînant d'un coup l'explosion des coûts de production. Je m'interroge donc plus particulièrement sur la place de l'agriculture française dans la stratégie des firmes internationales, autrement dit si l'on continue dans ce sens, on ne sera même plus en mesure de produire a un coût raisonnable, et c'est peut être ça qui entraînera la conversion de l'agriculture, l'accélération sans précédent de la crise des vocations, le désinvestissement hexagonal du foncier,...
Directrice Affaires Publiques Bayer Crop Science France
3 ansTout à fait d'accord avec Jean-Marc PETAT ! L'agriculture est une chance pour la France et l'UE 👏 Consolidons et développons son potentiel plutôt que d'en faire une variable d'ajustement de discours politiques dénoués de tout fondement économique ou scientifique.
Responsable du LifeHub Lyon / Bayer et de son programme Dialog4Ag (dialogue autour de l’agriculture)
3 ansMerci Jean-Marc PETAT pour ce billet dont je partage pleinement le point de vue. C’est il est vrai inquiétant de voir toutes ces attaques infondées contre notre agriculture française et européenne. Mais j’insisterais sur la conclusion. Oui, il faut continuer à expliquer et même encore plus à dialoguer avec la société. Les questions sont de toute façon légitimes et surtout les réponses de ceux qui font l’agriculture doivent être écoutées et espérons le entendues par ceux qui sont aux manettes de notre pays qui a l’agriculture la plus durable du monde.