« Avec la pandémie et la guerre en Ukraine, la France vit une crise terrible de dépendance et de souveraineté »
ENTRETIEN. Face aux conséquences néfastes de la guerre en Ukraine et de la pandémie de Covid-19, le président de CCI France Alain Di Crescenzo plaide pour une réindustrialisation de l'économie française. Une semaine après le début du conflit qui secoue un grand nombre de secteurs tricolores, il redoute une baisse de la confiance des ménages et des entreprises.
LA TRIBUNE - Emmanuel Macron a annoncé dans sa seconde allocution depuis le début du conflit que la croissance économique sera "immanquablement" affectée. Quel est l'état d'esprit des entreprises du réseau consulaire depuis une semaine alors que la guerre en Ukraine doit s'intensifier ?
ALAIN DI CRESCENZO - Les entreprises ont exprimé de la déception et de la colère. L'année 2022 devait être une année charnière pour les entreprises. Elles devaient rattraper définitivement le retard de 2020. Le conflit qui touche la France va avoir des impacts importants sur le moral des ménages et des entreprises. Dans ce contexte, ni l'un ni l'autre ne sont tentés de prendre des risques. L'impact sur les investissements des entreprises et la consommation des ménages va se faire sentir. Le réseau des chambres de commerce européennes a condamné l'agression de la Russie sur l'Ukraine et appelle à des sanctions fortes. Elles sont solidaires des personnes, familles et des entreprises qui souffrent. Les entreprises dénoncent les conséquences économiques dans une période de relance. Elles demandent l'arrêt immédiat du conflit.
Quelles sont les conséquences de cette guerre sur les entreprises tricolores ?
Les conséquences sont surtout indirectes. Les échanges de la France avec l'Ukraine représentent une faible part de nos échanges internationaux (1/1000). Avec la Russie, ces échanges représentent environ 1% du total. En revanche, la France représente la plus grande communauté d'entreprises étrangères installées en Russie. 500 filiales d'entreprises françaises sont présentes sur le sol russe dont 35 dépendent des grandes entreprises du CAC 40.
Cela représente 160.000 salariés. Ce qui pose de fortes difficultés de rapatriement. En outre, la Russie fournit près de 10% du pétrole mondial et 18% du gaz sur la planète. Même si les échanges entre la France et la Russie ou l'Ukraine ne sont pas très importants, l'envolée des cours de l'énergie va forcément avoir des répercussions sur nos partenaires et nos entreprises. Certains pays voisins industrialisés qui sont de grands partenaires de la France comme l'Allemagne ou l'Italie vont être en première ligne. Enfin, les filières aéronautique et agroalimentaire seront perturbées.
L'inflation portée par les prix de l'énergie devrait continuer d'accélérer dans les semaines à venir d'après la plupart des économistes. Comment les entreprises appréhendent-elles cette hausse ?
On peut s'attendre à des tensions inflationnistes supplémentaires à un moment où il y a déjà de l'inflation. Si la France n'avait pas mis en œuvre le blocage des prix d'EDF, l'inflation serait bien plus élevée. Les entreprises sont relativement démunies face à cela. Elles peuvent essayer de faire des stocks mais c'est une solution à court terme.
Avez-vous constaté une hausse des difficultés d'approvisionnement ?
Elles existaient malheureusement déjà avant le conflit. Ces tensions étaient déjà bien présentes avec le Covid sur les composants électroniques, les batteries et certains équipements. Ces difficultés gagnent d'autres secteurs. L'agriculture anticipe des pénuries sur les engrais par exemple.
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Le chef de l'État a annoncé "un plan de résilience économique et social" dans son allocution dont les modalités restent à préciser. Les premières pistes s'orientent vers des plans de soutien et d'accompagnement par filières. Quels seraient les leviers à activer pour limiter les dégâts à court terme ?
Il s'agit d'abord d'identifier les entreprises en difficulté et de les soutenir. L'un des leviers est de faire du multi source en diversifiant les sources d'approvisionnement. Sur les produits en tension, l'État français peut soutenir les entreprises directement en détaillant les pays qui peuvent fournir les entreprises dans l'Hexagone sur les produits sous tension. L'État dispose du levier de la taxe et du celui des prix et pourrait s'orienter vers un gel des prix du gaz jusqu'à l'été prochain. Cette mesure permettrait de protéger les entreprises. On attend le détail des mesures du plan de résilience. CCI France est également en soutien avec la chambre de commerce française implantée en Ukraine.
Il existe des risques importants en termes de sécurité informatique. Les grandes entreprises se protègent mais les petites beaucoup moins. Il est essentiel de communiquer sur ces risques en direction des PME et des TME pour les mettre en garde. Beaucoup d'entreprises travaillent avec la Russie ou l'Ukraine, nous travaillons à l'identification de ces entreprises pour les accompagner. Enfin, nous sommes en train de recenser les entreprises françaises implantées en Ukraine afin de les aider.
A plus long terme, comment faire pour améliorer la souveraineté industrielle et l'indépendance de l'économie française ?
Il faut tirer les leçons des précédents échecs. Avec la pandémie et la guerre en Ukraine, la France a vécu successivement en deux ans une crise terrible de dépendance et de souveraineté. Le déficit commercial s'est creusé de 85 milliards d'euros en 2021. Hors hydrocarbures, ce déficit s'élève tout de même à 52 milliards d'euros. CCI France veut mettre l'accent sur les exportations avec la Team France Export et la réindustrialisation de la France qui doit permettre de limiter nos importations.
Le Haut-commissariat au plan a rappelé que 10% des produits importés correspondent à 80% du déficit du commerce extérieur. Il faut relancer la production en France pour certains produits surtout dans le contexte de la nécessité de réduire nos empreintes carbone. Il y a actuellement un alignement des planètes. Les jeunes veulent du sens et les Français veulent consommer du "Fabriqué in France".
Grégoire Normand - 04/03/2022 - La Tribune