"Banking is necessary, banks are not"

"Banking is necessary, banks are not"

Cette phrase de Bill Gates date de 1994 et pourtant elle n’a jamais été autant d’actualité depuis ces trois dernières années avec l’essor des « marketplace lending » dans le monde. Le marché du « Online Direct Lending » pèse déjà 300 Mds€ et la Chine représente 90% des volumes. Les particuliers deviennent préteurs directs des entreprises ou des consommateurs par un début de dérèglementation du monopole bancaire et pour compenser le retrait des intermédiaires (banques, assurances). Les contraintes réglementaires (Solvancy II, Bale III) les obligent à prêter plus court et plus cher. Ou avec des garanties sur du financement matériel. Les plateformes de prêt se sont donc créées pour répondre à un vrai besoin, le financement immatériel des PME. Ce segment représente, rien que pour la France, autour de 10 Mds€ de financement par an sur un total de 80 Mds€ (immatériel et matériel). Le potentiel est donc considérable pour les 14 plateformes françaises de prêt existantes avec des volumes qui devraient représenter autour de 100 M€ fin 2016, en croissance de 300% !
En plus de ce besoin, cette finance alternative offre des services que les banques tardent à mettre en place ; application mobile, automatisation des process, transparence des couts, réponse de principe sous 48h, souplesse des candidatures. Et la nouvelle directive européenne des services de paiement (PSD2) en 2017 va provoquer l'un des plus importants bouleversements du secteur bancaire. En effet, cette directive précise que tout entreprise qui fournit et conserve des informations sur des comptes clients doit rendre ces dernières accessibles à des tiers, sous reserve que le client leur en ait donné autorisation. Les plateformes auront donc la meme information que les banques des entreprises. Le dernier avantage concurrentiel des banques, les flux financiers, tombe!
Coté préteurs, l’engouement répond à une envie de donner du sens à son épargne en étant proactif dans le choix des emprunteurs en fonction de leurs propres connaissances, soit sectorielles, régionales, ou amicales. On compte déjà 43 millions de préteurs particuliers dans le monde, motivés également par l’attractivité des taux, autour de 6% en moyenne en France et 5,2% sur un an glissant au UK (source Liberum Index). Soit un spread de 300 bp par rapport au rendement actuel du high-yield en Europe. Les emprunteurs sont prêts à payer si cher ce cout de financement car ils le comparent à un cout du capital. En effet, ces prets sont « unsecured » donc considérés comme des quasi-fonds propres. Une excellente réponse à une sous-capitalisation des PME françaises (en moyenne la part des fonds propres représente 30% du total des bilans des entreprises) en raison du nombre limité de business angels.
Le marché s’est développé il y a 6 ans aux US et rapidement après au UK, les volumes sur les plateformes de prêt aux US ont atteint 20 Mds$ l’année dernière. Il s’agit essentiellement chez eux de « P2P consumer lenders », c’est-à-dire du refinancement de prêts consommateurs sur CB par en fonction des notes de scoring des individus. Car visibles de tous les acteurs financiers. On est loin du modèle Sofinco !
Au niveau mondial, les «marketplace lending » représentent 80% du volume des plateformes de financement participatif en raison de la simplicité du prêt par rapport aux capitaux propres. Contrairement au calcul d’une valorisation d’entrée et une gestion difficile d’une sortie en capital, le prêt est du « buy and hold » avec un amortissement mensuel et un taux d’intérêt fixe défini.
Le marché le plus mature est le UK avec la présence de 3 des 9 plateformes qui ont dépassé le milliard en volume. Funding Circle est à titre d’exemple le numéro un mondial des prêts PME avec 2,5 Mds$ financés. Depuis 2016, les volumes ont représenté 3,16 Mds£, en croissance de 36%, et 8,6 Mds£ en cumulé depuis 2010. Le UK a démarré plus vite pour des raisons réglementaires et fiscales. Les investissements des particuliers sont éligibles à l’IAS, c’est-à-dire à une réduction IS de 30% à l’entrée et pas d’imposition sur les plus-values à la sortie.
La France s’est encore une fois réveillé tardivement avec la première loi fin 2014, mais depuis, et sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, nous avons plus jamais rattrapé notre retard. En effet, une entreprise peut emprunter ou lever jusque 2,5 M€ par projet sans faire appel public à l’épargne. Un record mondial ! Incroyable mais vrai, la loi française peut s’adapter au marché en l’espace de 18 mois quand les décideurs sont en lien avec la réalité ! Le problème reste la fiscalité puisque les plus-values des intérêts sont imposées à plus de 40%. Malgré cette forte contrainte, le marché français connait la troisième plus forte croissance dans le monde depuis deux ans et devrait atteindre un volume de 400 M€ fin 2016 (prêts consommateurs, prêts PME et crowdfunding). Espérons que le prochain gouvernement réalise l’importance de la désintermédiation du système financier et incite fiscalement les épargnants à prêter directement aux entreprises.
L’enjeu de ce marché naissant est double pour devenir « mainstream » : un taux de default maitrisé et une transparence dans les données. Pour convaincre les derniers irréductibles attachés à leurs prérogatives, banquiers en tête qui ont oublié que leur existence était le simple fait de leur monopole. Les institutionnels français que j’interroge depuis plusieurs mois restent également dubitatifs quant à la capacité des épargnants à juger de la qualité de crédit des emprunteurs. Dont Acte. Regardons l’exemple anglais après un track-record de 6 ans et donc 3 tours de financement (prêts PME en moyenne ont pour échéance 2 ans) et qui représente 85% des volumes en Europe. Les taux de default restent stables autour de 2% depuis 3 ans pour les quatre principales plateformes (Zopa, Funding Circle, Ratesetter et MarketInvoice). Soit un niveau proche du taux moyen national.
Le financement participatif a cependant été mis à mal cette année en raison de deux évènements : le scandale LendingClub aux US et le Brexit. Au-delà de doctes commentaires des journalistes et autres cris d’orfraie qui s’en sont suivis, ces incidents ont eu un impact direct sur les volumes. Au UK, la croissance est passé de +80% l’année dernière à +36% ytd mais sans impactés les rendements nets (après prise en compte des taux de default). Aux US, les institutionnels qui représentent 70% des volumes des « marketplace lending » (vs 25% en Europe continentale et 50 au UK) sont sortis massivement. Ces soubresauts nous rappellent que cette nouvelle industrie reste fragile et doit s’auto-discipliner pour devenir une classe d’actifs à part entière. Comment ?
Premièrement, ne pas faire la course aux volumes mais plutôt rechercher de bons emprunteurs car la maitrise du taux de default est clés. Deuxièmement, créer un écosystème solide avec des labels qui garantissent réellement la fiabilité des données par des due-diligence poussées. Troisièmement, avoir une base diversifiée de préteurs et un mix entre particuliers, plus fidèles, et des institutionnels aux poches profondes mais volatils.
Les opportunités restent florissantes pour cette nouvelle classe d’actifs, en voici les cinq raisons essentielles :
1) Les banques se retirent des prêts PME pour des raisons règlementaires (« capital requirement ») alors que les prêts sont le plus gros marché des services financiers.
2) Le modèle n'est pas systémique, contrairement aux banques, car il n’y a pas de risque de transformation.
3) Meilleur rendement dans le marché actuel des bonds avec un spread moyen de 300 bp vs le marché high yield européen.
4) Base de couts structurellement inferieur aux banques : selon McKinsey 300 bps dont 220 bp du non réseau, 40 bp de back-office et 40 bp par l’automatisation des process.
5) Retour sur capitaux propres imbattable des plateformes puisque modèle sans stocks ni actifs.
Malgré ce marché naissant, les initiatives sont nombreuses pour capter des parts de marché dans un business à économie d'échelle. Aujourd'hui la taille est importante pour avoir une marque et celle-est essentielle pour se démarquer des mauvais élèves. Car la compétition se fait sur la qualité des émetteurs qui sont sur votre plateforme.

L'autre dernière grande tendance est le « cross selling » ; pour capter et fidéliser votre communauté, il faut pouvoir leur proposer plusieurs produits sur plusieurs actifs, c'est le principal challenge des prochaines années.
La conclusion s’impose. Il est vital, pour la bonne santé de nos PME, les principaux recruteurs, que l’on pousse la désintermédiation du système financier. Comment ? En offrant pour les préteurs directs les mêmes avantages fiscaux que la souscription au capital des PME.
L’avenir est passionnant !


Simon Quiret
Entrepreneur.

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